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38 Chapitre I : Approche psycho-socio-pragmatique de la communication olfactive

I.1. Pragmatique inférentielle et communication olfactive

Parler de prémisses et de communication peut apparaître inapproprié, car la communication est à l’origine même de l’organisation sociale, elle permet aux entités d’évoluer que ce soit dans un sens commun ou divergent. La communication est source de cohérence dans un groupe. Sans communication, le groupe n’existerait pas, chaque élément fonctionnerait de façon disparate et sans aucun moyen de mise en commun. C’est pourquoi toute espèce vivante communique avec les membres de son acabit, ne serait-ce que pour la survie de sa race, et le maintien de l’équilibre de son ensemble.

Ainsi, il faut différencier la notion de communication de celle de langage, ainsi que le précise Corraze (1980), « les langages naturels humains ne sont qu’une forme de communication, et toutes les communications ne sont pas des langages ». Il est clair que dans le cadre de notre sujet de recherche, cette affirmation prend une importance d’autant plus grande, que l’odeur définie comme telle, n’est pas un langage. Certes, des recherches récentes, comme celle de Perrouty (2006), tentent de s’intéresser aux odeurs dans un cadre linguistique, en créant une nouvelle figure de style baptisée « ododémétaphore » en fonction d’une rhétorique des senteurs, mais cette dimension langagière pour les odeurs reste peu exploitée. D’un point de vue éthologique, certains scientifiques se sont emparés du terme « langage » pour définir des systèmes de communication animales, mais ils ont été rappelé à l’ordre par des linguistes tel que Mounin (1970, in Corraze, 1980, p.12).

I.1.1. Une communication olfactive de type interpersonnelle

La communication olfactive nous intéresse sous l’angle interpersonnel, soit lorsqu’elle se déroule entre individus, et non entre enseigne et consommateur.

Avant toute chose il nous paraît nécessaire de définir ce qu’est la communication, en nous référant à la définition d’Abric (1999 ; p.9) : « la communication est l’ensemble des processus par lesquels s’effectuent les échanges d’informations et de significations entre des personnes dans une situation sociale donnée. » Il s’agit donc d’un partage, d’une mise en commun d’informations entre différents individus. Dans cette définition, l’auteur emploie le mot « processus » afin de définir les mécanismes communicationnels, ainsi, il laisse de nombreuses possibilités concernant la nature de cette communication, et il ne mentionne en aucun cas l’obligation pour la communication de se produire selon les systèmes linguistiques humains (donc d’un point de vue verbal, langagier).

Nous envisageons la communication olfactive, comme une communication de type non-verbale puisqu’elle ne bénéficie pas d’échanges verbaux, il est même rare que des individus s’entretiennent à propos de « leurs odeurs », hormis dans un cadre privé. Elle est donc de type interpersonnel et nécessite de ce fait à minima deux

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personnes pour avoir lieu. Cette communication olfactive repose sur une intentionnalité de la part de l’individu qui est parfumé, il cherche à véhiculer des intentions informatives qu’il souhaite perceptibles par la personne à qui elles sont destinées.

I.1.2. Une forme de communication olfactive inférentielle

La communication olfactive, se réfère à un univers sensoriel, possédant une forme de codification de l’odeur, issue de notre culture, de nos préférences olfactives, mais aussi de tout un univers marketing, qui nous donne des odeurs caractéristiques du luxe, qui font que des senteurs plus ou moins musquées, reflèteront un idéal social lorsqu’il s’agit d’un parfum ou un idéal consumériste lorsqu’il s’agit d’un produit. Cependant, nous sommes aussi dans une forme de communication qui se base sur des apprentissages propres à chacun d’entre nous, en fonction de nos expériences sensorielles, structurés par notre culture selon des contextes très différents. Néanmoins, cette forme de communication est permanente, elle engendre des comportements d’approche ou d’évitement, elle nous conditionne à faire ou ne pas faire tel ou tel choix. L’odeur de ce produit détergent nous paraît « sentir le propre », de ce fait nous prenons le produit à la fragrance citronnée plutôt que celle fruitée : une information à été transmise par le biais de l’odeur, l’agissement se fait en conséquence sur la base d’une croyance (le citron est plus propice au nettoyage qu’un autre fruit).

Donc communiquer est avant tout une action commune, où il y a un feed-back (Wiener, 1948), où l’émetteur ne reste pas enfermé dans son statut de source d’informations, où le récepteur ne fait pas que recevoir, mais interprète aussi les données qu’il perçoit. Il est évident que dans le cadre de notre exemple, le produit n’a pas d’interaction à proprement parler, mais il a été créé dans le but de susciter une inférence commune chez le consommateur lambda. Sperber et Wilson (1986) résument bien cette idée, tout en mettant en avant l’évolution du modèle de la communication :

D’Aristote aux sémioticiens modernes, toutes les théories de la communication ont été fondées sur un seul et même modèle, que nous appellerons le modèle du code. Selon ce modèle, communiquer, c’est coder et décoder des messages.

Récemment, plusieurs philosophes, dont Paul Grice et David Lewis, ont proposé un modèle tout à fait différent, que nous appellerons le modèle inférentiel. Selon le modèle inférentiel, communiquer, c’est produire et interpréter des indices.

(Sperber & Wilson, 1986 ; p.13)

Nous rejoignons ces auteurs, le modèle du code (tel que celui évoqué par Shannon et Weaver en 1949), omet un aspect fondamental de l’échange : la relation qui

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s’instaure entre deux individus, soit l’ancrage de ces acteurs au sein d’une société, d’une culture, dans une certaine émotion ou un rapport de pouvoir, en d’autres termes : leur situation psychosociale. Or nous pensons qu’une communication de type olfactive ne peut reposer que sur cette notion d’inférence, où les acteurs de la communication se prêtent mutuellement des intentions, de part ce substrat chimique qui est l’odeur, et dont le code, n’est pas toujours évident à déceler en fonction des variables interindividuelles de chacun.

C’est pourquoi, nous allons à présent, nous référer à un modèle développé par Sperber et Wilson (1986), la pragmatique inférentielle axée sur la théorie de la pertinence et le principe de coopération, afin de mobiliser les différents éléments de cette forme de communication olfactive.

Dans leur analyse de la communication, Sperber et Wilson se basent sur « un dispositif mental de codage et de décodage qui sous-tend à un niveau distinct de capacités linguistiques » (Sperber & Wilson, 1986 ; p.26) et sur le cognitivisme, illustré par le processus inférentiel qui « a pour point de départ un ensemble de prémisses et pour aboutissement un ensemble de conclusions qui sont logiquement impliquées ou, au moins, justifiées par les prémisses» (Sperber & Wilson, 1986 ; p.27). Ils remettent donc en question le modèle du code, tout en l’intégrant à la pragmatique de Grice (1979) qui définit la communication à partir des intentions du communicateur, ce qu’il qualifie de « vouloir-dire » du locuteur :

La communication verbale est une forme complexe de communication. Le codage et le décodage linguistique y jouent évidemment un rôle, mais la signification linguistique d’une phrase énoncée n’encode pas complètement le vouloir-dire du locuteur : le sens aide simplement le destinataire à inférer le vouloir-dire. Le résultat du décodage est à juste titre traité par le destinataire comme un indice des intentions du communicateur. Autrement dit, le processus de codage-encodage est subordonné à un processus inférentiel du type analysé par Grice. (Sperber & Wilson, 1986 ; p.48)

Dans notre conception de la communication olfactive, nous retrouvons cette notion de « vouloir-dire » que nous transposons en celle de « vouloir-faire-sentir ». Nous pensons que l’individu qui surajoute une odeur à soi, est dans une démarche similaire au locuteur qui ne peut communiquer pleinement ce qu’il lui plaît (en terme de senteur) sans que le destinataire lui infère un vouloir-dire, qui dans notre cas se transforme en « vouloir-faire-sentir », voir même « vouloir-faire-ressentir », puisque l’odeur est dans un processus de décodage essentiellement à valeur hédonique (Engen, 1991), soit que ça sente bon ou pas. Le locuteur, ou notre

« porteur » de parfum émet un message qui donne au destinataire des indices des intensions que ce dernier possède. La communication est dite inférentielle, car elle

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n’est possible que si les intentions du locuteur sont inférées par le ou les sujets à qui est destinée la communication.

I.1.3. L’intention communicative olfactive

Sperber et Wilson (1986 ; p.49), s’appuyant sur Searle (1971), ajoutent une condition à la communication inférentielle : il est nécessaire que le locuteur ait l’intention que l’auditeur reconnaisse ses intentions ; soit l’intention que l’auditeur le comprenne en décodant son énoncé. Ces auteurs mettent en évidence l’intérêt du principe de coopération développée par Grice (1975) dans ses William James Lectures :

si l’on reconnaît un certain comportement comme étant un comportement communicatif, il est raisonnable de supposer que le communicateur s’efforce de respecter plusieurs normes.

La connaissance de ses normes l’observation de comportement du communicateur ainsi que le contexte doivent permettre d’insérer de façon précise l’intention informative du communicateur. (Sperber & Wilson, 1986 ; p.57)

Lorsque nous inférons des intentions informatives à une personne, nous lui attribuons une envie de communiquer. Fréquemment, nous doutons du comportement communicatif de l’Autre. D’un point de vue de la communication verbale, il est plutôt aisé de comprendre l’intention communicative de quelqu’un, il suffit qu’il vous adresse la parole pour déceler le fait qu’il souhaite vous transmettre un message. Le phénomène se complexifie lorsqu’il s’agit d’intentions non-verbales, une impression d’intention communicative dénuée de mise en mots. L’intention informative n’est pas toujours évidente à identifier, car elle est fréquemment orientée par les attentes et les attitudes des individus qui la perçoivent. Quand il s’agit de communication olfactive, le locuteur, soit le porteur d’odeur peut véhiculer des informations, prenons l’exemple d’un homme qui se parfume, il est conscient qu’à travers cet acte de parfumage, il surajoute une odeur à sa personne, de ce fait il véhicule l’image d’un homme parfumé. Son intention est certainement celle de ne pas sentir mauvais, voire de sentir bon, mais il paraît probable que ce comportement soit à l’égard d’autrui, aux vue des publicités de déodorants et autre parfums pour homme, l’acte de s’odoriser artificiellement afin de ne pas incommoder une tierce personne, et peut-être même de susciter chez elle une forme d’attirance de par la fragrance choisie. Le sens de cette communication olfactive, sera essentiellement décelé par la notion de prémisses tirées de l’environnement cognitif de chacun que nous allons à présent évoquer.

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I.1.4. L’environnement cognitif olfactif

Sperber et Wilson (1986) insistent sur la notion de prémisses utile à l’interprétation d’un énoncé, donc à la mise en forme de l’intention communicative que nous venons de développer. Ces hypothèses sont sous-tendues par la représentation du monde que possède l’individu interprétant, elles forment un contexte

qui ne contient pas seulement de l’information sur l’environnement physique immédiat ou sur les énoncés précédents : des prévisions, des hypothèses scientifiques, des croyances religieuses, des souvenirs, des préjugés culturels, des suppositions sur l’état mental du locuteur sont susceptibles de jouer un rôle dans l’interprétation. (Sperber & Wilson, 1986 ; p.31)

Concrètement, il est impossible de partager toutes ces expériences qui sont propres à la culture et au vécu de chacun, même l’auditeur le plus appliqué serait dans l’incapacité de trouver l’interprétation exacte, fidèle à ce que souhaitait transmettre le locuteur, puisqu’il ne peut être certain de ces différents éléments.

Cette notion correspond à la thèse du savoir mutuelle qui, poussée à l’extrême, montre que celui qui cherche à communiquer avec autrui cherche l’impossible (Sperber et Wilson, 1986 ; p.35). Dans le cadre de la communication olfactive, ce savoir mutuel correspond à nos expériences olfactives, aux variables interindividuelles de chacun qui constituent nos préférences et nos aversions en termes de senteurs. Wrzesniewski et al. (1999) se sont intéressés à l’influence des bonnes ou mauvaises odeurs sur les places et les choses que nous aimons, ainsi que les individus que nous rencontrons. Ils ont mis en évidence qu’il existait des corrélations entre les différences individuelles sur l’impact de l’influence des odeurs, et les différences d’attention aux odeurs et sur l’impact qu’ont des associations personnelles dans le fait d’aimer ou non une odeur. En d’autres termes que cette influence est tributaire de nos expériences issues de nos variables interindividuelles.

Afin de comprendre l’autre et de lui inférer des intentions communicatives, il est nécessaire d’avoir conscience que chacun possède son propre environnement cognitif, que nous évoluons dans une même situation, mais selon des représentations mentales différentes, selon notre propre environnement cognitif construit en fonction de faits qui lui sont manifestes en d’autres termes perceptibles ou inférables (Sperber et Wilson, 1986, p.65). Ainsi, il est possible pour deux individus de partager un environnement cognitif mutuel, car ils peuvent avoir des capacités cognitives totalement différentes, mais une aptitude à faire les mêmes hypothèses, et donc à prendre conscience qu’ils partagent cet environnement avec l’autre, et que toute hypothèse formulée au sein de cet