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Diagramme: Activités/Statut

3. Les modes d’intervention privilégiés

3.4. Un agir guidé

Il n’y a pas de secret particulier pour enseigner notre métier. C’est dans le travail que l’apprentissage se fait, donc, il faut que le jeune accepte de se fatiguer. Tu lui montre ce que tu fais en cours d’intervention. Ils t’observent. Si c’est un jeune qui aime travailler, attentif et impliquer, il apprend très vite. [Jules MA de mécanique automobile entretien- le 03 novembre 2016]

Comme nous l’avons évoqué dans le point précédent, l’enseignement-apprentissage est une activité coproduite du travail. Les MA ou les AP plus expérimentés s’improvisent modèle ou formateur au cours de l’activité productive. Les AP, chacun au niveau qui le concerne, sont sollicités de manière consciente par le formateur de l’instant (MA ou AP expérimenté) pour participer au travail. C’est là, le moyen principal de l’enseignement apprentissage : l’immersion, l’implication. L’efficacité de cette méthode dépend pour beaucoup de l’implication personnelle et de la motivation de l’AP.

Toutefois, outre cette approche que l’on peut assimiler à la méthode « démonstration-observation-imitation », il existe des moments, situations, dans lesquelles, là aussi de manière volontaire, le MA décide de laisser l’apprenti intervenir. Cependant dans la mesure où ces

149 situations sont réelles et peuvent avoir des impacts immédiats sur les réels, elles sont encadrées. C’est là que la notion d’« apprentissage encadré» introduit par Willingham trouve tout son sens. Pour analyser ces modes d’intervention pédagogique des MA, nous proposons les trois cas suivants.

Premier cas : l’échange se déroule entre Maoda (MA de mécanique automobile) et un apprenti Sidy S. Note d’observation 26 Août 2016. Un particulier se présente au garage. Il vient confier sa voiture pour dépannage. Occupé à finir un travail, le MA charge Sidy S de s’enquérir de la situation. L’échange ci-dessous s’effectue à la suite de l’accueil du client.

Maoda : Alors quel est le problème ? Qu’est-ce qu’il a dit. Sidy S. : Qu’en pleine circulation ; il a constaté qu’il appuyait sur l’accélérateur mais la voiture perdait en puissance. Au même moment, apparait un message d’erreur qui lui dit : « système de contrôle non alimenté ». Quand il a levé le pied sur l’accélérateur et appuyait de nouveau, tout est redevenu normal. Et ce n’est pas la première fois aujourd’hui.

Maoda : Va prendre l’appareil diagnostic et branche le ! (…)

Maoda : Que faut-il faire ? Sidy S. : Entrer les informations.

Maoda : informations ! Quoi exactement ?

Sidy S. : La marque, l’année et choisit une version de diagnostic

Maoda : hum ! Ok fais le. Et ensuite ? Sidy : j’appuie ici pour lancer le test Maoda : Hum !

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(…)

Maoda : ça affiche ? Qu’est-ce que ça donne ? Montre ! (…)

Maoda : ok ! Que faut-il faire ?

Deuxième cas : L’échange se déroule entre Konté (MA de froid) et Assane jeune apprenti. Note d’observation recueillie lors d’une intervention en déplacement chez un client, le 09 octobre 2016.

Konté. : Le bruit que l’on entend, c’est le ventilo. Comment est le tuyau de refoulement ?

Assane : il n’est pas chaud, je dirais tiède,

Konté. : le compresseur ne refoule pas. Vérifie qu’il tourne. Assane : il ne tourne pas non.

Konté. : C’est soit les enroulements qui sont grillés, soit le condensateur qui est cassé. Teste le condensateur d’abord.

Troisième cas : L’échange se passe entre Serigne (MA de mécanique automobile) et ses apprentis, le 23 août 2016

Serigne : Si un client vient ici et vous dit que quand il met le contact, le moteur démarre difficilement, il faut qu’il essaie plusieurs fois. En plus quand, l’accélération est comme entrecoupée et la voiture rejette une fumée noire à l’échappement. Qu’est qui vous vient à l’esprit ?

(…)

Alioune : généralement c’est un problème d’injection qui fait ça ?

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Serigne : comment tu peux en être sûr ? Tu fais quoi pour en être sûr ?

Alioune : je vérifie pour être sûr, j’ouvre d’abord le capot, je lui demande mettre le contact, l’arrivée du carburant. Idy : tu vas trop vite, avant d’ouvrir le capot, je lui demanderais s’il est sûr d’avoir assez de carburant dans le réservoir.

Alioune : c’est pareil, si je vérifie l’arrivée du carburant, j’en saurais quelque chose non.

Idy : le fait que le carburant n’arrive pas jusqu’au moteur peut être de plusieurs origines, donc, il faut vérifier le réservoir et suivre la chaine élément par élément

Serigne : laisse-le finir. Ok ! si il y a du carburant au réservoir, ensuite ?

Alioune : ok, je regarde, s’il y a assez de carburant, je vérifie le turbo, ensuite la pompe, je regarde s’il n’y a pas de fuite. Et si ces éléments donnent correctement. Je regarde les injecteurs. La plupart des problèmes d’injection sont dus à des injecteurs sales.

Serigne : Un autre avis ? (…)

Serigne : Idy !?

Serigne : Supposons que tous les éléments qu’il vient de vérifier soient en parfait état de fonctionnement. Quelle est la prochaine étape ?

(…)

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(…)

Serigne : je suis d’accord sur les principes mais il faut revoir l’ordre de vérification. On commence par les injecteurs. Une double vérification est nécessaire sur le plan électrique et hydraulique pour chaque élément. Ensuite la pompe d’injection, vérifier le fonctionnement électrique et hydraulique. Pour chaque élément il faut vérifier son circuit de commande et son fonctionnement. Ensuite il faut vérifier les capteurs. C’est ce que tu as oublié. Parce que si tous les éléments fonctionnent correctement, les capteurs peuvent être la source de la panne, s’ils ne transmettent pas les bonnes informations.

❖ Constats :

➢ Dans le premier cas, le MA se met dans la position d’un chef d’orchestre. L’apprenti est mis en avant ; il est à la manœuvre. Le MA donne des pistes de réflexion et laisse à l’AP le soin d’aller au bout du raisonnement. Il rectifie si l’AP se trompe et éclaircit au besoin si une idée valide ressort de l’analyse de l’AP. Une chose est remarquable dans l’échange entre MA et AP : tout est annoncé avant une manœuvre quelconque de l’AP. Le MA ne se met pas dans une position dominante. Il associe l’apprenti à la recherche de solution.

➢ Dans le deuxième cas, l’échange disparait. Le MA conduit l’intervention en disant ce qu’il faut faire à l’AP. Même s’il ne s’agit pas d’un exposé classique, la procédure est dictée pas-à-pas à l’AP. Il exécute et remonte l’information au MA qui continue tout seul son raisonnement jusqu’au résultat escompté. ➢ Dans le troisième cas, le MA adopte la position du maïeuticien. Il fait plancher

le groupe sur un cas. Il s’agit d’une situation que certains des AP ont plusieurs fois rencontrée, mais pour le MA, c’est une manière, de lutter contre l’ennui du désœuvrement dans les moments où l’UPI n’est pas trop sollicitée. Par un jeu de questions-réponses, de confrontation d’idées, le MA propose, sans annoncer son intention, un débriefing. Il pose des questions, écoute, corrige, clarifie les réponses qui émergent de la discussion avec les AP.

153 ❖ Analyses :

Pour les deux premiers cas, nous reprenons à notre compte l’expression « démonstration guidée » introduite par Dasen (Dasen, 2002, p. 116) pour qualifier les échanges pédagogiques.

➢ Dans le premier cas, la démarche repose sur que nous appellerons une démonstration guidée inclusive. L’AP est associé dans la recherche de solution. Par conséquent, il participe de manière active à la formalisation de nouveaux apprentissages pour lui-même.

➢ En revanche dans le deuxième, il s’agit de ce que nous appellerons une démonstration guidée exclusive. L’AP participe, mais son avis n’est pas pris en compte. L’apprentissage est possible mais la construction du savoir se fait de manière descendante du MA vers l’AP. Il n’y a aucune sollicitation de réflexion chez l’AP, par conséquent, il est dans la réception et non dans la construction des savoirs.

➢ Le troisième cas repose sur une approche interactive théorique. Par la technique du Brainstorming les AP sont amenés, sans en avoir conscience, à décontextualiser et formaliser les savoirs acquis dans la résolution de cas pratique. Cette position « d’accoucheur de savoirs » repose sur la méthode inductive. Les AP sont les acteurs centraux dans la construction ou la formalisation des savoirs. En effet, à l’entame de la discussion, chaque apprenti avait une connaissance précise sur le cas, mais l’approche les pousse à poser un autre regard sur l’action déjà passée. Au final, elle permet à tout le monde de se faire des certitudes là où le doute subsistait en validant ou réformant ses connaissances sur certains aspects rencontrés lors de l’intervention. Ainsi, à la fin, tous ont les mêmes informations sur les bonnes pratiques.

Comme le souligne Bandura, en milieu social, l’apprentissage suit une logique instrumentale qui voit un individu s’identifier à un modèle dont il intègre les différents caractères à la suite d’une longue période d’exposition. Cet apprentissage se base sur la reproduction des comportements d’un modèle qui ne se considère pas comme un formateur. Il n’y a, donc, pas d’instruction (Tilman & Grootaers, 2006). L’apprenti doit alors développer une forte estime de celui qu’il prend pour modèle. « Ce mode d'apprentissage paraît efficace

lorsque l'objectif est de s’approprier des compétences pratiques complexes » (Tilman &

154 le temps comme c’est le cas en apprentissage traditionnel, mais encore faudrait-il nuancer cette acception de la relation pédagogique entre MA et apprenti. Nos enquêtes révèlent que le modèle démonstration-observation-imitation intervient toujours quand une situation complexe ou inédite se pose. Autrement dit, il s’agit de situation qu’aucun AP dans le groupe ne peut résoudre de manière autonome. Dans ce cas, le MA est obligé de recourir à cette modalité autant de fois que nécessaire jusqu’à ce qu’il sente qu’au moins un AP dans le groupe est en mesure, au cas où le schéma identique se reproduirait, d’intervenir de manière autonome. Le cas échéant, l’AP qui maitrise interviendra sous le regard et avec l’aide des autres.

Dans ce contexte, l’observation et l’imitation restent, selon Tilman et Grootaers, la voie la plus rapide pour l’apprenant de se constituer des modèles d’action pour les situations qui ont suscité chez lui le besoin d’apprendre. Cependant, le procédé observation-imitation présente des limites car, d’après les auteurs, certains tours de main ou raisonnements ne sauraient être acquis par la simple observation. Il en est de même pour la compréhension du schéma mental, dans le cas où le maître ne verbaliserait pas son action. Aussi, dans un contexte d’apprentissage de métiers faisant appel au sens du raisonnement et aux relations interpersonnelles, le modèle de l’observation/imitation ne peut être le seul vecteur d’appropriation du Savoir. Tilman et Grootaers (2006) l’expliquent : « La question du réalisme du cadre dans lequel s’effectue

l’apprentissage pose également problème. Ce réalisme est tout à la fois crucial, difficile et délicat à mettre en œuvre. Crucial parce que l’imitation suppose que l’on puisse observer le "modèle" dans son fonctionnement ordinaire et ses activités habituelles » (Tilman & Grootaers,

2006, p. 42) .

On peut comprendre cette même préoccupation liée au réalisme quant à l’enseignement de certains savoirs avec Chamoux. L’auteure relevait déjà, dans son article paru en 2000, que dans les situations d’apprentissage social où la relation pédagogique est, le plus souvent résumée, à l’observation-imitation, imprégnation, etc., il ne s’agissait pas « pour autant d’un laisser-faire ‘‘naturel’’. »(Chamoux, 2000, p. 21). Certes, les enseignements découlent de situations « de la vie quotidiennes telles que le travail, les sorties, les bavardages, les fêtes, etc. », toutefois, comme le montre Chamoux : « Les personnes présentes, parents, amis, voisins,

etc., transmettent souvent volontairement des bribes de savoir, en fonction du modèle d’adulte et des théories éducatives que la ‘‘culture’’ véhicule».(Chamoux, 2000, p. 21).

Le MAT est tout ce qu’il y a de plus représentatif d’un groupe social. Les MA que nous avons rencontrés revendiquent tous le statut de père, tuteur, oncle, etc., beaucoup plus que celui

155 de formateur. Ils passent près de douze heures, six à sept jours sur sept dans les UPI. On peut, donc, assimiler ce lieu à leur cadre ordinaire de vie, sans risque de se tromper. Il arrive, pour être réaliste dans leurs objectifs d’enseignement, de les voir endosser le rôle d’enseignant pour expliciter quelques situations, même si elles sont dictées par les réalités du quotidien. En effet, l’importance des enjeux techniques, économiques, de sécurité et ou de temps, dans certains contextes, pousse à une recherche d’efficacité qui rend impossible l’acceptation de l’erreur. Donc, il faut minimiser le plus possible l’apparition de cette erreur. Cela fait que les MA, pour faire face à cette limite, endosse le rôle de formateur. Ainsi le modèle démonstration-observation-imitation intervient au tout début d’une situation inédite. Il cède la place à l’agir guidé une fois que le MA sent que les AP commencent à se familiariser avec la situation. Par agir guidé, nous entendons le fait que le maître dans sa démarche met l’AP au-devant de la situation. Il amorce un premier pas vers la responsabilisation de celui-ci sur ladite situation. Cet agir guidé correspond à ce que nous pouvons appeler un moment d’enseignement explicite. Car, il consiste à mettre l’apprenti en situation de manière encadrée. L’agir guidé prend deux formes : une démonstration guidée inclusive et une démonstration guidée exclusive que nous avons mis en évidence précédemment.

Nous proposons, dans le diagramme ci-dessous, de modéliser la relation pédagogique. Nous avons essayé de représenter le degré de directivité des MA et l’implication de l’AP (la place qui lui est laissée) en fonction du caractère plus ou moins routinier de la situation.

➢ En abscisse nous avons la progression de la situation de l’inédit à la situation routinière

➢ En ordonnée nous avons deux flèches représentant l’implication du MA à gauche et l’implication de l’AP à droite.

➢ La courbe pédagogique symbolise la progression de la directivité du MA en fonction de la progression de l’AP dans la maitrise de la situation.

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Diagramme 2: Modélisation de l'évolution de l'action pédagogique par rapport à la fréquence d'un type de situation

Le modèle « démonstration-observation et imitation » constitue la phase d’amorce de l’intervention pédagogique des MA. Il est mis en œuvre au début d’un apprentissage ou sur une situation inédite pour les apprentis. Dans le diagramme, cette phase correspond à une implication maximale du MA et minimale de l’AP. Au fur et à mesure que le caractère de l’inédit s’estompe, le MA progressivement se décharge, en impliquant les AP dans l’intervention. La démonstration guidée commence au moment où le MA atténue son action et implique l’AP. On constate qu’au milieu du diagramme, l’AP commence à prendre une part active à la résolution de la situation. Son implication varie en fonction de son habitude de la situation. L’agir guidé commence dès que le MA consent à laisser l’AP intervenir. La guidance diminue au fur et à mesure que l’AP se familiarise avec la situation. Elle prend fin quand l’apprenti acquiert la pleine autonomie pour intervenir sur des situations similaires ou de complexités proximales.

Qui dit enseignement dit mesure et évaluation acquisitions des enseignés. Dans ce milieu où les faits et gestes sont auscultés à travers les filtres des valeurs socioculturelles,

157 l’évaluation est une activité incessante et diffuse. Aussi constate-t-on chez les MA une application continue de l’évaluation.

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