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Diagramme: Activités/Statut

3. Les modes d’intervention privilégiés

3.2. Une formation basée sur une approche globale et intégrative

Les UPI sont, avant tout, des entreprises artisanales à vocation lucrative. Les sollicitations auxquelles elles sont soumises sont dans l’ordre du recouvrement de l’état fonctionnel, de la conception ou de la fabrication d’un bien. Basées sur l’initiative individuelle, ces entreprises artisanales se caractérisent par l’autonomie pour réaliser l’intégralité d’un objet ou d’une prestation (Charbonnier & Batal, 2011). « La réalisation, seul ou avec d’autres

apprentis, d’un ouvrage dans toutes ses dimensions ou la pratique d’un métier (…) implique la maîtrise d’un registre varié d’habiletés et connaissances » (Charbonnier & Batal, 2011, p. 104).

Il n’est, alors, pas exclu que les MA aient recours aux différentes ressources théoriques et pratiques de leur métier pour satisfaire à la demande qui leur est soumise. Toutefois, ces ressources ne sont pas mobilisées de manière cloisonnée, déconnectée de la situation globale, car la résolution d’une situation appelle une compétence. La définition la plus simple d’une compétence veut qu’elle soit la mobilisation de ressources de manières intégrée pour faire face

141 à une situation. Puisque les enseignements-apprentissages, en MAT sont coproduits du travail, cette intrication entre les ressources mobilisées, rend très difficile voire impossible, la séparation entre les différentes théories ou disciplines mobilisées, ce qui fait qu’ils ne peuvent être abordés que par la même logique globale.

Ainsi, le MA de froid qui intervient sur le système de climatisation d’un véhicule, peut avoir à mobiliser ses connaissances dans plusieurs disciplines : mécanique, électricité, électronique, physique. Cependant, il se limitera, une fois la panne diagnostiquée, à spécifier l’origine de celle-ci et les procédures de remédiation. Les principes théoriques physiques, électriques, électroniques, qui ont sous-tendu son raisonnement ne feront jamais l’objet d’explicitation pour aider les AP à comprendre. Il en est de même chez les autres MA notamment dans les métiers de maintenance (mécanique automobile). La même remarque a été faite chez les MA de menuiserie métallique, il n’y aucune référence aux différentes disciplines comme le traçage, l’analyse de fabrication, etc., qui sont pourtant incontournables dans la formation en milieu scolaire.

Cette approche de l’apprentissage de l’activité par l’activité qui fait de l’apprenant l’acteur principal de ses acquisitions, intègre toutes les dimensions (idéelles, matérielles et actantielles) de l’activité et a pour finalité le développement du pouvoir d’agir (Nagels, 2017). Cette approche que nous qualifions de globale et intégrative consiste à enseigner toutes les composantes d’un même métier dans et par la situation et peut être assimilée à l’approche du métier. Elle induit deux implications.

Premièrement : les situations d’apprentissages sont réelles, donc soumises aux mêmes contraintes et enjeux que le travail lui-même. Elles sont complexes, globales et, de fait, appellent de la part des apprentis une réflexion globale et les apprentissages qui en découlent sont globaux.

Contrairement à la formation en milieu scolaire où les références disciplinaires des contenus de l’enseignement sont identifiées, il est rare que les MA fassent référence à leur métier en parlant de disciplines. Quand ils sont questionnés sur leur visée dans l’enseignement en direction des jeunes, les MA raisonnent en termes de métier.

Mon rôle c’est de lui enseigner mon métier, et ce n’est pas forcément un handicap de ne pas savoir lire. J’ai déjà eu des apprentis qui ne savent pas le faire. [Extrait des notes

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d’entretien informel avec Serigne, MA de mécanique automobile]66.

C’est un métier qu’il est venu chercher ici. Je ne vais pas lui apprendre les calculs, je lui ai montré la technique pour arriver rapidement à ce que je lui ai demandé de faire »67 [Extrait des notes d’entretien informel avec Sidy, MA en menuiserie métallique].

On parle de métier quand des gens se regroupent autour d’un même domaine, s’entendent pour en stabiliser les tâches, savoir-faire, connaissances spécifiques en ayant en perspective la transmissibilité par la formation à tout individu aspirant à intégrer le métier (Tourmen, 2007). L’approche métier était toujours le modèle dominant dans la sphère du travail incarné par l’artisan. « Le métier représentait, à la fois, un milieu d'apprentissage et

d'appartenance, le vecteur d'une reconnaissance sociale », comme le relève Zarifian

(Remermier, 2002, p. 1).

La référence à ce terme n’est pas anodine. Un métier naît souvent d’un besoin immédiat ou projeté, on en fait l’apprentissage pour agir et répondre à ce besoin. L’utilisation de cette catégorie englobante permet aux MA de faire l’économie de citer les différentes disciplines que subsume leur métier.

Nous pensons, par ailleurs, que l’utilisation du terme de métier traduit, un besoin, à défaut de pouvoir citer les différentes disciplines sur lesquelles portent leurs enseignements,

66 Ce matin-là, une dame est venue confier son petit-fils de 12 ans à Serigne pour qu’il lui apprenne son métier.

Devant cette situation, nous lui avons posé des questions. « Il est très jeune. Comment vas-tu t’y prendre avec ce jeune qu’on t’a amené, ce matin, il n’a pas fini son cycle primaire ? Sait-il lire correctement et écrire ? »

67 Il s’agit d’une situation pendant laquelle le MA était en colère à la suite d’erreurs de dimensions commises par

un AP au moment de débiter des pièces. Cela a occasionné, pour le MA, des pertes économiques, car une fois les pièces débitées, les erreurs ne peuvent plus être rattrapées. Il, revient, alors au MA d’acheter de la matière d’œuvre à ses frais pour honorer la commande du client. Il répondait à notre question : « vous leur apprenez à effectuer des calculs professionnels pour les côtes ? ».

143 d’insister sur la finalité instrumentale et pragmatique de ceux-ci. Les MA font une relation directe entre le métier et l’Agir professionnel. C’est ce dernier qu’ils cherchent à mettre en avant. En effet, « dans ce contexte, les apprentissages sont centrés sur les savoir-faire liés à

l’utilisation de multiples outils et à l’exécution de gestes difficiles ou de tours de mains délicats, mais aussi sur les connaissances et des méthodes indispensables » (Charbonnier & Batal, 2011,

p. 104) pour résoudre la situation. On peut, aussi, lire dans l’utilisation de ce terme la forte référence faite à la nécessité d’immersion dans le milieu du métier pour espérer en apprendre « les ficelles ».

L’apprentissage d’un métier demande beaucoup de sacrifice. Il faut être toujours présent car c’est la pratique. C’est plus facile à l’école, parce qu’à l’école, tu as des leçons de français, maths... Si tu ne comprends pas en classe, tu peux toujours demander à la maison à tes grands frères. Cela n’est pas possible avec l’apprentissage du métier. Le métier s’apprend en l’exerçant » [Extrait de l’entretien avec Mody, MA en menuiserie métallique].

Cela n’est pas sans rappeler la logique compétence que la réforme de l’apprentissage rénovée appelle de ses vœux. L’une des finalités de la réforme est l’application de l’approche par compétence en MAT. Il s’agit de lutter contre les manquements occasionnés par une formation basée sur des activités routinières, répétitives qui selon, les instigateurs de la réforme, est un obstacle à toute velléité de perfectionnement de l’apprenti.

Or, comme nous le montrons, cette logique est déjà une implication de l’approche intégrative dictée par le contexte d’apprentissage. L’approche intégrative et globale que nous avons décrit ci-dessus se fonde sur le principe d’un compagnonnage entre le MA, l’artisan et l’apprenti avec comme finalité que le dernier acquiert toutes les facettes du métier afin de pouvoir agir en pleine autonomie. Aussi dans leurs pratiques quotidiennes, les MA adoptent une démarche caractéristique de la logique compétence notamment dans l’adossement de la formation à des situations réelles avec de réels enjeux.

Se réclamant de la pédagogie de l’intégration, l’approche par compétences a comme visée le développement, chez les apprenants, de macro-objectifs comportementaux attendus dans des situations réelles et significatives d’une classe de situations à complexité proches. La

144 logique compétence se fixe comme objectif de développer le pouvoir d’agir des apprenants (Chauvigné & Coulet, 2010; Crahay, 2006).

Enlart (2011), à la suite d’une revue de différentes propositions de définition de la « compétence » relevait que celles-ci s’accordaient à souligner l’aspect pragmatique et situé ainsi que la dimension contextualisée et performative de la compétence. Zarifian (1999, 2006) n’a pas manqué d’insister sur l’importance de la confrontation à des situations réelles dans la construction des compétences. Jonnaert (2004), quant à lui, déplore la non prise en compte des situations pour les compétences générales dans les référentiels scolaires. D’ailleurs sa plus grande réserve est formulée à l’égard de ces compétences prescrites dans les référentiels scolaires, tant elles sont conceptualisées en fonction du travail prescrit au détriment de l’imprévisibilité de caractéristiques de toute situation impliquant l’humain (Jonnaert, 2004).

Nous pouvons affirmer sans risque de nous tromper que, sans être au courant des théories sur les logiques pédagogiques, les MA mettent en œuvre l’approche compétence d’une manière plus réaliste comparée aux structures de formation scolaire car les situations conservent leurs enjeux et leur imprévisibilité. Nous l’affirmons d’autant plus que, la logique compétence doit son succès dans le monde des pratiques qualifiantes au fait qu’il opère un retour du travailleur dans le travail comme le souligne Zarifian. Or comme nous le verrons au chapitre 7, le cœur de la mission que se fixent les MA, c’est la formation de l’Individu.

« Pour apprendre un métier, il faut être présent là où ça se passe, assister, être confronté68 à des situations [Extrait de l’entretien avec Mody, MA, en menuiserie métallique] L’enseignement par la pratique est plus efficace parce que l’apprenti entend, et touche de près ce qu’il apprend [Extrait de l’entretien avec Serigne ; MA de mécanique automobile].

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« Diangoüm mbaaye sa waar weu »69[Extrait d’entretien avec Cheikh de mécanique automobile]

Le fait que la logique compétence soit identifiée comme la logique dominante dans les UPI, ne signifie, cependant, pas qu’elle soit la seule en usage dans ce milieu. Les réalités de la production économique forcent souvent les MA en faire preuve de réalisme.

Les réalités du MAT rendent difficile la didactisation. En effet, le caractère dynamique et vivant des situations d’apprentissage fait que les contenus obéissent aux aléas du travail quotidien. Cela rend très difficile pour les MA de planifier les objets d’enseignement-apprentissage quoiqu’ils soient amenés, parfois, à préparer les jeunes à faire face à certaines situations en leur enseignant certaines manipulations de base ou des tours de main à partir de situation totalement décontextualisée.

3.3. Une orientation pragmatique revendiquée par les maîtres

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