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L'analyse syntaxique des coordinations simples

3. L'analyse de la structure coordonnée dans son ensemble

3.3 Les analyses lexicalistes de type X-barre

3.3.5 Évaluation externe : les limites du schématisme X-barre

Comme on le voit, les tentatives de réduction de la coordination à une structure X-barre standard n'aboutissent nullement en l'état à une théorie plus simple de la grammaire comme on a pu le proposer. Quelle conclusion faut-il en tirer ? La réponse à cette ques- tion n'est pas si aisée qu'il y paraît. On peut penser que les problèmes pointés par Bor- sley témoignent du caractère tout à fait spécifique de la coordination par rapport aux autres structures syntaxiques de la grammaire, mais on peut également penser, comme nous le montrons à présent, que ces problèmes témoignent plus généralement de l'ina- déquation empirique de la syntaxe X-barre standard comme modèle de représentation des structures endocentriques.

Nous avons vu que le nombre à première vue illimité de termes conjoints ne constitue pas une réelle difficulté pour les analyses lexicalistes. Nous avons signalé par ailleurs aux sections §2.1 et §3.3.2.2 la possibilité d'analyser certaines conjonctions en japonais et en coréen comme des affixes syntagmatiques échappant de fait aux règles de linéari- sation usuelles qui ordonnent les dépendants par rapport à la tête. Nous montrons briè- vement à présent que les seules révisions du modèle X-barre requises pour rendre

compte des propriétés générales des coordinations simples peuvent en fait être justifiées de façon indépendante.

3.3.5.1 La combinatoire des mots en syntaxe

Il n'est pas clair tout d'abord que la possibilité pour les conjonctions de sélectionner comme dépendants des mots non saturés, et non pas seulement des syntagmes saturés, distingue ces dernières des têtes usuelles. On a ainsi proposé indépendamment des phé- nomènes de coordination de relâcher la contrainte du modèle X-barre qui interdit aux mots non saturés de fonctionner comme dépendants d'une tête lexicale. Les arguments empiriques avancés en faveur de cette proposition se fondent sur deux ensembles de propriétés observées dans diverses langues :

(i) certains contrastes de placement entre les compléments ou les ajouts "nus" (c'est-à- dire de catégorie X0) et les compléments ou les ajouts syntagmatiques (c'est-à-dire de catégorie XP) (voir Sells 1994 et Toivonen 2003 pour des propositions en LFG, Pollard & Sag 1987, Arnold & Sadler 1994 et Abeillé & Godard 1998, 1999, 2000a, 2001, 2004, 2006a pour des propositions en HPSG).

(ii) les phénomènes de monoclausalité dans les tours à prédicat complexe (voir notam- ment Abeillé & Godard 1994, 1996, 2000b, 2002, 2003b, Abeillé et al. 1998a,b, Alsina 1996, Hinrichs et al. 1998).

Les données en (75-76) illustrent le contraste entre compléments nus et compléments syntagmatiques. Les données en (75) empruntées à Pollard & Sag (1987 : 177) montrent que certaines positions sont réservées aux compléments lexicaux en anglais. Les don- nées en (76) empruntées à Abeillé & Godard (2000a) montrent à l'inverse que certaines positions sont réservées aux compléments syntagmatiques.

(75) a I looked (*right) up the answer. b I looked the answer (right) up.

(76) a Paul rendra demain (un dernier) hommage aux victimes. b Paul rendra demain aux victimes *(un dernier) hommage.

Enfin, les données en (77), empruntées à Abeillé & Godard (2003b), illustrent la mono- clausalité des constructions à auxiliaire de temps dans les langues romanes. Les com- pléments cliticisés s'attachent au verbe auxiliaire et non au participe dont ils constituent les arguments, une contrainte qui s'explique bien si l'on admet que le verbe auxiliaire prend comme argument non pas un groupe verbal mais un V non saturé au participe passé, c'est-à-dire un mot, ainsi que les arguments de celui-ci par héritage.

(77) a Jean ne l'a pas vu / *n'a pas le vu.

b Giovanni non lo ha visto /*non ha lo visto / *vistolo. (italien) c Ion nu l-a văzut / *nu a-l-văzut / *nu a văzutu-l. (roumain) d O João não o tem visto/ * não tem-no visto/ * não tem visto-o. (portugais europ.)

e Juan no lo ha visto/ * no ha lo visto/ * no ha vistolo. (espagnol) f En Joan no l'ha vist/ * no ha el-vist/ * no ha vist-el. (catalan)

Si l'analyse de ces données est correcte, la possibilité de combiner les conjonctions à des mots, et non pas seulement à des syntagmes, ne constitue pas une propriété spécifique de la coordination par rapport aux autres structures endocentriques de la grammaire.

3.3.5.2 La notion de tête et la propagation des traits dans un syntagme

Nous avons vu qu'une analyse qui fait de la conjonction la tête de la coordination dans son ensemble requiert des règles additionnelles pour rendre compte de la distribution des coordinations. Il n'est pas clair que ces règles séparent la coordination des autres structures endocentriques dès lors que l'on précise la notion de "tête fonctionnelle" et les principes de propagation de traits qui lui sont associés.

A la suite de divers travaux, nous avons proposé à la section §2.3 d'analyser les catégo- ries mineures (complémenteurs, déterminants, etc) comme des têtes déficientes, au sens où la plupart des propriétés qu'elles transmettent au syntagme projeté sont héritées du terme qu'elles sélectionnent. On rend ainsi compte du fait que la distribution d'un syn- tagme construit sur une catégorie mineure, par exemple un complémenteur, est contrainte non seulement par cette catégorie (78) mais aussi par le constituant avec le- quel elle se combine (79).

(78) a Paul refuse {que Marie vienne / *Marie vienne}. b Paul refuse {de venir / *venir}.

(79) a Paul refuse {que Marie vienne / *que Marie viendra}. b Paul espère {*que Marie vienne / que Marie viendra}

Suivant Paritong (1992), on peut dès lors penser qu'un mécanisme d'héritage apparenté est mis en jeu dans les coordinations. Si la conjonction, en tant que tête, hérite la plupart de ses propriétés syntaxiques des termes conjoints qu'elle prend comme compléments, on comprend mieux que la distribution d'une coordination de NP corresponde à celle d'un NP, la distribution d'une coordination de AP à celle d'un AP, etc. Il est vrai que cette proposition ne rend pas compte en l'état des cas où les termes conjoints ont des

propriétés conflictuelles (partie du discours, mode, etc). Comme nous le verrons au cha- pitre 6, une opération sur les traits syntaxiques des conjoints autre que l'unification est requise pour représenter les coordinations de termes dissemblables. Cette opération est généralement définie sur le noeud mère d'une construction dédiée à la coordination (cf. Sag et al. 1985, Gazdar et al. 1985) mais il est clair qu'on pourrait sans difficulté consi- dérer qu'elle est définie au niveau lexical de la conjonction (voir à ce propos l'analyse de Paritong présentée à la sous-section suivante).

Si les révisions du modèle X-barre esquissées ici sont légitimes, il faut conclure qu'au- cune des propriétés des coordinations simples n'apparaît clairement incompatible avec une analyse qui fait de la conjonction la tête et des termes conjoints des dépendants. La possibilité d'une analyse lexicaliste alternative de la coordination hors du cadre X-barre standard doit donc être envisagée.