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pare-engagement pour masquer l’odeur de transpiration qu’il dégage. Ainsi, il donne l’impression de respecter l’engagement social olfactif qu’il a pris alors qu’il ne peut s’empêcher de le transgresser d’un point de vue physiologique. Nous sommes dans cette quête de « ne pas perdre la face » (Goffman, 1974) ;

« l’économie relationnelle et symbolique autorisant la vie en société se fonde sur ce respect et ces égards, que l’on doit afficher ostensiblement3. »

Cette perception, moralisée, peut prendre la forme grave de ce que Levinas appelle « l’expérience d’autrui », et qui engage d’un point de vue moral le visage, le regard, le face-à-face. Chacun offre plus qu’une simple image au monde et aux autres, il propose en fait une « façade de l’être » par son corps, et l’apparence qu’il en donne. Or, l’éducation et la société apprennent tôt à chacun des sujets sociaux à « travailler » sur cette apparence, en tâchant d’y faire correspondre une forme de vertu : ainsi, la propreté, la « tenue » et la prestance sont socialement coalescente à la dignité. (Lardellier, 2003 ; p.160)

Notre recherche est donc axée sur l’individu, la représentation qu’il se fait de l’odeur d’autrui dans un contexte communicationnel, ce qui n’a jusqu’à présent pas été étudié de la sorte. Au cours du point suivant, nous allons monter comment nous allons pallier un manque dans la littérature et construire un cadre d’études approprié à cette démonstration.

4. Un cadre d’études : la construction du protocole

Nous aspirons à inscrire notre recherche dans une démarche où les sens sont à l’honneur, où la connaissance est illustrée par la mise en mots de sensations perçues :

En sachant intégrer, d’un point de vue épistémologique, l’expérience sensible spontanée qui est la marque de la vie quotidienne, la démarche intellectuelle pourra, ainsi, retrouver l’interaction de la sensibilité et de la spiritualité, propre par exemple au baroque, et par là, atteindre, au travers de l’apparence, la profondeur des manières d’être et des modes de vie postmodernes qui, de multiples manières, mettent en jeu des états émotionnels et des « appétits » passionnels reposant, largement, sur l’illumination par les sens. (Maffesoli, 2005 ; p.266)

Notre approche méthodologique est de type théorie enracinée, ou encore Grounded Theory (Glaser & Strauss, 1967), nous faisons le choix d’avoir un

3 LARDELLIER P. (2003), Théorie du lien rituel – Anthropologie et Communication, L’Harmattan Communication, p.158-159.

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raisonnement de type inductif. C’est pourquoi, nous avons envisagé qu’il est possible pour un individu de se représenter physiquement et mentalement un interactant en fonction d’un parfum. Partant de ce présupposé, nous avons alors élaboré des situations de communication afin de comprendre comment l’individu parfumé est envisagé en tant qu’acteur communicant par le sujet. Ces situations de communication se réfèrent à différents procédés de socialisation, comme par exemple la salutation, le but étant d’appréhender les caractéristiques communicationnelles des acteurs parfumés.

C’est pourquoi nous avons décidé d’isoler la composante olfactive, le parfum, et d’articuler en fonction de ce dernier des situations de communication afin de comprendre quel est son impact sur la perception des individus qui y sont soumis.

La figure ci-après (Figure 4) représente l’articulation de notre protocole en fonction des différents chapitres développés. L’ensemble de notre étude est basée sur l’imaginaire du sujet (représenté en vert sur la figure), la façon dont il se représente l’acteur parfumé, au cours des chapitres I et II, puis la façon dont il l’envisage en tant qu’interactant, soit au cours des chapitres III, IV, V, VI et VII. Enfin, lors de la dernière phase de notre enquête, nous demandons au sujet de se positionner dans la réalité, d’où le changement d’univers, de l’imaginaire au réel (représenté en orange sur la figure), soit le chapitre VIII.

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Figure 2 : Plan de la partie Théorique de la Thèse

4.1. Une inspiration tirée de la psychologie et des tests projectifs

Ainsi, nous nous inspirons des tests projectifs utilisés en psychologie, leur but étant de soumettre au sujet un matériel, le plus vague possible, afin qu’il puisse construire une représentation de « son monde » au travers de celui qu’on lui propose. De ce fait, le sujet est amené à raconter une histoire grâce au matériel qui lui est offert. La consigne de départ est fréquemment celle de « l’imaginer à partir du voir » (Anzieu et Chabert, 1992), ainsi le sujet est obligé de s’adapter au support extérieur tout en y insérant son monde intérieur. Cependant, nous nous interrogeons sur la capacité du sujet à se créer une représentation mentale d’un individu sur la simple inhalation d’un parfum. Si un parfum suffit à faire que des

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individus soient en mesure d’imaginer une personne, ayant des caractéristiques physiques et sociales, cela signifie qu’ils accordent à leur odorat, beaucoup plus de crédit que nous ne l’aurions supposé. Le parfum communique donc des éléments au sujet qui lui permettent de se façonner une entité qui y correspond. Nous sommes immédiatement dans un rapport communicationnel, axé sur des inférences que crée l’individu en fonction de propriétés olfactives auxquelles il est confronté.

Tout d’abord, nous souhaitons évaluer la nature de la personnalité qu’invente le sujet à propos de la personne parfumée qu’il imagine, selon sa première impression. C’est pourquoi, nous nous référons à la structure factorielle de la personnalité, selon les 16 facteurs envisagés par Cattell, nous avons constitué un questionnaire sous forme d’échelle ordinale, allant d’un adjectif à son contraire, soit un couple d’adjectifs par dimensions, nous avons donc 16 échelles différentes. Le but de cette démarche étant d’établir s’il existe un « profil-type » en fonction de chacun des parfums.

Cette étude empirique a pour objectif de comprendre la vision du sujet quand à l’interactant parfumé au sein d’une communication, nous avons décidé de créer différents contextes communicationnels, basés sur les « rites d’interaction » définis par Goffman (1973, 1974). L’acte de se parfumer entre dans l’image travaillée que la personne veut donner d’elle-même, une « cohérence d’expression », tel que le formule Goffman (1973a), l’individu est à la fois le personnage qui correspond à son soi mise en scène et transperçant aux yeux des autres, ainsi que l’acteur, soit son aptitude a à apprendre et à l’exercer « dans l’apprentissage d’un rôle » en société.

4.2. Une ritualisation des rapports avec un interactant parfumé : la rencontre fortuite

C’est pourquoi nous allons nous attarder sur des rituels de la quotidienneté, en créant des situations de communication, issues des observations goffmaniennes, afin de comprendre qu’est-ce que l’odeur surajoute à l’individu et si son comportement social en est altéré. Ainsi, nous articulons situation de communication et rituel confirmatif comme les « rituels de ratification », qui servent à manifester à un individu dont le statut s’est altéré, que l’exécutant est près à conserver, appuyer, conforter les liens qu’il entretient avec lui, ce sont des

« parades de réassurances » (Goffman, 1973b). La première situation de communication met en scène un rite interpersonnel positif, d’ordre du rituel confirmatif qui existe dans l’ensemble des sociétés humaines, soit la notion de salutation. Cette situation de communication est intéressante, car elle nous donne des informations sur la façon dont le personnage parfumé se comporte en société, sur la voie publique, exposé à autrui en présence de quelqu’un qu’il connaît. Or, en fonction d’une odeur, cette même voie publique diffère, pour un parfum elle est envisagée majoritairement comme se situant dans un milieu rural, alors que pour

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un autre, il s’agit davantage de Paris à l’instar d’autres villes. Les conséquences de cette rencontre ne sont pas les mêmes d’un parfum à un autre, elles peuvent évoquer la joie d’avoir rencontré quelqu’un que l’on connaît comme susciter une indifférence à une situation d’une telle banalité.

Nous verrons qu’en fonction des senteurs, certaines situations de rencontres sont inexistantes, puisque certains protagonistes parfumés refusent d’aller à la rencontre de l’interactant parfumé, dans d’autres situations et en fonction d’autres senteurs, la rencontre est bénéfique, générant une forme de bien-être partagé, aux interactants heureux de s’être rencontrés.

4.3. Une situation d’embarras afin de concevoir les différentes ressources mobilisées

Nous créons une situation d’embarras, afin de permettre à l’interactant parfumé d’avoir recours aux échanges réparateurs développés par Goffman (1973b). Il s’intéresse aux faits que lorsqu’un pied est écrasé, l’offenseur doit se plier à « l’activité rituelle destinée à établir cette signification et orientée vers une pire interprétation possible de ces faits ; l’éclairage ainsi projeté est revendiqué comme le seul légitime». L’activité rituelle permet aux participants de clore l’incident, et de continuer leur route, de rétablir l’équilibre de la situation, pour reprendre le cours de leurs activités. Dans la situation communicationnelle que nous imposons, il ne s’agit pas de pied, mais de café renversé. Certains individus parfumés inventés sont en proie à leur émoi, et selon Goffman (1974), il semble que l’émoi a le pouvoir de détruire les capacités nécessaires à l’interaction. Ce qui est le cas pour quelques types de parfums, alors que pour d’autres c’est l’inverse qui se produit : l’offenseur insulte l’offensé qui se retrouve totalement démuni. Pour un parfum masculin, la réaction la plus commune est que l’offensé trouve la réparation suffisante et de ce fait s’attiré la gratitude de l’offenseur, et démontre que ce dernier « possède au moins un des traits de caractère d’une personne honorable : le sentiment des faveurs qu’on lui fait» (Goffman, 173b).

4.4. Des rencontres formalisées par un cadre laborieux et un cadre événementiel

Par la suite, nous façonnons une situation de communication dans le domaine de l’institution du monde du travail, en établissant un rapport hiérarchique entre le personnage parfumé et la personne à laquelle il est confronté : son supérieur. Ainsi, nous illustrons un nouvelle forme d’identité du personnage parfumé, nous l’intégrons à un système où l’interactant est en attente de la reconnaissance de sa place propre et de ce fait, oblige son interlocuteur à s’inscrire dans le même rapport (Flahaut, 1978). L’interactant parfumé revêt un autre de ses rôles est sous-tendue par l’enjeu de la communication, qui nous renvoie à la conception de Goffman