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Sommaire du chapitre

1. Propriétés des coordinations canoniques

1.2 Propriétés d'itération

1.2.3 Degré d'identité des termes itérés

1.2.3.6 Limites de la généralisation : coordination et accord

La généralisation de Wasow ne permet pas, à première vue, de décrire les interactions entre coordination et accord. Les données en (64) illustrent le problème : au regard des propriétés d'accord en nombre, en genre et en personne, une coordination de groupes nominaux peut apparaître dans des contextes où les termes conjoints seuls sont exclus21.

(64) a [Paul]SG et [Marie]SG [viendront]PLdemain. a' *{Paul / Marie} viendront demain.

b [Cet étudiant]MASC et [cette étudiante]FEM sont [mécontents]MASC. b' *{Cet étudiant / Cette étudiante} sont mécontents.

c [Paul]P1 et [toi]P2 [devriez]P2 m'écouter pour une fois. c' *{Paul / Toi} devriez m'écouter pour une fois.

Cette situation n'est pas systématique. Comme le montrent les données en (65), il existe en effet des cas où la généralisation de Wasow est respectée, c'est-à-dire des cas où cha- que terme conjoint doit pouvoir s'accorder seul avec un constituant en facteur dans le contexte d'occurrence de la coordination pour que la structure soit bien formée.

(65) a {[Certains]MASC / [Plusieurs]MASC&FEM} [infirmiers]MASC et [aide-soignants]MASC de cet hôpital ont été agressés.

b {[Certaines]FEM / [Plusieurs]MASC&FEM} [infirmières]FEM et [aide-soignantes]FEM de cet hôpital ont été agressées.

c {*[Certains]MASC /*[Certaines]FEM / [Plusieurs]MASC&FEM} [infimiers]MASC et [infirmières]FEM de cet hôpital ont été agressés.

21 Contrairement à ce qui est souvent admis, le problème ne concerne pas uniquement les coordinations de

groupes nominaux, comme le montrent les deux possibilités d'accord singulier et pluriel du verbe en cas de sujets phrastiques coordonnés (i-ii). Nous laissons ces données de côté dans ce qui suit. Voir Wechsler (2004) pour une discussion récente.

(i) Que Paul ait trouvé du travail et que Marie ait été augmentée est une bonne nouvelle. (ii) Que Paul ait trouvé du travail et que Marie ait été augmentée sont deux bonnes nouvelles.

Il appartient à une théorie générale de l'accord de rendre compte de l'ensemble de ces données, que l'on n'abordera dans cette thèse qu'à titre annexe. La solution provisoire que nous proposons d'adopter peut être résumée en trois étapes.

Premièrement, on admet dans ses grandes lignes la théorie de l'accord développée ré- cemment par Kathol (1999), Wechsler & Zlatić (2001, 2003), Dalrymple & King (2004). Suivant cette théorie, des propriétés telles que le nombre, la personne et le genre apparaissent dans deux composantes de la grammaire avec des valeurs possiblement différentes : dans la composante syntaxique (en lien avec la morphologie) et dans la composante logico-sémantique22 comme propriétés de l'indice associé aux unités réfé-

rentielles (en lien avec des conditions d'ancrage à un référent du monde). Il est com- mode ici de raisonner en termes de matrices de traits. Les traits d'accord morphosyn- taxiques des unités linguistiques sont regroupés sous un attribut CONCORD dans la composante syntaxique et sous un attribut INDEX dans la composante logico- sémantique. On suppose donc ici, suivant Pollard & Sag (1994), que les indices référen- tiels communément utilisés en grammaire générative constituent des objets structurés : ils comportent les traits de nombre, de genre, de personne, etc.

Deuxièmement, on distingue trois grandes possibilités d'accord grammaticaux entre deux unités selon que sont identifiés (i) leurs traits sous INDEX, (ii) leurs traits sous CONCORD ou bien (iii) les traits sous CONCORD de l'un (le contrôleur de l'accord) et les traits sous INDEX de l'autre (la cible de l'accord). Le premier cas correspond typi- quement à l'accord entre un antécédent et un pronom anaphorique (66a). Le second cor- respond à l'accord interne au groupe nominal (66b). Enfin, le troisième cas correspond typiquement à l'accord entre un sujet nominal et un prédicat verbal ou adjectival (66c)23.

22 Par composante logico-sémantique ou forme logique, nous entendons le niveau grammatical d'interface

entre les unités syntaxiques et leur interprétation dans un modèle.

23 On utilise ici des représentations simplifiées à vocation purement illustrative. Les valeurs numériques

encadrés (ou tags en anglais) constituent des variables servant à indiquer une identité de valeur quelle que soit la valeur choisie pour un trait donné associé à deux objets ou plus.

(66) a Cette table sera jolie lorsqu' elle sera repeinte. INDEX= [1] INDEX= [1] où [1] = ! NUM sg GEND fem PERS 3 " # $ $ $ % & ' ' '

b Il a des amis loyaux.

CONCORD= [1] CONCORD= [1] CONCORD= [1]

où [1] = ! NUM pl GEND masc PERS 3 " # $ $ $ % & ' ' '

c Cette table est jolie.

INDEX= CONCORD= CONCORD=

! NUM [1] GEND [2] PERS [3] " # $ $ $ % & ' ' ' ! NUM [1] PERS [3] " # $ % & ' ! NUM [1] GEND [2] " # $ % & ' où [1] = sg, [2] = fem et [3] = 3

La distinction de deux ensembles de traits d'accord présente l'avantage de pouvoir dé- crire de façon élégante divers cas de discordance, ou accords hybrides, observés dans les langues, tels que ceux illustrés en (67) où une forme donnée déclenche deux accords distincts dans la même phrase24. Dans l'exemple (67a), discuté par Kathol (1999), le

nom tête majestad s'accorde au féminin avec l'adjectif épithète tandis qu'il s'accorde au masculin avec l'adjectif prédicatif. L'accord au masculin est clairement corrélé à une propriété sémantique : le groupe nominal sujet dénote un individu de sexe masculin. L'exemple (67b), discuté par Wechsler & Zlatić (2001), montre que les corrélations sé- mantiques ne sont pas toujours opératoires. Le nom deca s'accorde en serbo-croate au féminin singulier avec le déterminant et l'adjectif épithète tandis qu'il s'accorde au neu- tre pluriel avec l'adjectif prédicatif. L'accord au pluriel est clairement corrélé à une pro- priété sémantique : le groupe nominal dénote un agrégat d'individus. L'accord au neutre ne l'est pas en revanche puisque le groupe nominal dénote un ensemble d'individus sexués.

(67) a Su majestad supremaFEM está contentoMASC. (espagnol) sa majesté suprême est content

'Sa majesté suprême est contente.'

b TaFEM.SG dobraFEM.SG deca su3-PL došlaNEUT.PL. (serbo-croate) ces gentils enfants sont venus

24 Le français connaît également des cas d'accord hybride (i-ii) (cf. Corbett 1983, Pollard & Sag 1994,

Kathol 1999, Wechsler, à paraître). (i) On estSG tous égauxPL.

Ces faits s'expliquent bien si l'on admet la distinction entre les traits d'accord morpho- syntaxiques, les traits d'accord associés à l'indice et les propriétés des référents. Etant admises les spécifications simplifiées des unités lexicales en (68), rien n'a besoin d'être ajouté pour décrire les accords hybrides observés, comme l'illustrent les schémas sim- plifiés en (69).

(68) a majestad :

CONCORD = [NUM sg, GEND fem] INDEX = [NUM sg, GEND [1]]

où [1] = fem si le nom réfère à un individu de sexe féminin, masc sinon b deca :

CONCORD = [GEND fem, NUM sg] INDEX = [GEND neut, NUM [1]]

où [1] = pl si le nom réfère à un agrégat d'individus, sing sinon (69) a Su majestad suprema està contento.

CONCORD= [1] CONCORD = [1] CONCORD= [1] CONCORD= [2] INDEX = [2]

où [1] = [NUM sg, GEND fem] et [2] = [NUM sg, GEND masc]

b Ta dobra deca su došla.

CONCORD = [1] CONCORD= [1] CONCORD= [1] CONCORD= [2] INDEX=[2]

où [1] = [NUM sg, GEND fem] et [2] = [NUM pl, GEND neut]

Si l'on revient à présent au problème que posent les interactions entre coordination et accord pour la généralisation de Wasow, une solution apparaît séduisante. Elle peut être formulée de la façon suivante. Les coordinations échappent comme on s'y attend à la généralisation de Wasow lorsque la relation d'accord à laquelle elles participent contraint leurs propriétés d'accord non syntaxiques, c'est-à-dire les propriétés de leur indice référentiel (70), tandis qu'elles s'y conforment lorsque cette relation affecte leurs propriétés d'accord morphosyntaxiques, c'est-à-dire leurs propriétés sous CONCORD (71). Cette solution suppose que les propriétés d'indice d'une coordination sont obtenues à partir des propriétés d'indice des termes conjoints suivant des règles dites de résolution (cf. Corbett 1983).

(70) a [Paul]SG et [Marie]SG [viendront]PLdemain. a' *{Paul / Marie} viendront demain.

b [Cet étudiant]MASC et [cette étudiante]FEM sont [mécontents]MASC. b' *{Cet étudiant / Cette étudiante} sont mécontents.

c [Paul]P1 et [toi]P2, vous [devriez]P2 m'écouter pour une fois. c' *{Paul / Toi}, vous devriez m'écouter pour une fois.

(71) a {[Certains]MASC / [Plusieurs]MASC&FEM} [infirmiers]MASC et [aide-soignants]MASC de cet hôpital ont été agressés.

b {[Certaines]FEM / [Plusieurs]MASC&FEM} [infirmières]FEM et [aide-soignantes]FEM de cet hôpital ont été agressées.

c {*[Certains]MASC /*[Certaines]FEM / [Plusieurs]MASC&FEM} [infimiers]MASC et [infirmières]FEM de cet hôpital ont été agressés.

Au vu des données examinées, nous concluons que les phénomènes observés ne consti- tuent pas un obstacle majeur pour la généralisation de Wasow en ce qui concerne le français.

1.3 Synthèse

Les propriétés syntaxiques majeures des coordinations canoniques peuvent être repré- sentées par l'arbre en (72). Comme on le voit, le mécanisme d'itération recouvre la plu- part des contraintes qui sont généralement associées à la coordination.

(72) propriétés syntaxiques des coordinations

présence d'au moins une conjonction itération syntaxique

diversité catégorielle nombre non borné de termes généralisation de Wasow

similarité syntaxique partielle des termes extraction/cliticisation parallèle récursivité (catégorie, mode, sous-catégorisation, etc.)