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Les normes et les instruments régionaux Le Conseil de l’Europe

Dans le document LA LUTTE CONTRE LA TRAITE ET (Page 35-40)

La Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite Le Conseil de l’Europe a élaboré son propre instrument de lutte contre la traite des êtres humains. Il s’agit de la Convention no 197 du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains, dite « Convention de Varsovie », adoptée le 16 mai 2005 à Varsovie, lors du 3e Sommet des chefs d’État et de gouvernement du Conseil de l’Europe. Elle est entrée en vigueur le 1er mai 2008 après sa dixième ratification. La France a signé cette convention en mai 2006, et l’a ratifiée le 9 janvier 2008.

Le Conseil de l’Europe, pour maintenir la cohérence des définitions internatio-nales, reprend mot pour mot la définition de la traite des êtres humains contenue dans le Protocole de Palerme, tout en ajoutant un alinéa qui dispose que « le terme “victime” désigne toute personne physique qui est soumise à la traite des êtres humains telle que définie [par la Convention] » (article 4-e). Premier traité européen consacré à la traite, la convention a pour vocation de mettre la victime au cœur du dispositif de protection et de lutte contre la traite des êtres humains. Pour cette raison, elle se distingue notablement du Protocole de Palerme. Partant du principe que la traite des êtres humains est une violation des droits de la personne, trois objectifs sont visés à l’article 1er de la Convention : – « prévenir et combattre la traite des êtres humains, en garantissant l’égalité entre les femmes et les hommes » ;

« protéger les droits de la personne humaine des victimes de la traite, concevoir un cadre complet de protection et d’assistance aux victimes et aux témoins, en garantissant l’égalité entre les femmes et les hommes, ainsi qu’assurer des enquêtes et des poursuites efficaces » ;

« promouvoir la coopération internationale dans le domaine de la lutte contre la traite des êtres humains ».

Le champ d’application de la convention est également plus large que celui du Protocole de Palerme, dès lors que la convention « s’applique à toutes les formes de traite des êtres humains, qu’elles soient nationales ou transnationales et liées ou non à la criminalité organisée ».

La Convention s’organise selon les principaux axes suivants : – la prévention, la coopération et les autres mesures ;

– les mesures visant à protéger et promouvoir les droits des victimes, en garan-tissant l’égalité entre les femmes et les hommes ;

– le droit pénal matériel ;

– les enquêtes, les poursuites et le droit procédural ;

– la coopération internationale et la coopération avec la société civile ; – le mécanisme de suivi ;

– les relations avec d’autres instruments internationaux.

Les parties sont appelées, dans le cadre des mesures de prévention et pour décourager la demande, à lancer des programmes et des campagnes d’infor-mation, de sensibilisation et d’éducation, en partenariat avec la société civile

et les organisations concernées (articles 5 et 6). Chaque État décide de la forme précise que prendront ces mesures de prévention, à condition que les victimes potentielles soient au centre de ces mesures, ainsi que les possibles

« consommateurs », incités à prendre conscience du fait que leurs actions peuvent constituer une participation à un acte de traite des êtres humains. Les parties doivent également prendre des mesures aux frontières, afin de lutter en amont contre la traite dans son aspect transnational, particulièrement en renforçant le contrôle des documents d’identité (articles 7, 8 et 9). Il convient d’analyser plus en profondeur deux questions.

Le volet « promotion et protection des droits des victimes »

La promotion et la protection des droits des victimes sont au cœur de la conven-tion, les parties devant définir et mettre en œuvre toutes les mesures utiles à l’identification. Il est donc impératif que les autorités compétentes de chaque État soient formées à l’identification des victimes de traite en tant que telles, afin de leur apporter le soutien nécessaire, notamment par la reconnaissance d’un droit au séjour (article 14). Ce travail d’identification et de formation à l’identification peut notamment être réalisé en partenariat avec toute organi-sation dédiée à la lutte contre la traite des êtres humains. Le but premier de l’identification des victimes de traite est d’éviter que celles-ci ne soient consi-dérées par les autorités comme des délinquants ou des migrants illégaux. Un motif raisonnable laissant présumer qu’une personne est victime de traite doit suffire à suspendre toute mesure d’éloignement du territoire jusqu’à ce que le processus d’identification soit complété.

Cela dit, la victime de traite doit aussi être dûment informée de ses droits, qui incluent, entre autres, un rapatriement vers son pays d’origine ou vers un pays où elle avait le droit de résider à titre permanent, en facilitant le cas échéant son accès à des documents de voyage (article 16). À cet effet, des programmes de rapatriement, auxquels participent les institutions publiques et les ONG, doivent être mis en place. Quant aux enfants, une évaluation des risques et de la sécurité doit être réalisée, afin qu’ils ne soient pas rapatriés vers un État si ce rapatriement n’est pas dans leur intérêt.

Les parties doivent également prendre des mesures, législatives ou autres, d’assistance physique et psychologique aux victimes, ainsi que de réintégration sociale. À cette fin, les parties sont tenues d’octroyer à chaque victime un délai de 30 jours, dit « délai de rétablissement et de réflexion », afin de « se rétablir et échapper à l’influence des trafiquants et/ou [de prendre], en connaissance de cause, une décision quant à sa coopération avec les autorités compétentes » (article 13-1). Toute victime a droit à un permis de séjour renouvelable si les autorités estiment que sa situation personnelle le requiert, ou si son séjour est nécessaire pour assurer sa coopération dans une enquête ou une procédure pénale (article 14-1).

Les autres droits sont notamment relatifs à l’accès à un hébergement conve-nable, à des soins médicaux, des conseils et des informations sur leurs droits en tant que victimes et un appui légal. À ce dernier propos, la convention précise utilement que l’assistance à une victime doit lui être apportée, même si celle-ci refuse de témoigner (article 12).

Il est à noter qu’un article sur l’égalité entre les hommes et les femmes a été intégré à la convention, stipulant : « Lorsqu’elle applique les mesures prévues au présent chapitre, chaque partie vise à promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes et a recours à l’approche intégrée de l’égalité dans le dévelop-pement, la mise en œuvre et l’évaluation de ces mesures » (article 17). Cette intégration de la notion d’égalité entre les femmes et les hommes est spécifique à la Convention du Conseil de l’Europe, et s’inscrit dans l’action plus large menée par l’institution dans ce domaine.

Enfin, les enfants victimes bénéficient de droits spécifiques, notamment l’at-tribution d’un tuteur légal ou l’accès à une éducation et à une assistance en fonction de leurs besoins spéciaux. Le retour à la famille des enfants victimes non accompagnés est une priorité lorsque cela correspond à leur intérêt supérieur.

En cas de doute sur l’âge d’une victime, celle-ci est présumée mineure jusqu’à l’établissement définitif de son âge, en plus de son identité et sa nationalité (article 10-3). En outre, toute victime a droit à la protection de sa vie privée et de son identité (article 11).

Le volet répressif

La convention, à l’instar des autres grands textes internationaux dédiés à la traite et à l’exploitation des êtres humains, confère le caractère d’infraction pénale non seulement aux actes de traite et d’exploitation commis intentionnellement et à la complicité dans le but de commettre ces actes, mais aussi à l’utilisation de services qui font l’objet de l’exploitation, si ces derniers sont utilisés en connais-sance de cause (articles 18, 19 et 20). La tentative de commission d’actes de traite et d’exploitation est elle aussi passible de poursuites pénales (article 21).

Quant aux personnes morales, elles peuvent être tenues pour responsables d’actes de traite, si ceux-ci sont commis en leur nom par une personne physique (article 22-1), ou si cette personne physique, « par absence de surveillance ou de contrôle […] a rendu possible la commission » d’une telle infraction (article 22-2). Cette responsabilité d’une personne morale peut être pénale, civile ou administrative, sans préjudice de la responsabilité pénale des personnes physiques (article 22-3).

S’agissant des sanctions elles doivent répondre à l’exigence générale d’effec-tivité, de proportionnalité et de dissuasion (article 23-1). Leur nature et leurs modalités ne sont cependant pas spécifiées. La possibilité d’une privation de liberté et celle d’une extradition sont simplement évoquées. Sont également mentionnées la faculté donnée aux parties de confisquer les instruments et les produits de la traite et celle de fermer des établissements ou d’interdire aux auteurs d’exercer l’activité dans le cadre de laquelle ils se sont rendus coupables de traite (articles 23-3 et 23-4).

Aux termes de l’article 24, les circonstances aggravantes dans la détermination des sanctions sont spécifiquement définies comme étant le fait que :

« l’infraction a mis en danger la vie de la victime délibérément ou par négli-gence grave ;

l’infraction a été commise à l’encontre d’un enfant ;

l’infraction a été commise par un agent public dans l’exercice de ses fonctions ;l’infraction a été commise dans le cadre d’une organisation criminelle ».

La possibilité de ne pas sanctionner les victimes de traite pour des activités criminelles auxquelles elles ont pris part sous la contrainte doit au demeurant être prévue (article 26).

Selon cette même convention, les enquêtes et les poursuites pour l’infraction de traite ne dépendent pas de la déclaration ni de l’accusation émanant d’une victime (article 27-1), car celle-ci ne porte que très rarement plainte de sa propre initiative, n’étant bien souvent pas consciente du fait qu’elle est victime de traite. Toutefois, si une victime souhaite porter plainte, elle doit pouvoir le faire dans son État de résidence, même si ce n’est pas sur le territoire de cet État que l’infraction a été commise. Cette plainte doit ensuite être transmise à l’autorité compétente de l’État où l’infraction a été commise, qui traitera la plainte (article 27-2). La convention énonce également que la victime est en droit de s’entourer d’acteurs de la société civile dont l’objectif est de lutter contre la traite et qui pourront lui apporter appui et assistance lors de la procédure pénale (article 27-3).

La situation de grande vulnérabilité des victimes de traite, notamment en raison de la crainte de représailles ou d’intimidations diverses, implique la nécessité d’une protection particulière. Les parties doivent donc adopter des mesures afin que soient adéquatement protégées non seulement les victimes, mais encore toute personne qui collabore avec les autorités chargées des enquêtes et des poursuites pour l’infraction de traite, notamment les témoins. Une pro-tection peut aussi être prévue pour les familles de victimes, les témoins et les collaborateurs des autorités (article 28-1). Ces mesures de protection « peuvent inclure la protection physique, l’attribution d’un nouveau lieu de résidence, le changement d’identité et l’aide dans l’obtention d’un emploi » (cf. articles 28-2 et 28-3). Ainsi, la sécurité physique et la protection de la vie privée des victimes doivent être assurées lorsqu’une procédure judiciaire est engagée (article 30).

De plus, l’article 29-1 exige des États parties que des « personnes ou des entités soient spécialisées dans la lutte contre la traite des êtres humains et dans la protection des victimes. Ces personnes ou entités disposent de l’indépendance nécessaire […] pour pouvoir exercer leurs fonctions efficacement et sont libres de toute pression illicite. Lesdites personnes ou le personnel desdites entités doivent disposer d’une formation et des ressources financières adaptées aux fonctions qu’ils exercent ». Des instances de coordination des organismes publics luttant contre la traite doivent être mises en place et les États doivent assurer la formation des agents chargés de la lutte contre la traite (articles 29-2 et 29-3).

Des Rapporteurs nationaux ou des mécanismes équivalents, chargés de suivre la mise en œuvre des politiques publiques de lutte contre la traite, doivent être nommés (article 29-4).

Enfin, la convention établit également une obligation de coopération internatio-nale et d’échange d’informations, notamment pour la protection des personnes menacées et pour la recherche des personnes disparues (article 33). De même, la coopération des organismes publics avec la société civile est encouragée (articles 34 et 35).

Le Groupe d’experts sur la lutte contre la traite des êtres humains (GRETA)

La Convention de Varsovie est le premier texte international à instaurer un méca-nisme de suivi afin de renforcer la mise en œuvre des dispositions adoptées. Ce mécanisme repose sur deux piliers, le Groupe d’experts sur la lutte contre la traite des êtres humains (GRETA) et le Comité des parties, et il permet d’assurer un suivi indépendant de la mise en œuvre de la convention, en déterminant le degré auquel les dispositions de la convention sont appliquées par les États parties.

Le GRETA, mis en place en 2009, a pour mission de « veiller à la mise en œuvre de la […] convention » (article 36-1) par les États qui l’ont ratifiée. Il est actuellement composé de 15 membres venant de pays différents, signataires de la convention, et siégeant à titre individuel. Ces membres sont élus par le Comité des parties pour un mandat de quatre ans renouvelable une fois. Issus de différents milieux professionnels, « ils sont choisis parmi des personnalités de haute moralité connues pour leur compétence en matière de droits de la personne humaine, assistance et protection des victimes et lutte contre la traite des êtres humains ou ayant une expérience professionnelle dans les domaines dont traite la présente Convention » (article 36-3, a).

Les cycles d’évaluation durent quatre ans, durant lesquels le GRETA peut effectuer une visite dans les pays concernés, afin de rencontrer directement les acteurs chargés de la mise en œuvre des dispositions de la convention, et de prendre connaissance directement de la situation sur le terrain (centres d’aide d’urgence, hôpitaux, centres pour migrants en situation irrégulière, etc.). Il adresse également des questionnaires aux autorités des États parties, portant sur les dispositions qu’il souhaite évaluer. Le GRETA peut en outre décider d’utiliser d’autres moyens pour mener à bien ses évaluations, notamment l’organisation d’auditions ou le recours à des experts ou des consultants 29. Les rapports, réalisés pour chaque partie à la convention, prennent en compte les commentaires des autorités de celles-ci et ont pour but d’analyser la situation dans chaque pays, ainsi que de suggérer des mesures permettant d’améliorer la mise en œuvre de la conven-tion. Le premier cycle d’évaluation, ouvert en février 2010, a notamment inclus la publication en janvier 2013 du premier Rapport concernant la mise en œuvre de la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains par la France 30.

Quant au Comité des parties, son rôle est tout d’abord d’élire les membres du GRETA, puis d’adopter des recommandations destinées aux parties évaluées par ce dernier, recommandations qui invitent les États à mettre en œuvre un certain nombre de mesures à même d’assurer l’application effective de la Convention de Varsovie. Le Comité des parties est composé « des représentants au Comité des ministres du Conseil de l’Europe des États membres parties à la Convention

29. Règles concernant la procédure d’évaluation de la mise en œuvre de la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains par les parties, adoptées le 17 juin 2009 et modifiées le 21 novembre 2014.

30. GRETA, Rapport concernant la mise en œuvre de la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains par la France, Conseil de l’Europe, Strasbourg, 28 janvier 2013.

et des représentants des parties à la Convention qui ne sont pas membres du Conseil de l’Europe » (article 37-1), et se réunit plusieurs fois par année.

L’évaluation de la mise en œuvre des mesures prévues par la Convention de Varsovie doit ainsi permettre non seulement une meilleure application de celles-ci dans les États parties, mais aussi une coopération internationale plus approfondie, afin de prévenir la traite des êtres humains et de lutter plus effi-cacement contre elle.

La Convention du Conseil de l’Europe s’inscrit donc dans la continuité du Protocole de Palerme, tout en adoptant une approche centrée sur les « droits humains » 31. Ses dispositions constituent les fondements sur lesquels l’Union européenne a, par la suite, adopté ses propres normes et règles.

Dans le document LA LUTTE CONTRE LA TRAITE ET (Page 35-40)