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La structure en constituants des coordinations simples 1 Structures proposées

L'analyse syntaxique des coordinations simples

1. La structure en constituants des coordinations simples 1 Structures proposées

Deux structures en constituants ont été proposées pour décrire les propriétés combina- toires des conjonctions :

(i) une structure plate (4), héritée de la tradition grammaticale, dans laquelle la conjonc- tion et les termes coordonnés sont placés au même niveau (voir notamment Jackendoff 1977, Kaplan & Maxwell 1988, Rothstein 1991, Piot 1995, Maxwell & Manning 1996, Mela & Fouqueré 1996a,b, Dalrymple 2001);

(ii) une structure hiérarchique (5) dans laquelle la conjonction forme un constituant avec le terme subséquent (ou le terme précédent dans les langues comme le japonais ou le coréen) (voir notamment Ross 1967, Sag et al. 1985, Munn 1987, 1993, Steedman 1990, Touratier 1990, Paritong 1992, Kayne 1994, Johannessen 1998, Rebuschi 2001, Abeillé 2003b, 2005, 2006a, Skrabalova 2004).

(4) (5)

On notera d'emblée que, contrairement à ce qui a parfois été avancé (Progovac 1998a, Rebuschi 2001, Skrabalova 2004), le choix de l'une ou l'autre de ces structures est rela- tivement indépendant de la représentation de la coordination dans un format syntagma- tique de type X-barre. On peut admettre la structure hiérarchique sans admettre que la coordination relève du schématisme X-barre (cf. Sag et al. 1985, Abeillé 2003b, 2005, 2006a, Beavers & Sag 2004) de même qu'on peut admettre (dans un cadre sans contrainte de branchement binaire) que la coordination constitue une structure X-barre

plate avec la conjonction comme tête et les termes coordonnés comme compléments réalisés de part et d'autre de la tête (cf. Rothstein 1991). Nous examinons dans cette section la composition des unités syntaxiques en constituants (ou constituance) indé- pendamment des fonctions grammaticales (tête, complément, ajout, etc). On utilise donc des catégories génériques SZ, SY, etc. pour les syntagmes dont l'organisation en fonc- tions est incertaine afin de ne pas préjuger du constituant qui constitue la tête.

Nous montrons brièvement que la mise en échec des tests usuels de l'analyse en consti- tuants appliqués à la séquence [conj X] ne fournit pas d'arguments décisifs en faveur de la structure plate. Nous présentons ensuite les propriétés qui légitiment l'existence d'un syntagme conjoint dans la grammaire du français.

1.2 Les tests traditionnels d'analyse en constituants

Les arguments distributionnels que l'on peut avancer en faveur de la structure plate se fondent sur le comportement de la séquence introduite par une conjonction au regard des propriétés communément retenues pour identifier un constituant. Il est bien connu qu'une séquence [conj X] ne peut être ni extraite dans une clivée (6), ni antéposée à l'ini- tiale de la phrase (7), ni coordonnée à une autre séquence [conj X] (8), ce qui est attendu si la conjonction ne forme pas un constituant avec le terme qu'elle précède (cf. Piot 1988, 1993, 1995). Il s'agit là d'une interprétation des tests de constituance contestable. La possibilité de cliver, d'antéposer ou de coordonner une séquence constituent des conditions suffisantes pour identifier un syntagme, mais non des conditions nécessaires. (6) a Paul devrait lire la thèse de Jean et l'article de Marie.

b *C'est [et l'article de Marie] que Paul devrait lire la thèse de Jean _. (7) a Paul est marié mais Jean est célibataire.

b *[Mais Jean est célibataire], Paul est marié.

(8) a Paul est marié mais Jean est célibataire et Pierre est divorcé.

b *Paul est marié [mais Jean est célibataire] et [mais Pierre est divorcé].

On notera tout d'abord, concernant l'impossibilité d'extraire la séquence [conj X], qu'il n'est pas non plus possible d'extraire seul le constituant à droite de la conjonction (9a), ni un constituant enchâssé dans ce syntagme (9b), à moins que l'extraction opère de fa- çon parallèle dans l'autre membre coordonné (9c). Comme nous l'avons vu au chapitre précédent, cette distribution résulte d'une contrainte plus générale sur l'extraction : la contrainte sur les structures coordonnées de Ross (1967) (cf. chapitre 1, section §1.2.3.5.2), qui constitue elle-même un effet parmi d'autres de la généralisation de Wa-

sow (cf. chapitre 1, section §1.2.3.1). Le blocage observé en (6) ne fournit donc pas d'argument en faveur d'une structure plate.

(9) a *C'est [un article de Marie] que Paul devrait lire la thèse de Jean et _. b *C'est [un chercheur] dont Paul devrait lire la thèse de Jean et les articles _. c C'est [un chercheur] dont Paul devrait lire la thèse _ et les articles _.

On peut également considérer l'impossibilité d'antéposer et de coordonner la séquence introduite par une conjonction à l'initiale de la phrase comme des effets particuliers de contraintes plus générales. La première ordonne les séquences sans conjonction avant les séquences introduites par une conjonction. Elle permet de décrire non seulement les données en (7) mais aussi les données en (10). La deuxième contrainte interdit la com- binaison des conjonctions entre elles. Elle permet de décrire non seulement les données en (8) mais aussi les données en (11).

(10) a [Paul] [Jean] [et Marie] (X < X < [conj X])

b [Paul] [et Jean] [et Marie] (X < [conj X] < [conj X]) c *[Paul] [et Marie] [Jean] (*X < [conj X] < X)

d *[et Paul] [Jean] [et Marie] (*[conj X] < X < [conj X]) (11) a *Paul est marié et mais Jean est célibataire.

b *Paul se dit célibataire or et il est marié.

Nous concluons que les tests généralement utilisés pour l'analyse en constituants ne fournissent pas d'arguments en faveur de la structure plate.

1.3 Arguments empiriques en faveur d'un syntagme conjoint

Il ne fait guère de doute que la séquence [conj X] présente dans certains de ses emplois les propriétés d'un syntagme (cf. Harris 1946 : 174, Ross 1967 pour l'anglais). C'est le cas dans les fragments dialogiques du type (12), mais aussi dans les tours incidents du type (13) s'il est vrai, comme on l'a suggéré à plusieurs reprises (Espinal 1991, Maran- din 1998), que seul un constituant peut faire l'objet d'un placement incident (14). (12) a La neige se mit à fondre. Et ainsi vint le printemps.

b A : Paul viendra demain. B : - Ou Marie.

c A : Comptes-tu chercher du travail ? B : - Oui. A : - Et Paul ? d A : Prenez soin de vous ! B : - Et de vos enfants !

(13) a Paul a triché à l'examen de chimie d'hier, et tout le monde le sait. b Paul, et tout le monde le sait, a triché à l'examen de chimie d'hier. c Paul a, et tout le monde le sait, triché à l'examen de chimie d'hier. d Paul a triché, et tout le monde le sait, à l'examen de chimie d'hier. (14) a Paul a, j'en suis sûr, échoué à l'examen de chimie.

b *Paul a, je suis sûr que, échoué à l'examen de chimie.

Par généralisation, on peut dès lors considérer que la séquence [conj X] constitue éga- lement un constituant dans les coordinations. Les alternances distributionnelles en (15) suggèrent de façon indépendante que ce découpage est correct.

(15) a Paul a acheté [des pommes et des bananes], mais il a oublié d'acheter des tomates.

b Paul a acheté [des pommes, des bananes], mais il a oublié d'acheter des tomates.

c Paul a acheté [et des pommes et des bananes], mais il a oublié d'acheter des tomates.

La relation distributionnelle entre la coordination simple (15a) et la juxtaposition (15b) est ambiguë : on peut penser que la séquence [des bananes] en (15b) commute avec la séquence [et des bananes] en (15a) ou bien que la séquence [des pommes] en (15b) commute avec la séquence [des pommes et] en (15a). La possibilité d'une coordination à redoublement telle que (15c) alternant avec une juxtaposition de type (15b) permet, comme le note Touratier (1990), de lever cette ambiguïté : la conjonction se combine au terme subséquent et non au terme précédent en français. On notera que l'argumentation repose ici crucialement sur l'hypothèse que la conjonction initiale reçoit la même ana- lyse que les conjonctions subséquentes. Comme nous le verrons au chapitre 3, cette hy- pothèse est valide en ce qui concerne le français.

Nous concluons qu'il y a peu d'avantages empiriques à maintenir une structure plate pour les constructions dans lesquelles apparaît une conjonction et admettrons donc que les conjonctions forment toujours un syntagme conjoint avec la séquence subséquente en français2.

2 À ces arguments distributionnels, on ajoute parfois que seule la structure hiérarchique permettrait de

capter (i) le regroupement prosodique de la conjonction avec le terme subséquent (i-ii) (cf. Ross 1967) et (ii) certaine asymétries de liage entre un quantifieur et une variable liée (iii-iv) (cf. Munn 1993, Skrabalo- va 2004). Ni l'un ni l'autre de ces arguments n'est convaincant. Le premier se fonde sur l'hypothèse d'un isomorphisme entre structure syntaxique et structure prosodique que rien ne confirme en français (cf. récemment Bonami & Delais-Roussarie 2006). Le second se fonde sur l'idée que la relation sémantique