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VARIABILITE DES PRATIQUES ET PARCOURS DE FORMATION DANS LE

2. Les déterminants de la pratique

Les pratiques sont socialement et historiquement influencées (Boutanquoi, 2014). On peut appeler déterminants de la pratique, l’ensemble des facteurs sociaux, historiques et culturels qui ont participé à façonner la conception, la manière de faire du praticien. D’après Boutanquoi, la notion de déterminant établit un lien entre les « composantes sociales et psychiques » (p.12).

Comme nous l’avons montré, le MA en MAT appartient à un groupe socioprofessionnel avec ses ethnothéories. Il hérite de celui-ci une certaine approche de la pratique de formation professionnelle pour transmettre les compétences, savoirs et comportements issus du milieu culturel. Cette épistémologie pratique issue de l’habitus du groupe est en grande partie le premier déterminant de la pratique des MA. Cette influence du milieu d’origine qui détermine en partie les systèmes de valeurs des MA en matière de formation en direction des jeunes AP, n’est pas seulement conceptuelle, mais aussi constatable dans leurs pratiques. Les MA ne sont pas toujours dans l’improvisation et l’adaptation. Leurs propos révèlent que les modèles qu’ils ont subis ont laissé des empreintes sur leur manière de penser l’enseignement et sur le choix de

192 l’orientation à donner à leurs interventions pédagogiques quotidiennes.

L’observation est la première des choses. On ne peut pas dans l’apprentissage des métiers commencer au premier jour à faire des choses complexes. On commence par assister les gars, apprendre à faire la manutention avec sécurité etc., la coupe… C’est comme ça, que j’ai appris mon métier petit à petit.[Extrait d’entretien avec Mody]. Quand je faisais mon apprentissage, dès qu’un client arrivait avec sa voiture, je venais me tenir debout à côté du patron. Donc j’assistais aux explications que le client donnait au patron pour expliquer son problème avec sa voiture. Le patron, aussitôt après, se tournait vers moi et me demandait: « tu as bien entendu ce qu’il a expliqué ? », je répondais par oui. Ensuite, il me disait : « prends la crique », je m’exécute. : « décolle la roue. », je le fais. « Positionne la crique » etc... C’est comme ça qu’il me dicte les étapes jusqu'à ce que je démonte le cardan. Il en a fini. Moi, j'observe la procédure à la lettre. Pour démonter le cardan : «il faut caler les roues, les décoller, monter la voiture avec la crique, etc.. » Sortir le cardan et lui remettre. Ensuite être très attentif à ce qu’il fait avec le cardan. Comme çà et ainsi de suite. Une panne similaire se présente, il me dit : « est ce que tu as bien compris mon intervention, la fois passée ? Je réponds par oui. Il me dit alors « alors, tu fais comme j’avais fait avec celui-ci. » je fais comme lui. Et maintenant que j’ai mes apprentis, je procède de la même manière. Je leur montre une première fois, une seconde fois et la troisième fois je les laisse intervenir seuls. De temps en temps, je viens voir et rectifie si besoin en est. [Extrait d’entretien avec Albert].

Même si dans leurs propos la référence aux modèles vécus en tant qu’apprenants est plus nuancée, les MA qui ont fréquenté la formation professionnelle scolaire se réfèrent aussi à

193 l’école. L’exemple des artéfacts didactiques trouvés chez Moussa et de la classe improvisée chez Sène en témoigne.

Ramond (2009), postulait, dans une recherche sur les professeurs de gestion que les attitudes adoptées par ces derniers en classe prédisposaient les élèves professeurs à reproduire ce qu’ils apprennent avec eux. L’auteure cite Schwartz (1973) qui, lui, affirmait que les formateurs avaient tendance à agir comme on l’a fait sur eux. « les attitudes façonnées à l’école

constituent la base et la condition absolue d’une pratique ultérieure» (Ramond, 2009, p. 2)81 . On retrouve ici les conclusions de Costey (2004) sur la formation de l’habitus primaire ainsi que celles de Amade-Escot (2014) sur la construction de l’épistémologique pratique qui toutes rejoignent les théories de Bourdieu sur la pratique.

Les enseignants professionnels ayant été formés à l’école normale conçoivent, donc, leurs premiers modes d’intervention en fonction de leurs expériences en tant qu’élèves. Ils ont ainsi, dans leurs premières heures de pratique, tendance à reproduire les pratiques d’enseignements de leurs formateurs. Cette tendance que Ramond nomme « boucle de reproduction pédagogique » et qui pousse les novices à reproduire les modèles d’intervention subis se vérifie pour les MA en milieu traditionnel. Toutefois, les mécanismes à l’œuvre dans cette boucle pour les enseignants professionnels formés à l’école normale ne sont pas forcément les mêmes pour les MA en milieu d’apprentissage traditionnel.

Nous apprenons avec Ramond que le fait de s’inscrire dans cette boucle participe d’une recherche de sécurité pour l’enseignant novice. En effet, le jeune enseignant, malgré ses années de formation et de stage, est désarmé dès qu’il se retrouve dans une situation où c’est sa responsabilité qui est engagée pour gérer seul une classe. Ainsi pour se rassurer, au lieu de s’aventurer à mettre en pratique un style qui lui est propre, il se réfugie dans ce qu’il connait. C’est ainsi que son premier réflexe constituera à reproduire ce qu’il a vu faire par ses propres formateurs.

Les MA ne sont pas dans cette posture de recherche de sécurité. Même si nous avons montré par ailleurs que l’enseignement fait partie de leur quotidien, cette activité n’est pas leur

194 vocation première. Nous pensons, en revanche, qu’ils se mettent à reprendre les pratiques de leur propre MA parce que devant exercer un métier de formateur sans y être préparé. Alors, ils sont obligés de se constituer des modèles pratiques en se référant aux seuls qu’ils connaissent : ceux de leur maître d’apprentissage respectif.

Vu sous cet angle, il n’est pas exclu que l’on se retrouve dans l’un des deux cas de figure de la boucle vertueuse ou vicieuse théorisée par Ramond (2009). Selon l’auteure, la boucle est vertueuse si les expériences qui la constituent développent chez l’enseignant ses capacités d’apprendre à apprendre dans la perspective d’innover, de tester et mettre en usage de nouveaux modes opératoires. Elle est vicieuse quand elle se limite uniquement à la reproduction. C’est sur ce dernier argument que les détracteurs de l’apprentissage traditionnel fondent leurs critiques à l’endroit des maîtres d’apprentissage auxquels ils reprochent de reproduire les manquements de leur propre maître et de les transmettre à leur tour à leurs apprentis.

Il y a donc une forte incidence des pratiques vécues en tant qu’apprentis sur celles mises en œuvre en tant que maître d’apprentissage. Nous constatons cependant, dans les propos de certains, qu’ils tentent d’aller au-delà de ces modèles. Ainsi, comme l’illustrent les propos de Serigne : « j’applique l’ancienne méthode, mais moi il m’arrive d’innover », il y a une tentative d’échapper à la boucle vicieuse de reproduction pédagogique.

Les gars de Luxdev82 sont venus me voir. Je leur ai dit que s’ils pouvaient m’aider à augmenter mes capacités notamment à construire une salle de classe. Comme ça chaque jour, en fin d’après-midi, après le boulot vers 18h, j’arrête tout et je prends les gosses pour 30mn, 1heure de temps, pour travailler sur des aspects théoriques, exploiter des schémas. [Entretien avec Serigne]

Nous résumerons ce développement en affirmant que la tendance la plus forte qui se

82 Luxdev est l’agence d’exécution de la coopération bilatérale luxembourgeoise decoopération bilatérale. Elle

met en œuvre la politique de coopération au développement du gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg. et intervient au Sénégal dans plusieurs domaines : lutte contre la pauvreté, développement durable, etc.

195 dessine est celle qui lie les déterminants des pratiques des MA à leur parcours en tant qu’apprenti ou apprenant. On trouve chez les MA qui ont connu les deux modes de formation (formation scolaire et apprentissage) des impacts du parcours dans l’institution scolaire et ceux plus marqués du parcours en formation par apprentissage. De la même manière, on trouve chez les MA qui n’ont connu que l’apprentissage une dominante des pratiques du milieu. Toutefois, il faut souligner que les MA tels que Gadji et Konté ne cadrent pas avec ce constat : rien dans leur pratique ne permet d’inférer qu’ils ont, un jour, fréquenté la formation scolaire. Au contraire, tout pousse à croire que leurs modèles de référence se trouvent en milieu d’apprentissage traditionnel.

Au-delà de ces pratiques de référence qui déterminent celles du MA, nous pensons que celles-ci s’actualisent en situation. C’est ce qui permet au MA de s’adapter. Pour cela, il fonde son jugement sur des paramètres dynamiques de la situation pour prendre des décisions. Ce sont ces paramètres que nous appelons les organisateurs de la pratique.

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