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Sommaire du chapitre

1. Propriétés des coordinations canoniques

1.2 Propriétés d'itération

1.2.3 Degré d'identité des termes itérés

1.2.3.3 Coordinations de dépendants

Examinons à présent les coordinations de dépendants. Dans la mesure où chaque terme doit pouvoir apparaître seul dans le contexte d'occurrence de la coordination, il s'ensuit que les termes conjoints partagent obligatoirement les propriétés syntaxiques qui sont imposées par ce contexte. Ces propriétés sont variées. En (40), les termes conjoints sont de même catégorie syntaxique NP, comme l'impose le verbe à son sujet. En (41), les termes conjoints partagent leur mode verbal, qui est imposé par le verbe matrice. Enfin, en (42), les termes conjoints doivent être au même temps, une contrainte imposée par la construction conditionnelle et les règles de concordance qui lui sont associées en fran- çais. Enfin, les termes conjoints doivent être introduits par la même préposition en (43). (40) a (Et) [les partisans d'une politique sociale] et [les écologistes] ont manifesté leur mécontentement. (NP+NP)

a' {Les partisans d'une politique sociale / les écologistes} ont manifesté leur mécontentement.

b *[(Et) les partisans d'une politique sociale] et [respectueux de l'environnement] ont manifesté leur mécontentement. (*NP+AP)

b' {Les partisans d'une politique sociale / *Respectueux de l'environnement} ont manifesté leur mécontentement.

(41) a Paul voudrait (et) [que Léa s'en aille] et [que Marie revienne]. a' Paul voudrait {que Léa s'en aille / que Marie revienne}. b *Paul voudrait (et) [que Léa s'en aille] et [que Marie revient]. b' Paul voudrait {que Léa s'en aille / *que Marie revient}.

(42) a [Si (ou) [il pleut] ou [il neige], je ne sortirai pas. a' {S'il pleut / S'il neige}, je ne sortirai pas.

b * Si (ou) [il pleut] ou [il neigera], je ne sortirai pas. b' {S'il pleut / *S'il neigera}, je ne sortirai pas.

(43) a Paul est critiqué (et) [par ses collègues] et [par ses étudiants]. a' Paul est critiqué {par ses collègues / par ses étudiants}. b *Paul est critiqué (et) [de ses collègues] et [par ses étudiants]. b' Paul est critiqué {*de ses collègues / par ses étudiants}.

Cependant, lorsque le prédicat avec lequel se combine la coordination et/ou que la cons- truction dans laquelle la coordination apparaît autorise une certaine variation concernant l'une ou l'autre de ces propriétés, les termes conjoints peuvent être partiellement dis- semblables, comme le montre l'échantillon d'exemples en (44-45-46-47). En (44a,b,c,d), les termes conjoints ne sont pas de même catégorie syntaxique. On coordonne un syn- tagme nominal et un syntagme adjectival en (44a), un syntagme nominal et une phrase complétive en (44b), un adverbe et un syntagme prépositionnel en (44c) et enfin un syn- tagme verbal participial et une phrase relative en (44d). Comme on le voit en (45) et (46), les termes peuvent également être à des modes et/ou des temps différents lorsque le contexte syntaxique l'autorise. Enfin, les termes conjoints peuvent être introduits par des prépositions différentes lorsque chacune de ces prépositions est possible dans le contexte (47).

(44) a Paul est devenu (et) [un partisan fervent d'une politique sociale] et [respectueux de l'environnement]. (NP+AP)

a' Paul est {un partisan fervent d'une politique sociale / respectueux de l'environnement}.

b Marie adore (et) [les réceptions] et [qu'on lui apporte des fleurs]. (NP+CP[que])

b' Marie adore {les réceptions / qu'on lui apporte des fleurs}.

c Les patients viennent à son cabinet (ou bien) [spontanément] ou bien [sur les conseils de leur médecin]. (AdvP+PP)

c' Les patients viennent à son cabinet {spontanément / sur les conseils de leur médecin}.

d Il n'embauche que des personnes (ou bien) [très expérimentées] ou bien [qui sortent d'une grande école]. (VP[part]+S[rel])

d' Il n'embauche que des personnes {très expérimentées / qui sortent d'une grande école}.

(45) a Il n'est guère certain (ni) [que Léa s'en aille] ni [que Marie reviendra]. a' Il n'est guère certain {que Léa s'en aille / que Marie reviendra}.

(46) a (Ou bien) [il pleut aujourd'hui] ou bien [il neigera demain]. a' {Il pleut aujourd'hui. / il neigera demain.}

(47) a Paul est apprécié (et) de ses collègues et par tous ses étudiants. a' Paul est apprécié {de ses collègues / par tous ses étudiants}.

Une solution simple pour décrire les données observées consiste à relâcher la contrainte de similarité syntaxique entre les termes d'une coordination en imposant uniquement une identité de type sémantique (Munn 1993, Skrabalova 2004). La solution, pour sé- duisante qu'elle soit, est inadéquate, comme nous le montrons brièvement.

Les données en (48) montrent que l'identité de type sémantique des termes conjoints constitue une condition nécessaire de bonne formation des coordinations (Partee & Rooth 1983). Un verbe comme aimer est compatible (entre autres) avec un complément NP dénotant un individu (48a) ou un complément infinitif dénotant une activité (48b). Comme l'illustrent les exemples en (48c,d), la coordination d'un NP et d'un VP n'est possible que lorsque le NP peut être interprété comme un type d'activité compatible avec l'activité dénotée par le VP.

(48) a Marie aime [Paul].

b Marie aime [faire les boutiques].

c *Marie aime (et) [Paul] et [faire les boutiques]. d Marie aime (et) [le cinéma] et [faire les boutiques].

Les données en (49) montrent que l'identité de type sémantique ne constitue pas pour autant une condition suffisante pour qu'une coordination soit bien formée. Le verbe ai-

mer sélectionne un complément VP infinitif sans marqueur (49a) tandis que le verbe rêver sélectionne un complément introduit par le marqueur de (49b). Étant admis que ce

type de marqueurs ne fait aucune contribution sémantique dans le contexte en question, on ne voit pas bien ce qui permet de distinguer les données agrammaticales en (49c,d) des données grammaticales en (49e,f) si la seule contrainte qui régit les termes d'une coordination est sémantique. Une contrainte syntaxique est ici mise en oeuvre. Elle dé- coule de la généralisation de Wasow : les données en (49c,d) sont exclues car l'un des termes conjoints ne respecte pas les exigences de sous-catégorisation du verbe avec le- quel se combine la coordination dans son ensemble, à savoir le terme introduit par un

marqueur en (49c) et le terme sans marqueur en (49d). Chacun des termes est compati- ble avec le verbe en facteur en (49e) et (49f) : c'est ce qui explique que ces coordina- tions soient bien formées.

(49) a Marie aime (*de) faire les boutiques. b Marie rêve *(de) faire les boutiques.

c *Marie aime (et) [faire les boutiques] et [d'aller au cinéma]. d *Marie rêve (et) [faire les boutiques] et [d'aller au cinéma]. e Marie aime (et) [faire les boutiques] et [aller au cinéma]. f Marie rêve (et) [de faire les boutiques] et [d'aller au cinéma].

Comme on le voit, le degré d'identité syntaxique des termes d'une coordination est fonc- tion du contexte. Le point est formulé clairement par Borsley (2005a : 465, notre traduc- tion)16 : "La similarité des termes conjoints dépend du contexte dans lequel apparaît la structure coordonnée, et plus précisément du degré de spécificité des contraintes que ce contexte impose aux constituants dans la position dans laquelle apparaît la structure coordonnée. Si les contraintes en question sont très précises, alors les conjoints doivent corrélativement être très similaires. Si les contraintes sont en revanche moins précises, alors les conjoints peuvent être fort différents."