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L’UNITE DE PRODUCTION INFORMELLE, UN CADRE POUR UNE

5. Organisation structurelle de l’apprentissage traditionnel

En éducation formelle, les programmes, les méthodes d’enseignement et d’évaluation ainsi que les ressources pour atteindre les objectifs fixés sont définis dans un curriculum officiel. La réalité paraît autre dans l’apprentissage traditionnel. En effet, on est frappé au premier abord par ce qui semble un désordre et une certaine déstructuration. Cependant quand on observe la réalité de très près, on se rend compte que ce qui semble un désordre n’est qu’une façade qui cache une organisation tantôt implicite, tantôt consciente.

5.1. L’espace et le cadre de vie des UPI

L’apprentissage traditionnel se déroule dans les UPI qui pour la plupart sont implantées sous des abris provisoires, rares sont les UPI situées dans un bâtiment en dur, bien aménagé. Cela est possible quand le patron de l’UPI est un investisseur désirant ouvrir une affaire dans les métiers de l’artisanat, comme un garage de mécanique ou un atelier de fabrication en structure métallique : « c’est des vendeurs de pièces détachées ou un vendeur de moteurs venants59», extrait d’entretien informel Bâ, MA de mécanique automobile. Il s’agit souvent de personnes aisées, sans forcément de lien avec le métier, qui tentent de saisir une opportunité dans le secteur. Quand c’est le cas, le Patron recrute un MA et lui confie la structure, en veillant

59 « Venants » pour dire venant de France, d’Europe ou des pays développés. Il s’agit de moteurs et pièces encore

fonctionnels issus d’épaves de voiture ou de voitures démantelées venant le plus souvent d’Europe. Ces moteurs et pièces sont récupérés et vendus sur le marché local pour la réparation des voitures. Ces articles constituent le stock de pièces de rechange pour l’essentiel des ateliers ou UPI de mécanique automobile, les concessionnaires étant trop chers pour le commun des propriétaires de voiture.

116 à le placer dans les conditions matérielles normales. Cela est davantage observé dans les métiers comme la mécanique.

Les UPI de mécanique automobile sont les plus concernées par les situations de travail précaires. Ces garages requièrent beaucoup d’espace pour leurs activités. Cependant, pour beaucoup de MA, les revenus ne leur permettent pas d’être propriétaires ou d’être bailleurs et d’aménager les locaux à même de recevoir leurs activités. Cela explique leur propension à s’installer dans des lieux précaires.

Pour les UPI les plus organisées, un petit local en dur est construit pour faire office de bureau et de magasin de rangement. Deux UPI parmi celles que nous avons visitées répondent à cette configuration et disposent d’un bureau et d’un magasin pour stocker certaines pièces et outils utiles au travail. Les 16 autres ne disposent ni de bureau ni de magasin. Les UPI de mécanique automobile reçoivent en moyenne entre 3 et 6 apprentis. Cela permet au MA d’engager en même temps plusieurs contrats donc d’engranger plus de gains. Les UPI de froid et de menuiserie métallique sont généralement mieux installés. Toutes les UPI de froid que nous avons visitées sont installées dans des locaux en dur et aménagés à cet effet. Généralement pour ces métiers, le MA ou le patron sont bailleurs ou même propriétaires des locaux ; le plus souvent l’UPI est installée à même le domicile. Il n’existe là encore ni bureau ni magasin, excepté dans une seule UPI, celle de Moussa. Les UPI de froid reçoivent en moyen 1 à 2 apprentis. Les UPI menuiserie métallique sont aussi assez bien installées. En effet, certaines sont installées dans des locaux construits en dur (béton), d’autres dans des stands en structure métallique (appelée cantine) réalisée par le MA lui-même. À l’image de l’installation anarchique des UPI de mécanique automobile, les « cantines » qui font office d’atelier de menuiserie métallique sont situées dans la rue généralement sans aucune autorisation légale. Aucun des ateliers de menuiserie métallique ne dispose de bureau ou de magasin. Le nombre d’apprentis reçus varie d’un atelier à l’autre, mais là encore la moyenne tourne autour de cinq à six apprentis par atelier. À l’exception des UPI de mécanique automobile de Sène et de froid de Moussa , aucune autre UPI ne dispose d’espace aménagé assimilable à une salle de classe. Les activités d’enseignement se passent dans les mêmes lieux que les lieux d’activités de production (dépannage, réparation et construction). Il arrive cependant, pour les métiers comme la menuiserie métallique ou le Froid, que le travail se déplace chez le client, alors « la classe se déplace » avec le travail, ce qui n’est pas le cas en mécanique automobile.

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5.2. L’organisation matérielle en milieu d’apprentissage traditionnel (MAT)

Sur le plan du matériel, l’ensemble des UPI est caractérisé par un plateau technique très faible. En mécanique automobile, le matériel propre à l’UPI se résume le plus souvent à une boite à outils, des établis de fortune pour recevoir les moteurs et les pièces déposées et, dans de très rare cas, un appareil de levage de charges lourdes. Toutes les manipulations techniques et pédagogiques se font directement sur le véhicule du client. Aucune des UPI de mécanique automobile ne dispose de banc d’essai ou de terminal de diagnostic60. Toutes les manipulations se font à la main de manière rudimentaire. Il est très fréquent de voir un patron d’UPI faire appel à la solidarité d’un collègue voisin pour lui emprunter un outil afin de mener à bien une intervention.

En menuiserie métallique, la situation n’est pas différente. Bien que le matériel coûte moins cher, les UPI sont aussi largement sous-équipées. L’équipement se résume généralement à un poste de soudage, des marteaux, une ou plusieurs enclumes. Il n’y a aucune machine de façonnage et de conformage des pièces, tout se fait, à la force des bras. La commande du client constitue l’ensemble des ressources sur lesquelles s’appuie l’action pédagogique du MA.

En froid, sur le plan matériel on relève une forte disparité entre les UPI. En effet, en fonction de leurs champs d’intervention ces unités de production informelle sont plus ou moins équipées. Celles qui limitent leurs activités à la réparation ou au dépannage de réfrigérateurs ménagers, sont généralement très sous équipées. En revanche, celles qui se sont élargies à des interventions sur des installations de climatisation ou de froid industriel sont assez bien équipées. À ce niveau le matériel du client représente, le support pédagogico-didactique pour la plupart des MA exceptée pour Moussa.

5.3. Les règles de vie commune au sein des UPI

La discipline de l’UPI suit une organisation hiérarchique. On trouve à sa tête le patron

118 qui est, sauf dans de rares cas, le MA. Après lui, viennent éventuellement les compagnons61. Le degré de maîtrise du métier importe beaucoup pour l’attribution des fonctions dans le travail. Cependant, dans la gestion des relations interpersonnelles, quelle que soit l’expérience ou l’ancienneté, il est toujours exigé un respect total pour l’ainé. Il n’existe cependant aucun règlement formel qui régit la vie commune au sein des UPI. Il n’y a pas de règlement intérieur écrit, tout est fortement empreint de l’organisation sociale des communautés locales, verbale et tacite.

Les seuls moments où, de manière formelle et solennelle, des aspects relatifs au règlement intérieur régissant l’UPI sont abordés, restent les moments de contractualisation. Comme nous l’avons dit, il n’existe pas de contrat écrit ni entre MA et apprenti, ni entre MA et parents ou tuteurs. Le contrat est verbal. Cependant, c’est au moment de cette entente entre les parents ou tuteurs de l’AP et le maître d’apprentissage que ce dernier explique, devant les personnes présentes pour les prendre en témoin, le fonctionnement de son atelier : ce qui est accepté, ce qui ne l’est pas, les horaires et les règles de vie. Très souvent, le MA confie l’AP à un de ses camarades plus anciens pour l’aider à prendre ses marques dans l’UPI. Ces règles sont fixées par le MA.

5.4. L’organisation temporelle en Milieu d’Apprentissage par le Travail

Contrairement à ce qui se passe dans un lieu de formation scolaire, une journée normale dans une UPI démarre très lentement. Il n’y a pas une heure précise d’embauche. Celle-ci est fixée dans la fourchette de 9 heures à 10 heures. La journée de travail finit entre 18 heures 30 à 20 heures, en fonction de l’importance et de l’urgence des travaux à finir. Il y a une grande flexibilité dans l’horaire. Seuls les apprentis nouvellement recrutés sont enjoints de respecter ces horaires. Les anciens ont une flexibilité plus grande quant aux heures de travail. Les débutants ont l’obligation de se présenter les premiers à l’atelier. Ils ont souvent la charge d’ouvrir l’atelier et de faire les corvées de nettoyage en vue de la mise en place avant l’arrivée des premiers clients. Le MA est très souvent le dernier à se rendre sur les lieux. Les clients qui se présentent avant le patron contractualisent avec les AP trouvés sur place, si le statut de ces

119 derniers leur prête assez d’expérience pour négocier et contractualiser à la place du patron. Dans le cas contraire, on attend l’arrivée du patron pour prendre en charge la requête du client. Il n’y a pas d’emploi du temps formel et aucune planification n’est réalisée à l’avance. La seule règle qui prévaut en matière de planification est de finir le travail commencé la veille avant d’en engager un autre.

L’absentéisme est très réprouvé aussi bien pour les nouveaux que pour les anciens. L’apprenti qui s’absente souvent est perçu comme quelqu’un qui n’a aucune motivation. Cependant, en raison des liens de connaissance qui ont prévalu au recrutement de l’apprenti, la sanction la plus sévère encourue par les absentéistes est rarement l’exclusion. L’AP absentéiste est plutôt déresponsabilisé et mis à l’écart, il est alors plus rarement sollicité dans le travail. La durée de la sanction peut aller de quelques jours à une mise à l’écart définitive en cas de faute grave comme vol, bagarres. Quand on en arrive à cette extrémité, l’apprenti finit souvent par abandonner lui-même son projet. En agissant ainsi, le MA s’évite la gêne de devoir expliquer aux parents ou tuteurs de l’apprenti les raisons de l’exclusion de ce dernier.

Pour compléter notre analyse du contexte physique de l’apprentissage traditionnel, nous proposons une description de l’organisation d’une journée de travail type dans une UPI.

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