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VI.1. Odeur de soi

VI.1.1.3. ODEUR CORPORELLE ET VALEUR MORALE

Low (2009) souligne que l’odeur raisonne souvent avec la notion de valeur morale, comme si le fait de sentir bon influençait positivement la perception de notre vertu.

La puanteur de l’autre peut-être considérée comme une « violation sociale » puisque l’odeur agresse l’individu qui de ce fait ne peut s’empêcher de ressentir du dédain à l’écart de la personne odoriférante. Le fait de sentir bon ou de ne pas sentir du tout est surtout le symbole que l’individu est capable de se prendre en charge, s’il se met à sentir mauvais, c’est aussi une façon de montrer ses faiblesses quant à maîtriser son être en adéquation avec les critères actuels. Selon Synnott

12 « Je mets en avant les liens entre l'odorat et la morale afin de démontrer que l'odorat en tant que vecteur social est entrelacé avec d'autres catégories : «saleté», «dégoût» et «souillure». Ces derniers expriment le «fonctionnement olfactif» de la société, avec une emphase sur l'hygiène, la propreté et la tolérance olfactive. »

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(1993) l’odeur n’est pas simplement un phénomène physique, c’est aussi un phénomène moral :

We judge people the same way as we judge food and the enivronment. If person smells « bad », or deviates from the olfactory cultural norm, the odour may be a sign that there is something wrong with their physical, emotionnal or menthal health. The odour is a natural sign of the self as both a physical and moral being. The odour is a symbol of the self13. (Synnott, 1993 ; p.190 in Low, 2009 ; p. 46)

L’odeur est donc selon Synnott (1993) une forme symbolique qui découle de notre perception de cette odeur, attribuant des traits positifs ou négatifs en fonction de notre appréciation de cette dernière à l’individu auquel elle est associée. Low (2009) se réfère à Darwin (1965) qui a exprimé cette situation par la notion de dégoût social généré par une odeur et souligne le fait que l’expression que nous adoptons est de retrousser notre nez ainsi que notre lèvre supérieure, cette mimique étant accompagnée de l’expulsion de l’air comme si nous cherchons à nous débarrasser de cet air « nauséabond ».

VI.1.1.4. ENTRE RITES RELIGIEUX ET RITES OLFACTIFS

Pour les sociétés arabo-musulmanes il existe de nombreux rituels qui nécessitent l’usage de matières odoriférantes, par exemple, les pratiques religieuses nécessitent une « propreté » totale, le croyant doit faire attention à son haleine et doit pratiquer des ablutions avant tout acte religieux : que ce soit une ablution mineure avant chacune des cinq prières (on se lave le visage, les mains jusqu’au coudes et les pieds et chevilles), ou l’ablution du corps entier qui est nécessaire suite à comportement de pollution comme un acte sexuel ou encore le contact d’une chose ou d’un animal impur. Des parfums, ou encore des amulettes odoriférantes peuvent être utilisés comme protection à l’égard des différents dangers qui peuvent survenir dans la vie d’un individu. D’ailleurs, dès son plus jeune âge, le nouveau-né est entouré par un univers odoriférant : « ce sont des massages, des fumigations, des graines mises sous son oreiller et dans des sachets posés près de sa tête » dont leur but est de protéger l’enfant (Aubaile-Sallenave, 2004 ; p.184). Puis lors de son mariage, il sera décoré au henné, la jeune fille sera purifiée pendant une semaine avant l’union pat le biais d’ablution et de parfumage :

13 « Nous jugeons les gens comme nous jugeons la nourriture et l’environnement. Si une personne sent «mauvais» ou dévie de la norme culturelle olfactive, l'odeur peut être l’indication d’un problème physique, émotionnelle ou mental chez cette personne. L'odeur est un signe naturel du soi, à la fois comme être physique et comme être moral. L'odeur est un symbole du soi. »

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Les soins qu’on lui accorde ont pour objet la consommation heureuse du mariage. Ceux-ci consistent à lui laver les tous les jours les cheveux , après les avoir imprégnés d’un mélange de poudre de henné et safran – tous deux chargés de baraka-, de pétales de roses, de girofle, de mousse de chêne, de coriandre, de souchet (Cyperus), de lavande, de mélilot, toutes plantes parfumées et par la même pleine de pouvoirs. (Aubaile-Sallenave, 2004 ; p.187-188)

L’odeur a un pouvoir identique à celui que nous avons vu précédemment dans les sociétés du Pacifique sud, elle purifie, ses qualités hédoniques procurent à l’individu qui les porte, bienveillance et protection, elles l’accompagnent à travers sa vie, agissant comme un talisman contre les choses néfastes susceptibles de se produire.

La santé sent bon à l’inverse de la maladie, ce qui est sain sent bon, alors que ce qui sent mauvais fait dépérir : « ces pratiques odorantes confèrent au corps une personnalité nouvelle dont la fonction joue un rôle majeur dans les savoirs magico-religieux et les relations sociales. » (Aubaile-Sallenave, 2004 ; p.191).

VI.1.2. La mise en valeur de soi par l’odeur

Le fait d’importuner l’autre par ses odeurs corporelles, souligne l’incapacité de l’individu à maîtriser son corps en fonction des normes hygiéniste de notre société :

« Ideas of cleanliness, hygiene, purity and pollution relate to our sense of order and control. Dirt is, essentially disorder14 » (Seymour, 1998 ; p.155). L’individu qui sent mauvais est alors mis à l’écart, stigmatisé, comme n’étant pas à même de maîtriser son enveloppe corporelle et imposant son animalité aux nez de tous.

Low (2009) cite Synnott (1993 ; p.194) « smell is not simply an individual emission and a moral statement, it is also a social attribute, real or imagined 15». L’odeur n’est pas simplement physiologique, elle nous informe et nous dévoile : « olfactory communication provides embodied articulations of social relations as well as ideas of the self16 » (Low, 2009 ; p. 169). L’odeur fait donc partie intégrante de la représentation de soi, elle est un autre vecteur de signification sur sa personnalité et l’identité du soi.

14 « Les idées de propreté, d'hygiène, de pureté et de pollution touchent à notre sens de l’ordre et du contrôle. La saleté est, essentiellement désordre. »

15 « L'odeur n'est pas simplement une émission individuelle et un rapport moral, c'est également un attribut social, vrai ou imaginé ».

16 « La communication olfactive fournit les articulations incluses aux relations sociales aussi bien que les idées du soi».

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VI.1.2.1. ENTRE AGREMENTS ET IMMANENCE : L’ACTE DE SE PARFUMER Pourquoi l’individu se pare-t-il de parfum ? Quel intérêt y a-t-il à ajouter une substance odorante à son être ? Selon Gell (2006 ; p.26), le parfum est un artefact qui sert à la communication sociale, et qui peut véhiculer un message, mais dont la signification est due à son contexte, qu’il « soit ce qui procure du sens à l’« odeur-signe » ». Selon cet auteur, porter du parfum, signifie bien des choses, de même que ne pas en mettre est tout aussi signifiant.

Parler de code, de message, d’émetteur et de récepteur est, par conséquent, inapproprié dès lors qu’il s’agit de parfum. La signification réelle de l’habitude de se parfumer réside moins dans la fonction de communication sociale qu’elle pourrait remplir de manière contingente que dans l’acte même de se parfumer. (Gell, 2006 ; p.27)

Le parfum est représenté non pas par les fragrances qui le composent mais toujours le contexte auquel il appartient, la situation dans laquelle il est présent : le parfum

« est une instanciation d’« odeur-signe » permettant d’accéder indirectement à une expérience qui n’a pas son équivalent dans la vie réelle». Mais quel est alors le rôle du parfum ? Gell (2006 ; p.28) nous propose « une évasion partielle hors de l’immanence ». Le parfum est ce qui génère un contexte de séduction, mais se situant hors de la réalité puisqu’il est à l’origine d’une mise en scène imaginaire, comme l’appelle Gell (2006) c’est un schème de la « vie enchantée ». Cependant cette proposition de « vie enchantée » est inaccessible, en revanche le parfum nous la suggère par cette odeur typique :

Il semble alors que les sphères, habituellement séparées, de ce qui existe et de ce qui transcende l’existant viennent à se rencontrer. C’est par l’intermédiaire de l’olfactif qu’elles communiquent entre elles. (…) C’est sur quoi je souhaitais insister en disant plus haut que le sens de cette habitude de se parfumer ne réside pas dans sa fonction de communication sociale ; il est tout entier contenu dans l’acte même de porter du parfum. Le parfum communique moins en effet, qu’il ne fait communiquer deux mondes : le monde réel et le monde d’ailleurs ou monde « enchanté ». L’ouverture de cette voie de communication est de bon augure : elle laisse présager un bousculement des limites et des frontières, une transformation des contextes. L’idéel peut alors croiser le réel et finir par se confondre avec lui. (Gell, 2006 ; p.28-29)

Selon Simmel (1981), le parfum qu’il spécifie d’artificiel, ajoute à la personnalité quelque chose d’externe qui paraît pourtant émaner d’elle-même : « celui qui est proche plonge dans cette atmosphère ; il est en quelque sorte pris dans la sphère

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de la personnalité ». Le parfum est alors un artifice alliant le sacré au social, il nous donne une forme de transcendance de nos charmes qui se dégagent au-delà de notre enveloppe corporelle, jusqu’à s’immiscer au plus profond de l’être sensible de celui qui nous sent.

C’est en cela qu’il constitue une manifestation typique de la stylistique, une dissolution de la personnalité dans des caractères généraux qui cependant en expriment les charmes d’une façon beaucoup plus pénétrante que ne pourrait le faire sa réalité immédiate. Le parfum recouvre l’atmosphère personnelle, la remplace par une atmosphère objective tout en attirant l’attention sur elle. (Simmel, 1981 ; p.238)