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UN ACCOMPAGNEMENT ET UNE PRISE EN CHARGE

Dans le document LA LUTTE CONTRE LA TRAITE ET (Page 184-187)

AUX VICTIMES DE LA TRAITE

La priorité politique en matière de lutte contre la traite a consisté ces dernières années à privilégier le démantèlement des réseaux et la réduction de la crimi-nalité, plutôt que la protection des victimes. Cette dernière devrait pourtant constituer une priorité, d’autant plus que l’arrestation et le démantèlement de certains groupes criminels n’ont pas permis de circonscrire le phénomène. Or, si la protection des victimes, eu égard notamment au risque de revictimisation, est un devoir juridique et surtout moral de l’État, c’est aussi un moyen de lutter efficacement contre la traite et l’exploitation des êtres humains dans la mesure où cela contribue à tarir la source de revenus des organisations et des exploi-tants : sans « main-d’œuvre », ils n’ont plus raison d’être.

« Le cycle de la traite ne peut être rompu si l’on ne prête attention aux droits et aux besoins des victimes. Une protection et une assistance appropriées doivent être apportées à toutes les victimes, sans discrimination. »

Directive 6 des Principes et directives du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme concernant les droits de l’homme et la traite des êtres humains, recommandations, 2002.

La vulnérabilité économique et sociale des victimes engendre la commission de faits de traite à l’encontre de milliers d’individus, majeurs ou mineurs. Elle peut également en être la conséquence. Aussi, convient-il avant tout de protéger les victimes contre « une nouvelle victimisation » comme le prévoit notamment l’article 9-2, b, du Protocole de Palerme. Les États parties doivent alors garantir une sécurité efficace et effective aux victimes de la traite et de l’exploitation.

Dès lors qu’une personne est identifiée comme victime, de manière officielle ou non, elle est potentiellement en situation de danger, qu’elle soit encore en situation d’exploitation, sur le point de s’en extraire, ou déjà sortie. Dans ces conditions, les pouvoirs et les autorités publics ont l’obligation de protéger, d’accompagner et de prendre en charge les victimes.

L’octroi d’une assistance et d’une aide à une victime de traite sans subordonner cette aide à sa volonté de coopérer dans le cadre des procédures judiciaires et à sa situation administrative est une préconisation européenne 1 et, dans une moindre mesure, internationale 2. Cela peut également être, pour certaines victimes, une exigence face aux risques d’atteinte à leur propre sécurité et/ou à celle de leurs familles. Pour se mettre en conformité avec les normes inter-nationales et européennes, et pour répondre aux impératifs de sécurité des personnes, les États doivent envisager de mettre en œuvre des mesures visant à assurer le « rétablissement physique, psychologique et social » des victimes de traite 3, et ce indépendamment de leur participation dans le processus judi-ciaire. Le Protocole de Palerme tout comme la Convention de Varsovie ajoutent que les États parties peuvent, à cette fin, coopérer avec « les organisations non gouvernementales, d’autres organisations compétentes ou d’autres éléments de la société civile » engagés dans l’assistance aux victimes 4.

Les organisations non gouvernementales cheville ouvrière de l’aide aux vic-times de traite

En France, l’accompagnement des victimes de traite est essentiellement confié par les autorités publiques à des ONG spécialisées subventionnées 5. Les associations garantissent une offre de services effective et pluridisciplinaire, et permettent de répondre aux besoins des victimes en proposant un accueil et une écoute privilégiés, une information sur les droits, une aide psycholo-gique, un accompagnement social, juridique et administratif et si nécessaire une orientation vers des services spécialisés. Néanmoins, ces associations font régulièrement part de difficultés grandissantes pour mener à bien ces missions qui leur sont dévolues par l’État, notamment en raison de ressources financières insuffisantes ou irrégulières. En outre, la couverture associative n’est pas égale sur l’ensemble du territoire français, et l’offre de services est bien souvent satu-rée dans les principales zones urbaines entraînant des différences de traitement dans la prise en charge des victimes 6.

1. Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains, dite Convention de Varsovie, adoptée le 16 mai 2005, art. 12-6 ; Rapport explicatif de la Convention de Varsovie parag. 146 ; directive 2011/36/UE du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes et remplaçant la décision-cadre 2002/629/JAI du Conseil, art. 11-3.

2. Voir par exemple la directive 6 du Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations unies, Principes et directives concernant les droits de l’homme et la traite des êtres humains : recommandations, (E/2002/68/Add.1), 2002.

3. Protocole additionnel à la Convention contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, dit Protocole de Palerme, 2000, art. 6-3 du Protocole de Palerme ; Convention de Varsovie, art. 12.

4. Ibid.

5. Ministère des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes, Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF), Rapport à la Commission européenne sur la lutte contre la traite des êtres humains 2011-2014 en application de la directive 2011/36/UE du Parlement européen et du Conseil, dit « Rapport de la MIPROF », p. 27.

6. GRETA, Rapport concernant la mise en œuvre de la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains par la France, Conseil de l’Europe, Strasbourg, 28 janvier 2013, parag. 68,.69 et 171.

Si les associations sont les principaux acteurs de l’accompagnement proposé aux victimes de la traite et de l’exploitation, l’État contribue à cet accompa-gnement et à cette protection via un système de subventionnement régi par des conventions pluriannuelles d’objectifs. En matière de lutte contre la traite et l’exploitation sexuelle des êtres humains, le financement est assuré dans sa quasi-totalité par le ministère des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes. Au niveau national, le montant des subventions était de 345 000 euros en 2015 répartis entre le Mouvement du nid (80 000 euros), l’Amicale du nid (35 000 euros), ALC Nice (170 000 euros) et le Comité contre l’esclavage moderne (CCEM) (60 000  euros) ; au niveau local, le montant était de 2,03 millions d’euros pour la rencontre, l’accueil, l’accompagnement, l’insertion et la prévention 7. Par exemple, l’association « le Mouvement du nid » a été financée par l’État dans 21 départements en 2015 et « l’Amicale du nid » dans 9 départements. Plus géné-ralement, sans cibler spécifiquement certains types d’exploitation, le ministère de la Justice a, quant à lui, versé, en 2014, une subvention de 13 000 euros au Comité contre l’esclavage moderne (CCEM), une subvention de 7 000 euros à l’association Hors la Rue et 5 500 euros à l’association Accompagnement Lieux d’accueil Carrefour éducatif et social 8. Le rapport indique également que le ministère de la Justice a précisé que des subventions de montants équivalents seraient versées en 2015 par ses services.

Au sein des principaux tribunaux de grande instance français, des bureaux d’aide aux victimes sont également tenus par des associations et sont financés par le ministère de la Justice. Leurs missions consistent à offrir aux victimes – et notamment aux victimes de traite et d’exploitation des êtres humains – un accueil, des informations non seulement sur le fonctionnement judiciaire en général mais aussi sur les procédures en cours, des informations sur les modalités pratiques de recouvrement des dommages et intérêts à la suite des jugements rendus, à les accompagner lors des audiences, à les orienter ou à les aider dans leurs diverses démarches. Ces bureaux sont de véritables guichets uniques dédiés aux victimes dont les services sont fournis par des personnes (juristes et psychologues) formées à l’accueil de ces victimes. Les 164 bureaux d’aide aux victimes en exercice fin 2014 ont accueilli plus de 60 000 personnes en 2013 9. Ce dispositif de prise en charge pluridisciplinaire est assuré par 173 associations, réparties sur l’ensemble du territoire. Se pose néanmoins la question de savoir si les personnels de ces associations sont sensibilisés aux problématiques de la traite et de l’exploitation.

Une fois identifiées, les victimes ont des besoins multiples, elles doivent pouvoir bénéficier d’une prise en charge globale qui tienne compte de leur situation de précarité et de détresse. Il s’agit à la fois d’offrir aux victimes un accueil sécurisant afin de garantir leur intégrité physique face aux risques réels de représailles et d’intimidation, mais aussi une prise en charge sociale et psychologique visant

7. Assemblée nationale, Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, Audition de M. Christophe Sirugue, rapporteur pour avis au nom de la Commission des affaires sociales sur les crédits pour 2015 du programme 137 « Égalité entre les femmes et les hommes » de la mission Solidarité, insertion et égalité des chances, 28 octobre 2014.

8. Contribution de la Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) transmise à la CNCDH, juillet 2015.

9. Contribution de la DACG.

à mitiger la souffrance et le tort imposés aux victimes et d’aider celles-ci à se remettre. Hormis l’objectif humanitaire consistant à réduire l’impact sur les victimes, il existe plusieurs raisons concrètes importantes de procéder de la sorte. Tout d’abord, l’aide, l’hébergement et la protection accordés aux victimes permettent d’accroître les chances que celles-ci accepteront de coopérer avec les services de police et de justice. Cette aide et cette protection ne sont pour autant tributaires de la capacité ou de la volonté de la victime de coopérer aux procédures engagées. Les programmes d’aide et d’assistance aux victimes de la traite des personnes se doivent donc d’être bien conçus et intégrés. Les ser-vices sociaux, médicaux, psychologiques et juridiques, l’hébergement, l’accès à l’éducation et à la formation ne peuvent intervenir indépendamment les uns des autres. Les différents services doivent travailler de manière concertée et coordon-née dans les meilleurs intérêts des victimes bénéficiant de l’aide. Chaque fois que possible, les victimes devraient pouvoir avoir accès à un centre polyvalent.

Dans le document LA LUTTE CONTRE LA TRAITE ET (Page 184-187)