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Diagramme: Activités/Statut

3. Les modes d’intervention privilégiés

3.3. Une orientation pragmatique revendiquée par les maîtres d’apprentissage

Pour conceptualiser la relation que les MA établissent entre l’apprentissage du métier, le développement de l’agir et la nécessité des confrontations aux situations réelles, nous convoquons la notion d’expérience.

En contexte de travail, la première chose à laquelle renvoie le terme expérience est la pratique, mais cette acception du concept est réductrice. En effet, de l’expérience participent deux processus70 : le premier, actif, correspond à la transformation du monde par la personne : la pratique, et le second, passif, correspond à la transformation de la personne par ce même monde : les apprentissages. Ainsi, comme le rappellent Zeitler et Barbier (2012), l’expérience, plus que la pratique, est, aussi, ce qui en résulte : « une connaissance acquise en pratique » (Zeitler& Barbier, 2012, p. 108).

Pour sa part, Zarifian (2006), au-delà de la routine , assimile aussi l’expérience en

69 « On apprend à cultiver dans les champs »

146 contexte à un « transfert des savoir-faire au sein d’un milieu de métier, c'est-à-dire la

transmission et l’acquisition par la pratique du savoir-faire du métier » (Zarifian, 2006, p. 4).

Cette acception de l’expérience qui va plus loin que celle qui la résume à la pratique du métier prend en compte la place active que la confrontation au réel prend dans la construction des compétences professionnelles. Cette confrontation au réel participe non seulement au développement de l’agir, mais aussi, à celui de la logique pratique des AP. L’expérience du monde professionnel est à la base de la construction de l’habitus professionnel. Or, même si dans sa constitution, elle est faite de schèmes ou compétences incorporées adaptées à une classe de situations et mobilisables sans intentionnalité, conscience et ou volonté (Pudelko, 2012), « l’habitus permet des conduites adaptatives » (Pudelko, 2012, p. 75) à cause de la dualité entre invariance et imprévisibilité qu’inclut la pratique (Bourdieu, 1980; Lenoir, 2007; Pudelko, 2012). Donc, en sus des deux premières acceptions de l’expérience constructrice de compétences pour l’acteur, on peut, aussi, concevoir avec Zarifian, l’expérience, au sens, d’un retour réflexif de l’acteur sur des situations antécédentes dans l’optique d’aide à la prise de décision sur des situations nouvelles. Cela n’est rien d’autre que le développement d’un sens pratique ou logique pratique que Bourdieu met en exergue dans ses travaux.

Nos matériaux ne nous permettent pas de creuser cette dimension réflexive dans la pratique d’apprentissage des apprenants. On peut espérer, cependant, que la formation en MAT grâce à son inscription dans la vie réelle permet tout cela. Car, elle s’appuie sur des confrontations à des situations assez routinières pour développer cette expérience du métier. Aussi les apprentis ont-ils la possibilité, au cours de la formation, d’être confrontés à des expériences assez diversifiées en termes de complexité pour appréhender les différentes facettes de leur métier et de leur future vie professionnelle. Ainsi développent-ils aux contacts des MA, de leurs pairs et des clients des connaissances, des routines, mais aussi des « dispositions à

générer des conduites adaptées face à des situations nouvelles (…)»(Chauvigné & Coulet,

2010, p. 16).

Aussi cette orientation pragmatique de l’enseignement/apprentissage est-elle revendiquée par tous les MA comme on peut lire dans les extraits ci-dessous.

« Le jeune qui sort de mon atelier est meilleur que celui qui sort du centre de formation. À l’école, il y a une dominante théorique et un peu de pratique, alors qu’ici la formation est totalement pratique. L’apprenti qui sort d’ici sait mieux

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travailler comparé à son homologue sorti de l’école de formation » [Extrait d’entretien avec Condé, MA en menuiserie métallique – 11 novembre 2016]

Celui qui veut apprendre, c’est celui qui accepte de se soumettre, celui qui n’a pas peur de l’effort. Il faut exercer pour avoir la maîtrise. Je les fais travailler. [Extrait d’entretien avec Alassane MA de froid– 18 novembre 2016] J’ai reçu ici des jeunes sortis du centre DON BOSCO ou je ne sais plus. Qu’est-ce qu’ils viennent chercher ici à part la pratique. Là-bas, il n’y a pas de pratique, c’est la théorie. Or en menuiserie métallique, il en faut pour savoir travailler. [Extrait d’entretien avec Sidy, MA en menuiserie métallique – 09 novembre 2016]

Le développement de l’agir professionnel dans ses composantes techniques et relationnelles est la visée de l’activité formative des MA. D’ailleurs, ils sont unanimes à fonder la démarcation entre la formation donnée dans les centres de formation formelle et celle donnée dans les UPI sur ce principe. Si on s’en réfère à Charmes et Oudin (1994), c’est de cette orientation que l’apprentissage traditionnel tire son efficacité. Les jeunes qui en sont issus seraient plus prompts, d’après les auteurs, à se mettre à leur compte que leurs confrères issus du milieu de la formation scolaire. Ils l’expliquent par le fait que l’apprentissage traditionnel développe, en plus des compétences techniques spécifiques au métier, des compétences sociales permettant aux AP de se faire une place plus aisément dans le monde productif (Charmes & Oudin, 1994).

L’investigation montre que les MA s’accommodent parfaitement du fait que ce sont leurs activités professionnelles, malgré les contraintes de résultats, qui sont à la base du dispositif d’apprentissage. La conception instrumentale de l’apprentissage est très partagée par l’ensemble des MA. Ils sont conscients qu’en plus d’être leurs sources de subsistance, leurs activités peuvent servir à des fins pédagogiques pour développer des compétences chez les jeunes. L’ingéniosité didactique réside alors dans leur capacité à manager un juste compromis entre leurs obligations économiques et leurs intentionnalités de faire apprendre. Certains d’entre eux le réussissent parfaitement en ayant conscience des enjeux didactiques de leurs actions et

148 d’autre le font de manière implicite, guidés uniquement par leur engagement de faire acquérir un métier aux jeunes.

Les situations professionnelles réelles avec les enjeux économiques et de réputation, deviennent alors entre leurs mains des artéfacts consciemment ou inconsciemment manipulables à des fins pédagogiques. Des situations didactiques en sont tirées pour servir comme instruments de développement de compétences, habiletés techniques et sociales chez les jeunes apprentis. Des stratégies implicites mais cohérentes sont mises en œuvre par les MA en fonction des attentes qu’ils ont en termes d’apprentissages chez les apprentis. Ainsi observe-t-on que dans des moments cruciaux ou des étapes de la formation de l’AP, les MA prennent toutes les dispositions pour mettre les AP dans les conditions pour acquérir de nouveaux apprentissages, développer de nouvelles compétences qui leur permettent d’accroitre leur maîtrise du métier. C’est en cela qu’on peut parler « d’apprentissage expérientiel encadré » évoqué précédemment.

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