• Aucun résultat trouvé

La nature des liens entre maîtres d’apprentissage et apprentis Dans les UPI investiguées, la pratique courante fonde le recrutement de l’apprenti sur

L’UNITE DE PRODUCTION INFORMELLE, UN CADRE POUR UNE

4. La nature des liens entre maîtres d’apprentissage et apprentis Dans les UPI investiguées, la pratique courante fonde le recrutement de l’apprenti sur

112 décret n° 2016-263 du 22 février 2016 55 fixant les règles applicables au contrat d’apprentissage, rend obligatoire l’usage du contrat de travail et définit clairement le fond et la forme que celui-ci doit prendre. Toutefois, l’application de cette loi reste marginale. Ce non-respect du contrat de travail vaut beaucoup de critique au milieu de l’apprentissage traditionnel. On reproche aux patrons d’UPI de profiter d’une main-d’œuvre gratuite car aucune rémunération n’est fixée pour les AP.

L’extrait d’échange ci-dessous se déroule, le 24 août 2016, entre Serigne MA de mécanique automobile et une femme qui se présente à l’atelier accompagnée de son petit fils âgé de 13 ans. Cette discussion est symbolique des pratiques de contractualisation en MAT. La personne est une cousine (éloignée) du père de Serigne présent à l’atelier au moment des faits. En effet, c’est lui que la femme était venue solliciter, mais proche de la retraite, il l’a redirigée vers Serigne.

La femme : Serigne, je suis venue te confier ton neveu. Il dit que son souhait c’est d’apprendre la mécanique.

Serigne : il ne va pas à l’école ?

La femme : si, mais il dit ne plus vouloir y aller et que son désir c’est de faire de la mécanique.

Serigne : tu ne veux plus aller à l’école ? il fait quelle classe ?

La femme : CM1

Serigne : pourquoi ne pas continuer encore un peu, au moins jusqu’à l’obtention du certificat de fin d’étude élémentaire ?

55 (« Journal officiel de la République du Sénégal », s. d.) http://www.jo.gouv.sn/spip.php?article10859 consulté

113

Serigne : Bon d’accord Maman. Ok quant à toi, il faut savoir qu’ici c’est le travail. Tu devras te présenter ici chaque matin à 8 heures. Tu mangeras ici avec nous à midi. Il n’y a pas « d’école buissonnière »56. Là maintenant tu peux aller avec Ablaye. Hé ho Ablaye, va avec lui, prend le sous ton aile. Commence par lui montrer les outils et la boite à outil. Qu’il commence à ranger ça d’abord. »

À l’issue de nos investigations, nous pouvons avancer deux raisons qui entravent l’application de cette disposition contractuelle légale. La première relève de la diffusion de l’information. Les personnes (MA et AP) concernées par cette loi n’y sont pas sensibilisées. La plupart des MA de notre corpus et tous les AP avouent ignorer son existence. Ceux parmi les MA enquêtés qui la connaissent, ont été sensibilisés à l’occasion de collaborations passées avec des ONG intervenant dans l’apprentissage. En effet, s’ils ont été contraints de recourir au contrat d’apprentissage dans leur procédure de recrutement des AP, ceci a duré le temps du projet comme en témoignent certains MA de notre corpus qui ont participé au Projet d'Appui au Développement et à l'Intégration de l'Apprentissage (PADIA)57. Ils avouent être retournés à leurs pratiques anciennes à l’issue du projet en raison de difficultés de faisabilité. Selon les MA qui se refusent à appliquer le contrat d’apprentissage de leur propre chef, le point d’achoppement le plus crucial se situe au chapitre V Art.18 du décret. On y stipule que : « Dans le cadre de l’exécution du contrat d’apprentissage, l’entreprise ou le maître alloue à l’apprenti une allocation mensuelle à titre de participation aux frais de transport et de restauration. Cette indemnité tient compte, d’une part, des avantages que l’apprenti tire de l’enseignement du métier et, d’autre part, des soins et sujétions que cet enseignement représente pour le maître ». Les revenus des MA fluctuent en fonction des journées de travail. Aussi avouent-ils ne pas être en mesure de se fixer pour eux- mêmes un revenu mensuel et à plus fortes raisons d’en verser un aux apprentis. La raison est d’autant plus audible qu’aucune comptabilité n’est tenue dans

56 Nous reprenons le terme parce que nous n’avons pas d’équivalent en français du terme Wolof. Le MA cherche

à insister sur l’aspect formellement interdit de l’absentéisme.

114 les UPI. D’ailleurs cela constitue le signe premier de l’aspect informel de ces structures. Néanmoins, il faut souligner que le fait de ne pas mettre en application ce contrat de travail n’exonère pas les MA des dépenses en direction de leur AP. Une fois que le MA s’engage à recevoir le jeune en apprentissage, il devient son tuteur principal. Cet aspect de la relation entre MA et apprenti sera traité ultérieurement58. Il faut néanmoins souligner ici, que dans les UPI enquêtées, les frais de restauration durant la journée de travail, constitués du déjeuner, du thé, de même que les frais de soins et l’argent de poche des apprentis sont à la charge du MA. D’après ces derniers, il en a toujours été ainsi. L’attribution de l’argent de poche n’est pas systématique et aucun plafond n’est fixé pour la somme donnée. En revanche, cette pratique est presque journalière. Il nous a été donné d’observer plusieurs fois des MA remettre en fin de journée de travail une partie de leurs gains aux AP. De plus, à l’occasion de fêtes communautaires ou familiales, les MA contribuent aux dépenses des apprentis à défaut de prendre complétement celles-ci en charge. Il s’agit notamment de participer à l’achat des habits de fêtes et de donner une petite somme qui permet à l’apprenti de contribuer aux dépenses occasionnées.

Il n’existe donc pas de contrat formalisé qui délimite la forme et le fond du compagnonnage entre MA et apprenti. Aucune durée n’est fixée au moment de la contractualisation verbale. L’apprentissage dure le temps que le MA souhaite. La coutume veut que ce soit ce dernier qui décide du moment et des conditions de fin de l’apprentissage. L’apprenti est tenu d’attendre d’être « affranchi » par son MA. Aussi certains organismes de défense des droits des travailleurs vont-ils jusqu’à assimiler cette ascendance qu’exercent les MA à une forme d’exploitation humaine (Viti, 2005).

Il est arrivé, comme l’ont évoqué certains MA, que des AP décident de mettre fin au compagnonnage sans consentement de leur maître. Cela n’est pas sans risque. Comme nous l’avons souligné, au point 4 du chapitre 3, en référence aux travaux de Greenfield, la finalité de l’apprentissage est l’intégration de l’apprenti devenu compagnon dans une communauté des pratiques. Cela est synonyme d’une reconnaissance ultime qui donne le visa à l’apprenti pour exercer un métier dont on lui reconnait désormais la maîtrise. Et le maître, est le premier à céder

115 à son ex apprenti devenu compère une partie de sa clientèle et à lui confier ses premiers apprentis à encadrer.

Même s’il semble parfois s’installer une relation d’exploitation, tout n’est pas à bannir dans cette forme de relation de travail et/ou d’apprentissage entre MA et apprentis. Comme nous pouvons le constater, aucune forme de concurrence ne s’installe entre les deux protagonistes à la fin de la période d’apprentissage, le MA se transformant souvent en mentor.

Documents relatifs