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167 Chapitre VI : Odeur de soi, odeur de l’autre : entre attirance et rejet ?

chez la femme et auxquels on prête bien le pouvoir d’attractants sexuels. (Aron, 2000 ; p.133-134)

VI.1.2.4. ODEUR ET SORCELLERIE

Comme nous l’avons vu l’odorat est un sens dénigré dans nos sociétés, car souvent considéré comme un sens « animal », dénué d’intellect, l’odorat peut-être envisagé comme le sens de la manipulation inconsciente de nos instincts primaires. En 1770, une loi britannique stipula :

Toute femme, quels que soient son âge, sa profession, son grade, jeune fille, épouse ou veuve, qui, à compter de ce jour aura attiré, séduit et conduit traîtreusement au mariage un sujet britannique en usant de parfums, de maquillage ou d'autres lotions cosmétiques, d'une dentition artificielle, d'une perruque de laine espagnole, d'un corset de fer, de chaussures à talons ou de rembourrages divers, risquera les peines prévues par la loi contre la sorcellerie et autres délits semblables; et le mariage incriminé sera déclaré nul et non avenu. (Goody in Le Breton, 2006 ; p.246)

Le parfum, dans cette situation-là, peut-être considéré comme acte de sorcellerie, puisque la femme qui séduit un sujet britannique par cette manipulation insidieuse, peut voir son mariage annulé sous prétextes d’usage d’artifices trompant son mari sur les réelles qualités de cette dernière. Le parfum exerce un pouvoir falsificateur de l’être dans ces conditions.. Les odeurs « fournissent des métaphores dans tous les domaines de la vie sociale, morale, intellectuelle et religieuse, offrant un éventail sémantique très ample, depuis les sens les plus triviaux jusqu'aux images les plus élevées de la cosmologie religieuse et mystique » (Aubaile-Sallenave, 1990 ; p.115).

Cette notion nous permet d’enchaîner sur le point suivant : la place de l’odeur dans la sexualité, et qu’est-ce qui fait que nous nous soyons attirés par certaines odeurs corporelles, en fonction de quels mécanismes ?

VI.2. Odeur et attirance sexuelle

Selon Grammer, une femme sait en 10 secondes, si elle souhaite ou non flirter avec un homme, c’est-à-dire que « soit l’étincelle jaillit immédiatement, soit elle ne viendra jamais » (Hatt &Dee, 2009 ; p.95). En d’autres termes, la femme, ou plus exactement son cerveau, est programmé pour se faire une représentation de quelqu’un en quelques secondes, uniquement en se basant sur ce qu’elle perçoit de son apparence. L’odeur joue donc un rôle prépondérant dans les interactions sociales, car c’est grâce aux informations qu’elle envoie au cerveau en fonction de l’odeur de l’autre que l’individu percevant est excité ou au contraire écœuré… si tel

VI.2. Odeur et attirance sexuelle 168 Chapitre VI : Odeur de soi, odeur de l’autre : entre attirance et rejet ?

est le cas, il y a peu de chances pour que l’individu à l’odeur écœurante devienne un partenaire sexuel.

Dans le cadre de l’olfaction, certains scientifiques pensent que les hommes sont désavantagés par rapport aux femmes au cours de l’évolution.

Les femmes perçoivent l’odeur de leur partenaire avec une telle intensité qu’une profonde inspiration dans ses vêtements ou dans son oreiller peut suffire à les réconforter quand leur homme leur manque. C’est ce qu’à pu observer Harald Euler, psychologue à Cassel, qui juge ces « phénomènes de réconfort olfactif ont été très largement négligés jusqu’à présent ». (Hatt

&Dee, 2009 ; p.101)

Selon Euler (2007), cette différence entre la perception olfactive féminine et masculine s’explique historiquement, les femmes devaient être plus à même de voir ce qui était comestible ou non pour leurs enfants. De plus, il est possible qu’une femme se sente plus attirée par la tendresse que les hommes qui eux sont plus enclins au sexe, car la femme est dépendante de l’homme pour élever ses enfants.

Néanmoins, les deux sexes sont formels : l’odeur de l’être aimé les remplit de bien-être.

VI.2.1. Processus d’attraction sexuel et olfaction

Mais comment être sûr que l’être aimé est le bon ? Question qui nous taraude tous, et qui à notre humble avis n’aura jamais de réponse viable : être en couple ça signifie être en présence de quelqu’un avec qui nous partageons de nombreuses caractéristiques, cependant, les scientifiques s’accordent pour affirmer qu’en amour, et pour faire des enfants, il faut être le plus différent possible d’un point de vue génétique. Compliqué, donc…

VI.2.1.1. LE ROLE DES PROTEINES CMH

Hatt et Dee (2009) pour comprendre ces mécanismes se réfèrent aux souris, et expliquent qu’en laboratoire les souris ne se préoccupent nullement de l’apparence de leur prétendant, la seule chose qui compte est son « empreinte olfactive ». C’est l’odeur corporelle produite par des protéines du système immunitaire, appelées protéines CMH (car elles sont concentrées dans la région complexe majeure d’histocompatitbilité du génome). Les hommes et les femmes ont eux aussi leurs protéines CMH (spécifique à chaque individu), générant leur empreinte olfactive diffusée par les glandes apocrines et modifiée par les micro-organismes de la peau.

La femme est capable de sentir les différentes structures CMH, elle est donc capable de détecter l’homme qui lui est le plus « adapté ». Cependant, son choix est prédéterminé par les préférences olfactives de son père dont elle a hérité, plus ils sont concordants, plus la femme apprécie l’homme dont sont issues les protéines

VI.2. Odeur et attirance sexuelle 169 Chapitre VI : Odeur de soi, odeur de l’autre : entre attirance et rejet ?

CMH. Un biologiste, Parmentier (1992) a « découvert la trace de gènes actifs de récepteurs olfactifs dans le tissu des testicules » (Hatt &Dee, 2009 ; p.59), la question qu’il s’est alors posée, était de savoir quel pouvait bien être leur rôle. Suite à cette recherche, d’autres ont été menées, et il s’est avéré que les spermatozoïdes étaient capables de sentir des odeurs mais plus particulièrement celle du muguet.

Enfin, il a été mis en évidence que la prostate contenait à son tour des récepteurs olfactifs du nom de PSGR (Prostate spécific G-protein receptor) qui furent sensibles à l’odeur de violette (Hatt & Dee, 2009 ; p.59).

VI.2.1.2. L’ORGANE VOMERO-NASAL ET LES PHEROMONES

Lorsque les animaux sont réceptifs aux phéromones par le biais de leur organe voméro-nasal (OVN), autrement appelé organe de Jakobson, ils font une grimace dite « flechmen » (généralement les mâles réceptifs aux femelles en chaleur), dû au fait qu’ils perçoivent ces phéromones en contractant les muscles des lèvres. Cet organe existe aussi chez l’homme : il se situe à la base du nez, sous la forme de deux petites fossettes, ainsi qu’à l’intérieur de ce dernier. Cependant, à l’heure actuelle, nous ne sommes pas encore certains du rôle des phéromones et de leur impact sur le comportement humain. Cependant, il existe des molécules dont la fonction serait similaire à ce que l’on pourrait attendre de phéromones humaines. C’est le cas de l’androstérone, qui est présente dans la sueur des hommes, et qui, d’après une expérience de Wyart et al. (2007), « provoquait chez les femmes une accélération du rythme cardiaque, une amélioration de leur humeur, une hausse de la tension artérielle et diverses réactions physiques, mesurables à la hausse du taux de cortisone.» (Hatt &Dee, 2009 ; p.127). Concrètement, ils mesuraient le taux de cortisol (hormone du stress) présente dans la salive des femmes testées, puis les scientifiques leur faisaient sentir de l’androstérone et ils vérifiaient les conséquences sur l’humeur des sujets. Cependant, il faut savoir que l’organe voméro-nasal s’atrophie au cours de la grossesse, plus le fœtus grandit, plus la place qu’il occupe diminue, il est donc envisageable qu’au cours de l’évolution, le système de communication de cet organe s’est annihilé, car il n’était plus usité de la même façon. Néanmoins, Hatt et Hummel ont découvert que certaines odeurs activaient d’autres zones cérébrales qu’à l’accoutumée : l’odeur de rose stimule un activité normale suite à la perception d’une odeur de fleur, tandis que celle du jasmin active des zones des amygdales et du cortex frontal, qui sont liées à nos émotions et aux processus de récompense. L’homme est un des rares mammifères, avec les chimpanzés et les bonobos, qui peuvent avoir des relations sexuelles tout en ne percevant aucune odeur (par exemple en ayant le nez bouché), tous les autres animaux sont contraints à percevoir une odeur pour enclencher le mécanisme de la sexualité. Les animaux sont guidés par les phéromones, issus de l’odeur de l’autre en chaleur, qui en fonction de récepteurs spécifiques, amorcent ou non le processus d’accouplement. Qu’en est-il des hommes, existent-ils des phéromones humaines ?

VI.2. Odeur et attirance sexuelle 170 Chapitre VI : Odeur de soi, odeur de l’autre : entre attirance et rejet ?

Une des premières études a été faite sur l’androstérone, substance en forte concentration dans la transpiration des aisselles chez les hommes, vaporisée sur des sièges dans une salle d’attente d’un dentiste (Kirk-Smith & Booth, 1980, in Aron, 2000 ; p.129). Les femmes avaient tendance à s’asseoir en majorité sur les sièges parfumés que sur ceux qui ne l’étaient pas, tandis que les hommes ne manifestaient pas d’attraits distincts pour les sièges parfumés, ou non parfumés, il n’y avait aucune différence. D’autres études ont montré que des molécules comme l’androstérone pouvaient « améliorer l’humeur et la disposition d’esprit des femmes avec les hommes » (Hatt &Dee, 2009 ; p.121), et même leur fertilité, par le biais de la production d’hormones lutéines.

VI.2.1.3. SPECIFICITES OLFACTIVES ET GENRE

La perception des odeurs est donc un processus complexe, nous avons vu que les femmes possèdent un odorat plus précis que les hommes, c’est pourquoi des chercheurs ont tenté de comprendre les mécanismes de cette acuité. Ainsi, l’équipe de Wen Li (in Hatt &Dee, 2009 ; p.133), a montré qu’une femme apeurée était plus performante dans l’identification d’une odeur. En effet, les femmes sentaient des odeurs de rose, très légèrement différente, dans un premier temps, elles ne pouvaient les différencier, puis lors de l’olfaction elles recevaient des petits électrochocs et il s’avérait que par la suite 70% de ces femmes percevait la différence entre les deux odeurs. Nous pouvons dons en déduire que notre odorat est prépondérant dans nos rapports humains, en fonction de ce que nous ressentons, nous nous y fions plus ou moins. Mais quelle est la place de l’odeur dans nos relations intimes, sexuelles, comment informent-elles sur notre excitation ? Selon une étude Texane (in Hatt & Dee, 2009 ; p.135), 90% des hommes trouvent l’odeur d’une femme très séduisante, plus envoûtante pendant leur période d’ovulation. Pour atteindre cette conclusion, des chercheurs ont fait sentir à des hommes de chemises de nuit portées par des femmes durant deux périodes : en phase d’ovulation et à un autre moment de leur cycle ; Singh et Bronstad expliquent ces résultats car, « les chances de reproductions des hommes dépendent essentiellement de leur capacité à trouver des femmes fertiles » (Hatt &Dee, 2009 ; p.135). D’autres études ont montré que des strip-teaseuses gagnaient pratiquement le double de pourboires en période d’ovulation que durant leurs règles, soit de 35 dollars à 70 dollars, l’odeur dégagée durant la phase d’ovulation les rendrait plus sexy.

VI.2.2.Odeurs aphrodisiaques et constructions culturelle s

L’odeur de l’être aimé peut aller jusqu’à déclencher des réactions physiques, comme une érection, parce que la perception de l’effluve de l’autre, émise lors d’une émotion spécifique engendre la mise en route d’une pulsion sexuelle

(Petit-VI.2. Odeur et attirance sexuelle 171 Chapitre VI : Odeur de soi, odeur de l’autre : entre attirance et rejet ?

Skinner, 2006). Ce pouvoir attractif de l’odeur est souvent exploité dans nos sociétés par les agences de communication qui tentent de nous vendre des déodorants et qui tentent de nous faire croire que telle senteur va rendre toute les femmes folles de son utilisateur. Comme si une odeur artificielle suffisait à faire succomber tout un pan de la population mondiale. Néanmoins, ce désir de plaire de par des odeurs « factices » que l’on surajoute à son corps n’est pas spécifique à notre culture.

VI.2.2.1. POTION-PARFUMEES EN POLYNESIE : LE PARFUMAGE DES CHAIRS Nous pouvons prendre l’exemple de la Polynésie, où les matières odoriférantes se prennent sous forme de lotion, potion et vapeur, le but étant de séduire par leur senteur un maximum de prétendants (Petit-Skinner, 2006). A l’identique d’une nourriture ingurgitée, la potion-parfumée se transpire et donc donne une odeur tubéreuse à la sueur corporelle, ainsi, l’individu se parfume « de l’intérieur ». Mais cette technique de parfumage par le biais de ce que la peau exhale ne s’arrête pas là :

Dans toute la Polynésie, les femmes ont coutume d’absorber des parfums en s’installant au-dessus d’un four creusé dans le sol, dont le modèle est commun à toute l’Océanie. Celui-ci est couvert de pierres chaudes sur lesquelles on jette de la chair de coco écrasée, mêlée de fleurs particulièrement odorantes. Une vapeur s’élève alors, que la femme, enroulée dans une natte, reçoit à l’intérieur de son corps, à travers son vagin. Cette technique a pour but de parfumer les chairs de l’intérieur et de faire exhaler au corps des vapeurs parfumées qui créent une sorte d’« aura » qui captive. (Petit-Skinner, 2006 ; p.174-175).

Cette pratique souligne l’importance des odeurs dans la sexualité des Polynésiens, chercher à parfumer son être de l’intérieur, par le parfumage des chairs, n’est pas quelque chose de répandu dans une société comme la nôtre. Peut-être cela pointe le fait que notre culture est dans une démarche de mise à distance de la mauvaise odeur, celle qui émane du corps, que l’on peut cacher, amenuiser, mais en aucun cas changer, tandis que pour les Polynésiens, l’odeur corporelle peut « se façonner » en fonction de ses bains de vapeur et de ces potions. Pour ces sociétés, l’odeur d’une personne correspond à la qualité de sa morale, ce qui est intéressant puisque les femmes cherchent à se créer une aura olfactive, émanant de la fleur, dans le but de conquérir de nombreux hommes. Cette aura olfactive, permet aux individus de se créer une aperçu de l’autre avant même de le connaître plus, le nez ne trompe pas : « pour les Polynésiens, l’odeur est première » (Petit-Skinner, 2006 ; p.180).