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109 Chapitre IV : Le corps - Support sémiotique dans la communication non-verbale

IV.1. Le corps comme support de communication

La communication non-verbale est fondamentale dans notre rapport au quotidien que nous entretenons avec notre entourage. Selon Corraze (1996), il existe 3 types de support pour la communication non-verbale : les corps, les artefacts liés au corps et enfin la dispersion dans l’espace des individus (soit l’espacement entourant le corps d’un individu).

On applique le terme de communication non-verbale à des gestes, à des postures, à des orientations du corps, à des singularités somatiques, naturelles ou artificielles, voire à des organisations d’objets, à des rapports de distance entre les individus, grâce auxquels une information est émise. (Corraze, 1996 ; p.16)

Nous allons à présent nous pencher sur cette notion d’information qui est véhiculée par le corps, et tenter de comprendre comment elle peut-être considérée comme une forme de communication non-verbale, puisqu’elle suppose que cette information soit intentionnelle et surtout partagée, ou transmise. C’est pourquoi, dans un premier temps nous intéresserons à la place du corps dans la communication non-verbale, en prenant soin d’en définir les caractéristiques, puis, par la suite, nous nous interrogerons sur la valeur signifiante de ce support en nous référant à la sémiotique afin d’en comprendre les mécanismes.

IV.1.1.Quel support pour la communication non -verbale ? IV.1.1.1 DEFINITION DE LA COMMUNICATION NON-VERBALE

Communiquer, c’est échanger, partager une information, dans un but précis et, de ce fait, par le biais d’une intention, mais comment cela est-il envisageable sans utiliser le verbal ?

Mac Kay estime, à l’instar d’un système de contrôle par feed-back, que l’émetteur répond à la différence pouvant exister entre ce que fait le receveur et ce qu’il vise à lui faire faire. Si le message envoyé ne réduit pas cette différence à zéro, il faudra en émettre un autre. Bref, l’émetteur va varier son message jusqu’à ce que l’effet souhaité (Sollwert) soit obtenu. (Corraze, 1996 ; p.20)

Ainsi, la communication non-verbale est un processus orienté avec une intention précise que souligne Dunbar (1988, p.180-181) : Kerverne a mis en évidence que si la femelle macaque en œstrus s’apercevait que le mâle ne réagissait pas aux signaux olfactifs qu’elle lui faisait parvenir, elle se mettait alors à utiliser d’autres canaux sensoriels que celui de l’odorat jusqu’à susciter la réaction attendue du macaque mâle. Il y a donc un transfert d’information qui s’adapte à la perception qu’a

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l’émetteur, suite à l’émission du message, du comportement du récepteur, et si la réaction de ce dernier n’est pas celle attendue par le destinateur, il y a une retransmission qui se fait jusqu’à ce que le récepteur ait la réaction adaptée aux attentes de l’émetteur.

La question que l’on peut se poser à présent au sujet de cette communication non-verbale, est qu’est-ce qui appartient au domaine de la communication et non au domaine de l’information lorsqu’il y suspicion de transfert d’information ? Le problème soulevé est qu’il est fréquent que lors d’une communication non-verbale il y ait une mésattribution des intentions de l’émetteur par le récepteur, qu’une personne croit avoir perçu des signaux émanant d’une autre, qui n’était en fait pas du tout dans une démarche communicationnelle. Nous nous questionnons sans cesse, dans nos rapports aux autres quant à savoir ce qui relève ou non de la communication et, sous quelle forme nous devons à notre tour entrer ou pas en communication.

Même s’il nous arrive de répondre à une information, cela ne signifie nullement qu’il s’agissait d’une communication. Enfin, il est hors de question d’attacher la communication de façon exclusive à l’intention consciente, dont souvent nous ne savons rien, mais à des caractères objectifs que nous cherchons à appréhender, même en les provoquant. (Corraze, 1996 ; p.34)

Communiquer non-verbalement en fonction de cette définition de Corraze, relève donc de ce que les acteurs de la situation cherchent à appréhender. Lorsque nous expliquons une situation problématique (par exemple) à une tierce personne, nous la scrutons, ses moindres gestes sont analysés afin d’appréhender ce qu’elle comprend. Concrètement, personne ne peut savoir ce qu’une tierce personne décode du message qu’il lui est transmis, cependant nous essayons tous de nous faire une idée, sur les comportements para-verbaux de notre destinataire. Dans le cadre de notre étude, la notion de communication non-verbale ne réside pas dans la gestualité, ou les attitudes corporelles de l’individu, cette communication se base sur l’image que les interactants se font de leurs représentations corporelles respectives. Or, c’est le corps qui est à la base de ce support para-verbal, le corps en tant qu’unité de représentation, formant un tout signifiant ce que nous sommes.

IV.1.1.2 QUELLE PERSPECTIVES SIGNIFIANTES CORPORELLES ?

Mais qu’est-ce au fond que le corps ? Pour Descartes, le corps ressemble à une machine, il est soumis à des lois, des processus, des mécanismes qui lui permettent un bon fonctionnement. Cependant ce corps renferme un esprit, la pensée qui, elle, est tout à fait indépendante du corps, et fondée sur Dieu (Le Breton, 2005 ; p.69). Il va jusqu’à comparer le corps humain à une dépouille, à refuser de lui appartenir :

« Je ne suis point, dit-il, cet assemblage de membres que l’on appelle le corps

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humain » (Descartes, 1641 ; p.202). Ainsi, au XVIIe siècle, le corps est encombrant, seul l’esprit inspire la reconnaissance. Ce n’est vrai que pour une partie des intellectuels bourgeois, les classes populaires ne font pas cette même distinction entre le corps et la personne. Il existe, à cette période une dissociation du monde entre la raison et la sensualité :

Accéder à la vérité consiste à dépouiller les significations de leurs traces corporelles ou imaginatives. La philosophie mécaniste rebâtit le monde à partit de sa catégorie de pensée, elle dissocie le monde habité par l’homme, accessible au travail segmentaire et répétitif des manufactures où l’homme se greffe à la machine sans réellement s’en distinguer » Le Breton, 2005 ; p.74).

Mais comment ce corps peut-il en venir à communiquer sur ce que nous sommes ? Et bien, selon Bourdieu (1977, 1979), le corps est essentiellement un produit socioculturel et sa représentation est issue d’une part de ce que nous renvoie autrui à son sujet, « mais à certains modèles du corps « légitime » qui régissent l’évaluation de cette image en fonction de la position du sujet dans la structure sociale » (Maisonneuve et Bruchon-Schweitzer, 1981 ; p.9). La perception du corps de l’individu s’adapte donc à sa position sociale, il y a alors une influence de cette position de l’individu sur la représentation de ce corps aux yeux des autres. D’un point de vue plus psychanalytique, Freud estime que le corps de l’individu incarne sa libido. En effet, pour lui,

« Le moi est avant tout un moi corporel, non seulement un être de surface mais la projection d’une surface » et, précise-t-il dans une note additive il peut aussi être considéré comme une projection mentale de la surface du corps à côté du fait qu’il représente la superficie de l’appareil mental – c’est-à-dire sa zone consciente. (Maisonneuve et Bruchon-Schweitzer, 1981 ; p.16)

Le corps devient alors miroir de l’individu, de sa conscience qui se traduit au travers de sa corporalité. Selon Bourdieu :

Le corps fonctionne comme un langage par lequel on est parlé plutôt qu’on ne parle, un langage de la nature où se trahit le plus caché et le plus vrai à la fois, parce que le moins consciemment contrôlé et contrôlable, et qui contamine et surdétermine de ses messages perçus et non aperçus toutes les

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expressions intentionnelles, à commencer par la parole.

(Bourdieu, 1977 ; p.51)

Néanmoins, ce support de signes, est aussi l’enveloppe qui nous permet d’exister, de sentir, de subir le monde au sein duquel nous évoluons.

IV.1.2.Le corps : une transition imposée entre l’intérieur et l’extérieur Nos sens œuvrent, ils nous donnent des informations sur notre univers, sur ce qui nous entoure ; des stimuli que l’individu interprète quand ils sont assez présents pour qu’il y prête attention. Les sens nous donnent à voir, à entendre, à toucher, à goûter, à sentir, ils font le lien entre l’intérieur de ce corps et ce qui l’entoure.

L’information perçue par les sens est donc aussi connotative, elle renseigne à sa façon sur l’intimité réelle ou supposée du sujet qui les émet. La vie quotidienne est ainsi tapissée de qualifications qui que nous attribuons aux personnages que nous croisons. Un halo émotionnel travers tous les échanges et s’appuie sur les intonations de voix, la qualité de la présence, les manières d’être, la mise en scène de l’apparence, etc… (Le Breton, 2005 ; p.103)

IV.1.2.1. LE CORPS COMME MEDIATEUR PERCEPTIF

Lors de l’enfance, nous sommes contraints de nous façonner une représentation du monde, qui dans un premier temps est d’ordre impersonnel, c’est à force d’expériences et d’inductions que cette représentation devient nôtre. Ainsi que le définit Bergson: « Mon corps est ce qui se dessine au centre de ces perceptions ; ma personne est l’être auquel il faut rapporter ces actions » (Bergson, 1939 ; p.44).

Quotidiennement, nous rencontrons physiquement des individus avec qui nous communiquons, nous sommes habitués en fonction des différents usages à serrer des mains, embrasser ou encore serrer dans nos bras : notre corps participe activement à cette communication, cependant nous n’y prêtons guère attention.

Concrètement, notre esprit est sollicité par des préoccupations de tout ordre, nous faisons attention à ce que nous disons, nous participons à différentes activités, néanmoins il est rare de se rappeler que si tout cela est possible, c’est grâce à notre corps. Il est comme absent de cette réalité, alors que s’il n’était pas là, elle n’existerait pas.

Le corps est présent-absent, à la fois pivot de l’insertion de l’homme dans le tissu du monde et support sine qua non de toutes les pratiques sociales, il n’existe à la conscience du sujet que dans les seuls moments où il cesse de remplir ces fonctions habituelles, lorsque la routine de la vie quotidienne disparaît ou lorsque se rompt « le silence des organes ». (Le Breton, 2005 ; p.128)

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L’interaction sociale est ritualisée, conformée à des règles, à des principes de bienséance qui font que le corps se doit d’être maîtrisé. L’homme civilisé, ne doit pas se laisser aller, il doit savoir se tenir et avant tout, tenir son corps au silence, afin de ne pas incommoder ses congénères. Il arrive cependant que le corps prenne le dessus, laissant échapper un bruit, une odeur, une manifestation corporelle

« dérangeante », il prend ainsi le dessus, on lui prête attention, et la honte peut être suscitée par ce corps rendu si présent aux yeux de tous. « Le corps ne doit témoigner d’aucune aspérité susceptible de le mettre en valeur » (Le Breton, 2005 ; p.128).

IV.1.2.2. LE CORPS COMME MEDIATEUR SOCIAL SILENCIEUX

Le corps nous permet d’être, mais la bienséance lui ordonne de disparaître, de n’émettre aucun son susceptible de nous rappeler qu’il est là, et qu’il nous impose des besoins, comme celui de manger, ou encore de déféquer. Le corps est soumis à des nécessités qui lui permettent d’évoluer, de continuer à être en toute sérénité.

Ce corps devient alors montré, par exemple sur les affiches dans la publicité, car pour l’entretenir on a besoin de consommer une multitude de produits, à commencer par les aliments. Le corps est alors « libéré » (Le Breton, 2005), car affiché, mais cette « « libération » du corps se fait sous l’égide de l’hygiène, d’une mise à distance de l’ « « animalité » de l’homme » (Le Breton, 2005 ; p.136), le corps est jeune, beau, propre et musclé, dénué de toute réalité avec la corporalité de la quotidienneté.

Ce corps si nécessaire est parfois si encombrant, dans un lieu clos, comme un ascenseur ou un wagon du métro, on ne sait qu’en faire, où le placer afin qu’il ne prenne pas trop de place, où le positionner afin d’éviter le contact gênant avec celui d’un étranger, une intimité dérangeante et inadaptée.

L’usage veut que la proximité physique engendrée par les transports en commun ou l’ascenseur soit occultée par une feinte indifférence à l’autre. Le regard se pose partout où n’est pas la personne du vis-à-vis. Les regards s’absentent, fidèles à la conduite à tenir dans ces conditions, préoccupés de ne pas attirer l’attention ou de ne pas gêner l’autre. (Le Breton, 2005 ; 137)

Ce corps contrôlé dans nos relations sociales est perpétuellement en représentation : sa tenue lui donne une « plus-value », elle devient quelque chose de monnayable. Pour Bourdieu (1979), le corps devient le support d’une condition sociale, chaque individu, joue en fonction de son statut social un rôle qui est caractérisé par ses attitudes, son port de tête, sa façon de se mouvoir, ou encore les sports auxquels il s’adonne.

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Surchargés de significations et de valeurs sociales, les actes élémentaires de la gymnastique corporelle, et, tout particulièrement, l’aspect proprement sexuel, donc biologique préconstruit de cette gymnastique, fonctionnent comme la plus fondamentale des métaphores, capables d’évoquer tout un rapport du monde, « hautain » ou « soumis », « rigide » ou

« souple », « ample » ou « étroit », et par là tout un monde.

(Bourdieu, 1979 ; p.553)

L’heure actuelle est à la manipulation, la transformation du corps dans le but de le rendre esthétique, plus plaisant à regarder, donner une représentation de soi avantageuse est devenue essentielle.

IV.1.3.La maîtrise du corps : une aliénation des temps modernes

Les individus cherchent à se renvoyer une image d’eux-mêmes plus flatteuse, car la société récompense la beauté et pénalise l’apparence disgracieuse, de ce fait ils cherchent l’embellissement. Selon Schilder (1968), l’homme cherche à changer l’image de son corps, dans le but de le maîtriser, tout en jouant avec l’apparence de ce dernier, en en contrôlant les limites, et en en maîtrisant les changements qui pourraient lui nuire : « ce plaisir est d’ordre narcissique et correspondrait peut-être à un acte masturbatoire transformé » (Maisonneuve et Bruchon-Schweitzer, 1981 ; p.47), l’embellissement de soi serait avant tout source de plaisir.

IV.1.3.1. LE CORPS DOMESTIQUE : TRANSFORME POUR ETRE PLUS AIME D’AUTRUI

Argyle (1975) perçoit la transformation volontaire de l’apparence comme une forme de communication non verbale.

Elle sert à véhiculer diverses informations à propos de soi et constitue un ensemble de signaux à propos du groupe d’appartenance, de l’âge, du sexe, du statut, du rôle social et de la personnalité de l’émetteur. (…) Ce corps « public » et donc destiné au regard d’autrui est très probablement un indicateur des sentiments que l’individu éprouve vis-à-vis de son corps et de lui-même et des sentiments et perceptions qu’il désire susciter chez les autres. (Maisonneuve et Bruchon-Schweitzer, 1981 ; 47)

L’individu cherche l’amélioration de son apparence, pour se rendre plus aimable, plus appréciable par l’esthétisme de son corps et, dans un même temps, son image véhicule des informations sur lui, donc l’individu communique en façonnant sa représentation de lui-même. Des études comme celle de Secord, en 1958, ont montré que des femmes « apprêtées » étaient jugées mieux intégrées socialement et plus féminines. De même que la recherche de Bull (1977) sur les anomalies

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esthétiques a montré que ces anomalies engendraient des jugements différents en fonction de la présence ou non d’une cicatrice sur le visage d’un homme, dans le premier cas, il est considéré comme moins attrayant et plus malhonnête que dans le cas suivant. La finalité de cet embellissement du cops est donc la reconnaissance sociale.

Car l’interaction corporelle nous confronte à l’Autre, à son image, mais plus exactement à l’image que nous en avons, c’est-à-dire l’imaginaire que nous nous sommes créé de ce corps. Picard (1983 ; p.125) paraphrase Lacan : « toute relation est prise dans l’intersubjectivité des protagonistes (…) elle participe du registre de l’imaginaire , marqué par le désir, l’inconscient et le fantasme ». Nous existons, à travers notre corps, subjectivement et objectivement,

Sartre a remarquablement analysé dans l’Etre et le Néant (d’une part, « j’existe mon corps » ; il est une structure consciente de ma conscience, structure qui se confond avec l’affectivité originelle ; mais tant que je suis pour autrui, « autrui se révèle à moi comme le sujet pour lequel je suis objet » ; sous le regard d’autrui, j’ai la révélation de mon être-objet : « J’existe pour moi comme connu par autrui à titre de corps »). (Picard, 1983 ; p.128)

IV.1.3.2. LE CORPS AUX YEUX DE TOUS : L’APPARENCE ET CE QU’ELLE DIT DE NOUS

Notre corps nous est médié par l’autre, par le regard qu’il pose sur nous et l’image qu’il se façonne de notre enveloppe charnelle. Cette notion est reprise dans le chapitre sur la conception du soi (Chapitre II) et l’image que nous nous créons de nous-mêmes en fonction de celle que les autres nous renvoient de nous. Le corps devient comme le définit Baudrillard (1972) un charnier de signes, où le narcissisme exacerbé est une contrainte sociale, le corps doit se plier à des canons esthétiques dont la publicité nous inonde. Simmel (1981) explique combien le regard est porteur de message dans une interaction, que par ce regard bien des choses se disent et que parfois l’œil est plus efficace que les mots pour se forger une opinion.

Mauss (1934) porte son attention sur le corps comme lieu d’« attention au soi corporel, comme lieu et moyen de découverte, émotion, jouissance, et aussi de reconnaissance d’autrui par tous les sens (notamment de l’odeur et du goût de la peau de chacun) à travers des expériences différenciatrices » (Maisonneuve et Bruchon-Schweitzer, 1981 ; p.29).

Le Breton (2005) ne manque pas de souligner que l’apparence peut être masque, et qu’elle ne se suffit pas au regard : sons et odeurs peuvent aussi avoir leur importance dans cette représentation.