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Sommaire du chapitre

1. Propriétés des coordinations canoniques

1.2 Propriétés d'itération

1.2.3 Degré d'identité des termes itérés

1.2.3.2 Coordinations de prédicats

Examinons d'abord les coordinations de prédicats illustrées en (36) et en (37). (36) a Il a [(et) écrit et téléphoné] à Marie maintes fois.

b Il a [(et) vu et appelé] Marie maintes fois.

c *Il a [(et) écrit et appelé] {Marie / à Marie} maintes fois. d *Il {l' / lui} a [(et) écrit et appelé] maintes fois.

e Il nous a [(et) écrit et appelé] maintes fois.

(37) a On ne peut que [(et) constater et consigner] que cette mesure est un échec. b On ne peut que [(et) s'étonner et regretter] que cette mesure soit un échec. c *On ne peut que [(et) constater et regretter] que cette mesure {est / soit} un échec.

d On ne peut que [(et) constater et regretter] que cette mesure constitue un

En (36a,b), les verbes coordonnés imposent des contraintes compatibles sur le complé- ment qu'ils partagent. Les verbes coordonnés en (36a) requièrent un complément nomi- nal introduit par la préposition à, c'est-à-dire un complément datif, et les verbes coor- donnés en (36b) un complément nominal sans préposition, c'est-à-dire un complément accusatif. Comme on le voit en (36c), la coordination d'un verbe à complément préposi- tionnel et d'un verbe à complément direct est exclue car il n'existe aucune forme non clitique en français qui puisse satisfaire simultanément ces deux exigences. On observe qu'une forme à l'accusatif (le) ou au datif (lui) cliticisée à l'auxiliaire en facteur ne per- met pas non plus de résoudre le conflit (36d). Crucialement, la coordination de ces deux prédicats devient possible, au moins pour certains locuteurs, en (36e) lorsque la forme

nous est cliticisée à l'auxiliaire en facteur. On doit donc considérer que cette forme neu-

tralise l'opposition entre accusatif et datif, c'est-à-dire qu'elle apparaît simultanément compatible avec les deux verbes conjoints11.

En (37a,b), les verbes coordonnés imposent le même mode au complément verbal qu'ils sous-catégorisent. En (37a), les verbes conjoints sélectionnent un complément phrasti- que à l'indicatif et les verbes conjoints en (37b) un complément phrastique au subjonc- tif. La coordination d'un verbe attendant une complétive à l'indicatif et d'un verbe atten- dant une complétive au subjonctif est exclue en (37c) car il n'existe aucune forme du verbe être qui neutralise la distinction entre ces deux modes12. On peut considérer que

cette distinction est neutralisée, pour certains locuteurs au moins, avec d'autres verbes tels que constituer (aux personnes 1, 2 et 3 singulier et à la personne 3 pluriel). C'est ce qui explique que la coordination est possible en (37d).

Comme l'ont montré divers travaux en grammaire générative13, le principe de neutralisa-

tion est général, bien que le détail des jugements d'acceptabilité puisse varier d'un locu- teur à l'autre. Il doit être distingué des cas d'homonymie où des entités lexicales diffé- rentes sont accidentellement réalisées par la même forme phonologique. En effet, une forme homonymique ne permet généralement pas de résoudre les conflits tels que ceux illustrés ci-dessus. On contrastera par exemple, à la suite de Pullum & Zwicky (1986 : 758, 761) l'emploi du verbe set en anglais dans les constructions elliptiques en (38a) et (38b). L'agrammaticalité de (38a) montre que la forme set est homonymique entre le

11 Le paradigme original, issu des observations de Sandfeld (1928), est discuté par Kayne (1975 : 100-

102).

(i) Paul l'a frappé et {lui a / *∅} donné des coups de pied. (ii) Paul nous a frappé et donné des coups de pied.

12 Il semble que certains locuteurs acceptent cette phrase lorsque le verbe est au subjonctif. On peut pen-

ser qu'il s'agit là d'une stratégie de résolution par proximité : le mode de la complétive satisfait alors les exigences du dernier verbe conjoint.

13 Il existe une vaste littérature sur la question. Pour un panorama des données et différentes solutions

présent et le prétérit. Elle ne peut donc satisfaire simultanément les exigences des élé- ments conjoints qui requièrent respectivement un verbe au présent et un verbe au prété- rit. La phrase (38b) est en revanche acceptée par les locuteurs. Ce fait suggère qu'il existe, pour les locuteurs en question, une forme set neutre concernant la distinction entre le mode "base" et le participe passé en anglais14.

(38) a *At present the project managers, but in the past the executive directors, set the research priorities.

b %I certainly will, and you already have, set the record straight with respect to the budget.

Il est important de noter que les phénomènes de neutralisation s'observent indépendam- ment de la coordination, comme le montrent les données de l'allemand en (39), discu- tées initialement par Groos & van Riemsdijk (1979). Il existe en effet en allemand dans les tours comportant une relative sans antécédent en fonction argumentale une règle de concordance de cas (case-matching)15. Le cas du pronom relatif antéposé doit concorder

simultanément avec le cas imposé par le verbe enchâssé dans la relative et le cas imposé par le verbe principal avec lequel la relative se combine. La phrase en (39a) est ainsi possible car le cas nominatif du pronom relatif antéposé concorde avec le cas demandé par les deux verbes : le verbe enchâssé dans la relative et le verbe principal. La phrase en (39b) est en revanche agrammaticale. La forme nominative du pronom relatif antépo- sé est compatible avec les exigences du verbe principal qui demande un sujet nominatif mais non avec celles du verbe enchâssé qui demande un sujet datif. Ce type de conflit peut néanmoins être résolu lorsqu'il existe une forme neutre adéquate. C'est le cas en (39c) où le pronom relatif est simultanément compatible avec le cas accusatif demandé par le verbe principal et le cas nominatif demandé par le verbe enchâssé dans la relative.

(1987), Ingria (1990), Bayer & Johnson (1995), Bayer (1996), Dalrymple & Kaplan (1997, 2000), Da- niels (2001), Levy & Pollard (2001), Sag (2002, 2005).

14 Pullum & Zwicky notent qu'il existe des cas isolés où l'identité phonologique suffit à résoudre le

conflit. L'exemple (i) cité dans Sag (2005 : 110, note 3) illustre le phénomène en français. Les conditions qui autorisent une résolution phonologique sont peu claires et semblent du reste constituer un fait de per- formance, comme le suggèrent eux-mêmes Pullum et Zwicky. Nous les laissons donc de côté dans ce qui suit.

(i) Marie [a ou va] [mBjé] (?manger /?mangé) le croissant.

15 Il n'est pas clair qu'une règle de concordance du même type soit requise en français. Certains locuteurs

acceptent ainsi les données en (i-ii) où la fonction du pronom qui vis-à-vis du verbe enchâssé (complé- ment) est distincte de la fonction de la phrase enchâssée dans son ensemble vis-à-vis du verbe principal (sujet). On consultera Desmets (2001, chapitre 2) pour une discussion récente sur ce point.

(i) [Pour qui Paul va voter] m'indiffère.

(39) a Wer nicht gefördert wird muss Klug sein. qui-NOM NEG soutenu est doit malin être. sujet=NOM sujet=NOM 'Celui qui n'est pas soutenu doit être malin.' b *Wer nicht geholfen wird muss Klug sein. qui-NOM NEG aidé est doit malin être. sujet=DAT sujet=NOM 'Celui qui n'est pas aidé doit être malin.'

c Ich habe gegessen was übrig war. J' ai mangé quoi-ACC&NOM restant était compl=ACC sujet=NOM 'J'ai mangé ce qui restait.'