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43 Chapitre I : Approche psycho-socio-pragmatique de la communication olfactive

environnement est manifeste pour chacun des individus. C’est donc un environnement cognitif mutuel où toute hypothèse est mutuellement manifeste.

Cette notion est plus difficile à appréhender en termes olfactifs, car l’environnement cognitif mutuel olfactif correspondrait à une sorte de cartographie commune d’un espace olfactif partagé, tel que l’envisage Lawless (1989), mais qui se révèle compliquée, puisque les individus non-experts confrontés aux odeurs ont tendance à les catégoriser en fonction des qualités qu’ils accordent à la source odorante, plus parfois qu’à l’odeur elle-même (Dubois, 2006). Cependant, lorsqu’il s’agit de parfum, comme c’est le cas concernant notre étude, nous pensons que les individus partagent un environnement cognitif olfactif mutuel partiel, issu de la société de consommation qui nous donne certaines fragrances associées à certaines cibles. Soit, que nous sommes habitués à associer une senteur fruitée à une valeur plus féminine que masculine, nous inférons donc que ce type d’odeur correspond à un type de féminité, qui pourrait dans d’autres sociétés être simplement associée à celle de la nourriture. Nous sommes donc conditionnés par notre culture olfactive, mais plus encore par l’odeur des produits que l’on nous donne à consommer et que nous associons de ce fait à cet environnement cognitif olfactif mutuel partagé.

Certes, ce dernier se compose aussi de nos propres expériences olfactives tirées de notre mémoire olfactive, ou encore d’images olfactives (Köster, 1971), qui restent des faits difficiles à mette en commun, c’est pourquoi nous soulignons encore le caractère partiel de cette environnement cognitif olfactif mutuel.

I.2. Processus de communications olfactives

Communiquer est donc une action cognitive, mobilisant des ressources afin de se

« faire comprendre », donc de partager avec autrui ses capacités cognitives sous forme d’hypothèses mutuellement manifestes, tout en maximisant la pertinence de l’information traitée. Ghiglione et Trognon (1993 ; p.19) mettent en avant que l’approche de Sperber et Wilson (1989) est fondamentalement différente des autres approches communicationnelles, car elle prend en compte la cognition et la mémoire :

Certes, disent-ils, dans l’élaboration de leurs représentations du monde les humains sont limités par les capacités cognitives propres à l’espèce. Certes les membres d’un groupe culturel partagent un certain nombre d’expériences, d’enseignements et d’attitudes, mais au-delà de ce cadre commun chaque individu tend à développer un savoir qui lui est propre. Alors que les grammaires neutralisent les différences entre des expériences dissemblables, la cognition et la mémoire rajoutent des différences à des expériences identiques. Un des problèmes centraux de la pragmatique est de décrire comment l’auditeur trouve pour chaque nouvel énoncé un contexte qui permette de le comprendre. Un locuteur voulant que son énoncé soit

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interprété d’une certaine façon doit avoir des raisons de penser que l’auditeur pourra fournir le contexte menant à l’interprétation voulue. (Sperber & Wilson, 1986 ; p.32)

Il faut donc être dans une démarche commune, partager des notions connues par l’autre afin de maximiser ses chances d’être compris. Il n’est pas rare qu’une plaisanterie tombe « à plat », parce que l’auditoire ne connaît pas la référence qui crée le caractère amusant du message. Il est donc essentiel de partager un savoir commun, ne serait-ce qu’une langue ou un code, afin d’entrer dans une phase de compréhension. Cette démarche est complexe d’un point de vue de la communication olfactive, puisque nous avons souligné à plusieurs reprises le caractère très subjectif des odeurs et tributaires des expériences olfactives de chacun. Néanmoins, nous sommes persuadée qu’il existe une forme de savoir commun qui se base sur l’ensemble des parfums auxquels nous sommes quotidiennement confrontés et qui forment notre « éducation olfactive » : une découverte inscrite dans un monde de senteur prédestiné en fonction des cibles marketing illustré dans leur publicité.

I.2.1. Une communication axée sur la cognition et la mémoire

Cependant communiquer ne s’arrête pas à une mise en commun, il faut capter l’attention de l’autre sur ce que l’on veut lui faire comprendre. Selon Sperber et Wilson (1986) l’individu prête automatiquement attention à ce qui lui semble le plus pertinent, ainsi il a un comportement ostensif qui lui permet d’inférer des pensées qui lui garantissent des pertinences. Ils caractérisent l’inférence comme

« une forme de fixation de croyances » (Sperber & Wilson, 1986 ; p.107), lorsqu’une hypothèse est validée par l’individu, elle devient une croyance envers la conception de son environnement cognitif. Là encore, nous pouvons faire un parallèle avec la communication olfactive, car lorsque nous percevons une odeur, nous nous retrouvons au cœur d’une scène olfactive (Holley, 1999), soit d’un environnement d’où émane une odeur perçue, cependant cette scène est composée d’éléments multiples, certains inodores, d’autres pas, vient ensuite une recherche de la source odorante de l’odeur en question. Cette action est une quête de sens, envers l’odeur sentie, par exemple si l’individu perçoit une odeur de viennoiserie, il y a fort à parier qu’il cherche consciemment ou pas une boulangerie ou un café dans les alentours de sa position. Il perçoit un signal odorant, qui pour être pertinent doit être recontextualisé.

Ainsi, certaines hypothèses proviennent d’informations sensorielles, de représentations sensibles de niveau « inférieur » qui doivent être traitées par le système d’input afin de les rendre en représentations conceptuelles de niveau

« supérieur » qui possèdent le même format indépendamment de leur source sensorielle d’origine et qui peuvent de ce fait, être comparées par les processus

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centraux aux informations provenant de la mémoire. Concrètement une information olfactive émanant de votre interlocuteur lors d’une conversation « face à face », comme une forte odeur de transpiration, peut être traitée comme hypothèse de tension ou de saleté. Vous conscientisez une représentation sensorielle en une représentation conceptuelle de niveau supérieur, soit une croyance au niveau de l’anxiété ou de l’hygiène de votre interlocuteur que vous intégrer à votre espace cognitif pas le biais de la mémorisation de cet élément.

Notre mémoire est essentielle dans notre faculté à se représenter le monde, elle nous permet d’archiver des données, de les comparer à des informations et de renforcer ou d’affaiblir la confiance que nous accordons à certaines hypothèses que nous pouvons avoir. Les informations qui composent notre mémoire sont de trois ordres : les informations logiques, encyclopédiques ou lexicales. Les informations logiques correspondent aux règles déductives énumérées par un concept qui s’appliquent aux formes logiques dont ce concept est élément, les informations encyclopédiques concordent avec les éléments qui dénotent ou étendent le concept, et enfin les informations lexicales équivalent au mot ou au syntagme qui exprime le concept (Sperber et Wilson, 1986 ; p.135). C’est ainsi que naît la notion de « dispositif déductif » de Sperber et Wilson, en fonction des règles déductibles applicables aux hypothèses d’un concept qui formatent les prémisses d’une déduction. La mémoire olfactive est très spécifique, car solidement ancrée dans un rapport émotionnel (Hatt &Dee, 2009), dû à sa situation dans notre cerveau, proche du système limbique ; où les émotions sont produites, ce qui rend ce dispositif déductif olfactif empli de potentiels ressentis.

I.2.2.. La théorie de la Pertinence : une théorie ancrée dans la contextualité

Pour que cette déduction soit pertinente, il faut que les hypothèses aient des effets contextuels dans un contexte particulier, car l’effort pour traiter cette hypothèse sera moindre si cette dernière possède des effets contextuels au sein du contexte où elle est traitée. Cependant,

les effets contextuels et efforts de traitement sont des aspects non représentationnels des processus mentaux. Efforts et effets existent, qu’ils soient ou non l’objet d’une évaluation consciente, qu’ils soient ou non conceptuellement représentés.

Lorsqu’ils sont représentés, c’est sous la forme de jugement comparatif. Ces jugements sont intuitifs ; ils reposent sur la sensibilité constante à certains paramètres physico-chimiques. (Sperber et Wilson, 1986 : p.199).

Le contexte est un élément qui est en mouvement, qui évolue au cours du processus de compréhension de l’individu, en fonction du choix et de la révision de

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ces hypothèses, par le biais des informations qu’il a emmagasinées dans sa mémoire et qui lui permettent de comparer les éléments qu’il perçoit avec ce qu’il connaît déjà. Sperber et Wilson insistent sur le fait qu’il existe différents contextes : un contexte minimal, immédiatement donné, puis d’autres contextes qui deviennent accessibles tout en exigeant un certain effort de la part de l’individu, ainsi, plus un contexte est accessible, moins l’effort requit pour y accéder est grand.

Nous soutenons que l'individu vise automatiquement à maximiser la pertinence, et que c’est l’estimation de cette pertinence maximale qui influe sur son comportement cognitif.

Pour maximiser la pertinence d’une hypothèse, il faut choisir, le meilleur contexte de traitement possible, c'est-à-dire le contexte qui permet d'obtenir le meilleur rapport entre efforts et effets. (Sperber & Wilson, 1986 ; p.219)

La théorie de la pertinence ne s’arrête pas à une communication verbale, mais s’applique également lors de la réception de certains phénomènes et stimuli. Par exemple lorsque l’on perçoit une odeur de gaz, il est clair que ce stimulus accaparera plus l’attention d’un utilisateur de gaz, ainsi l’individu construit une hypothèse autour de cette odeur, il y aura donc un traitement infra-attentionnel automatique de ce stimulus engendrant une attention automatique due aux effets cognitifs produits.

I.2.3. La communication olfactive : une communication ostensive inférentielle

Un stimulus ou phénomène doit avoir les mêmes qualités que les hypothèses vues précédemment : avoir des effets contextuels en accord avec le contexte, et un faible effort suscité pour le traiter afin de favoriser sa pertinence. Ces stimuli servent à rendre mutuellement manifeste une intention informative, dans le cadre de l’odeur de gaz, on souhaite informer du risque qu’il y ait une fuite, donc on mobilise des ressources cognitives par ce stimulus dans le but d’avertir sur le risque encouru.

Ces stimuli ostensifs, comme nous les appellerons, doivent satisfaire deux conditions : ils doivent d'abord attirer l'attention des destinataires ; ils doivent ensuite diriger cette attention sur les intentions du communicateur. La communication ostensive inférentielle ne peut pas se produire à un niveau infra attentionnel ; elle repose obligatoirement sur la construction des représentations conceptuelles et sur la mobilisation des processus de penser centraux. C'est pour cette raison que la plupart des stimuli utilisés dans la communication ostensive sont des stimuli qui s'imposent l'attention : il s'agit typiquement de bruits forts et soudains tels que des cris ou des sonneries ;

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des stimuli visuels frappants tels que des gestes, des lumières clignotantes ou des affiches aux couleurs vives ; des stimulations tactiles vigoureuses telles qu'une tape sur l'épaule ou un tiraillement de la manche. (Sperber & Wilson, 1986 ; p.231)

Un acte de communication ostensive ne peut se produire sans le consentement du destinataire, qui est de prêter attention au stimulus qui doit orienter cette attention sur les intentions du communicateur. Voilà encore une notion clé de notre recherche, nous pensons que se parfumer, peut-être un fait de communication ostensive inférentielle, destinée à l’égard d’autrui, ayant pour but d’attirer l’attention sur soi par le biais d’un parfum et de véhiculer une image que l’autre se fera de soi par le biais de son odorat en fonction de ses préférences olfactives.

En d’autres termes, lorsque nous prêtons attention à quelque chose, nous le faisons en imaginant que cette chose est pertinente pour nous, cependant nous sommes conscients que cette chose à été créé par un communicateur dans le but d’être pertinente à notre égard. Ainsi, « un acte de communication ostensif communique automatiquement une présomption de pertinence » (Sperber & Wilson, 1986 ; p.235), qui dépend de deux éléments : que les effets qui doivent êtres obtenus sont suffisants et donc valent la peine d’être traités, et que l’effort minimal demandé est suffisant pour aboutir à ses effets.

Nous récusons la conception selon laquelle la pragmatique reconstituerait un ensemble dénombrable d’hypothèses, certaines explicitement exprimées, d’autres implicitement véhiculées, mais chacune individuellement voulue par le locuteur. Nous avons soutenu, au contraire, qu’il existe un continuum de cas, allant des implications dont le locuteur veut que l’auditeur les reconstitue exactement jusqu’aux implications que le locuteur veut seulement rendre manifeste, et même jusqu’à d’autres modification de l’environnement cognitif mutuel du locuteur et de l’auditeur, modifications produites par l’énoncé et voulues par le locuteur seulement au sens où celui-ci voulait que son énoncé soit pertinent, et ait donc des effets cognitifs riches et pas forcément prévisibles. Les pragmaticiens et les sémioticiens qui ne prennent en considération que les formes les plus fortes d’implications ont une image sérieusement déformée de la communication verbale. (Sperber & Wilson, 1986 ; p.301)

Selon Sperber et Wilson (1986), l’essentiel dans la communication, c’est que les intentions informatives du locuteur soient reconnues par le destinataire, ainsi il y a un acte de compréhension mutuelle où l’important est de maximiser la pertinence des propos du locuteur afin de favoriser l’entendement. Ghiglione et Trognon (1993) souligne le fait que ces deux auteurs, ne se posent en aucun cas la question du « pourquoi communique-t-on ? ». Ils citent Watzlawick (1967) : « on ne peut pas