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Renforcer les garanties des victimes potentielles de traite au cours de la procédure d’asile

Dans le document LA LUTTE CONTRE LA TRAITE ET (Page 178-182)

Plusieurs aspects de la procédure, telle qu’elle est aujourd’hui appliquée, appellent pour la CNCDH des commentaires et améliorations.

User de toutes les potentialités du règlement Dublin III

En premier lieu, l’article 5 du règlement Dublin III prévoit l’organisation d’un entretien individuel « afin de faciliter le processus de détermination de l’État membre responsable ». La jurisprudence belge du Conseil contentieux des étrangers démontre l’attention particulière qu’il est possible d’apporter à la détection des victimes de traite, même dans le cadre d’une procédure de transfert Dublin 76. L’entretien prévu à l’article 5 doit donc constituer une véritable garantie procédurale permettant l’identification de telles victimes. Pour la CNCDH, les fonctionnaires chargés de mener cet entretien doivent impérativement procéder à la détection et à l’identification des victimes potentielles de traite 77. Ils doivent donc bénéficier de formations adaptées.

En second lieu, la CNCDH recommande, une nouvelle fois, une application systématique par la France des clauses discrétionnaires de l’article 17 du règle-ment Dublin III en cas de risque manifeste d’atteinte aux droits de l’homme dans le pays de renvoi 78. Un échange entre les autorités françaises, le HCR ou toute autre organisation gouvernementale ou non, et, le cas échéant, le Bureau européen d’appui en matière d’asile pouvant avoir connaissance de la situation dans ce pays, devrait permettre de statuer promptement.

Prévoir des garanties procédurales spéciales au profit des demandeurs d’asile victimes de traite

L’article 24-1 de la directive 2013/32/UE du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale (refonte) énonce que « les États membres évaluent dans un délai raisonnable après la présentation d’une demande de protection internationale si le demandeur nécessite des garanties procédurales spéciales ». L’article 24-4 précise ensuite que « les États membres veillent à ce que le besoin de garanties procédurales soit également pris en compte […] lorsqu’un tel besoin apparaît à un stade ultérieur de la procédure, sans qu’il faille nécessairement recommencer celle-ci ».

Transposant ces dispositions, le nouvel article L. 744-6 du CESEDA issu de la loi no 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d’asile est ainsi rédigé : « Dans la mise en œuvre des droits des demandeurs d’asile et pendant toute la période d’instruction de leur demande, il est tenu compte de la situation

76. Conseil du contentieux des étrangers, 18 septembre 2014, arrêt no 129604, affaire 146 590/III ; alors que la requérante avait déjà déposé une première demande d’asile à Chypre, le Conseil a néanmoins décidé de prendre en charge sa nouvelle demande, compte tenu des mauvais traitements subis sur place, étayés par des rapports du HCR sur la question publiés en 2013, et de l’absence d’investigations supplémentaires par les autorités chypriotes, alors que la requérante faisait état de faits de traite.

77. Commission européenne, Identification des victimes de la traite des êtres humains dans les procédures d’asile et de retour. Étude du Réseau européen des migrations, mars 2014, p. 14.

78. CNCDH, 20 novembre 2014, Avis précité sur le projet de loi relatif à la réforme de l’asile, parag. 26

spécifique des personnes vulnérables. » Ce même texte fait figurer, parmi les critères de vulnérabilité, la qualité de victime de la traite des êtres humains.

Pour la CNCDH les règles procédurales gouvernant le traitement de la demande d’asile doivent être adaptées aux spécificités relatives aux victimes de traite qui doivent impérativement bénéficier de garanties spéciales.

Garantir un accompagnement juridique et social spécifique

Ce sont les plates-formes d’accueil pour demandeurs d’asile (PADA) qui ont pour mission d’apporter leur aide aux demandeurs d’asile devant saisir l’OFPRA 79. Or elles ne peuvent pas toujours mener à bien cette mission en raison de contraintes budgétaires et d’une surcharge d’activité liée à l’accroissement de la demande d’asile depuis 2008 80. Ce sont donc trop souvent les organisations non gouvernementales qui sont sollicitées pour assurer l’aide à la rédaction des demandes d’asile et qui sont elles-mêmes débordées 81. Cet état de fait conduit à ce que seul un faible pourcentage de personnes a réellement accès à une aide de qualité lors du dépôt de leur demande d’asile. Dans ces conditions, la CNCDH ne peut que rappeler la nécessité pour l’État de prévoir des finance-ments suffisants, notamment au profit des associations et des interprètes, pour rendre pleinement effectif le droit à l’information des demandeurs d’asile, et plus spécifiquement les droits de ceux qui sont victimes potentielles de traite.

Pour la CNCDH, il est impératif que le personnel des PADA puisse bénéficier de formations solides aux spécificités de la traite des êtres humains, afin qu’il dispose d’outils d’identification des victimes potentielles et qu’il puisse dispenser un accompagnement social et juridique adapté.

Améliorer l’instruction de la demande d’asile formée par une victime de traite

Améliorer l’identification des victimes de la traite par les agents de l’OFPRA

Depuis 2013, la traite des êtres humains fait partie des priorités de l’OFPRA 82 : un groupe de travail a œuvré à l’élaboration d’éléments de doctrine et de procédure, utilisés depuis comme base pour l’instruction des demandes liées à des faits de traite 83. Ce groupe a en outre effectué un important travail de sensibilisation auprès de l’ensemble des équipes de l’office et multiplié les partenariats tant associatifs 84 qu’institutionnels 85, afin de mieux se former aux spécificités de la traite des êtres humains. La CNCDH ne peut que saluer les efforts entrepris par l’OFPRA pour doter les officiers de protection d’une formation et de connaissances solides. La qualité de l’instruction des demandes d’asile

79. Les PADA gérées par l’OFII ne prennent pas en charge les personnes placées en « procédure Dublin » ni les demandeurs en procédure prioritaire, car ils ne sont pas éligibles aux CADA.

80. CFDA, Droit d’asile en France : conditions d’accueil. État des lieux 2012, pp. 18-21.

81. Ibid., pp. 16-17.

82. P. Brice, directeur général de l’OFPRA, Audition du 3 juillet 2015.

83. OFPRA, Rapport d’activité 2014, op. cit., p. 58.

84. Par exemple les Amis du bus des femmes, l’Amicale du Nid, l’ALC-Nice, IPPO ou encore La Cimade.

85. Par exemple la MIPROF, le Bureau européen d’appui en matière d’asile ou le Réseau européen des migrations.

ne pourra qu’être considérablement améliorée, notamment par une meilleure identification des victimes de traite des êtres humains.

En outre, l’OFPRA a mis au point un dispositif de saisine des associations qui peuvent alerter l’Office de la situation de personnes potentiellement victimes de traite. Pour des raisons évidentes de déontologie, ces associations ne sont pas habilitées à saisir directement l’agent de protection chargé du dossier. La CNCDH estime que l’identification des victimes potentielles de traite impose de coordonner les synergies entre l’OFPRA et les associations. Elle ne peut donc que recommander le renforcement des liens et contacts entre ceux-ci.

Prévoir des modalités spécifiques d’organisation de l’entretien

En premier lieu, l’article L. 723-6, alinéa 13, du CESEDA donne compétence au directeur général de l’OFPRA pour définir les modalités d’organisation de l’entre-tien. Lors de son audition par la CNCDH, ce dernier a utilement précisé, à propos de la conduite de l’entretien par les agents de l’office, que l’accent est mis sur : – le renforcement des compétences des officiers de protection, afin d’aider les victimes potentielles de traite à verbaliser leurs craintes de persécution, étant rappelé que les premiers ne sont pas habilités à déterminer si un demandeur d’asile est ou non victime de traite s’il ne s’est pas déclaré comme tel ; – l’aide à apporter aux officiers de protection afin qu’ils puissent garder la bonne distance par rapport aux personnes entendues. Dans ce but, des groupes de parole sont organisés sous la direction d’un psychologue 86.

Ces initiatives ne pourront qu’améliorer la qualité de l’entretien et la verbalisation des récits par les demandeurs d’asile. À cette fin, la CNCDH recommande en cas de détection d’une victime potentielle de traite :

– de prévoir la possibilité d’un entretien plus long pour permettre la verbalisation ; – de prévoir la possibilité d’un report d’entretien, afin de rassembler les preuves de la situation d’exploitation dans laquelle se trouve le demandeur.

En deuxième lieu, la loi précitée du 29 juillet 2015 a reconnu à tout demandeur d’asile la possibilité de se faire accompagner par un tiers à l’entretien OFPRA. Aux termes du nouvel article L. 723-6, alinéa 8, du CESEDA, « le demandeur peut se présenter à l’entretien accompagné soit d’un avocat, soit d’un représentant d’une association de défense des droits de l’homme, d’une association de défense des droits des étrangers ou des demandeurs d’asile, d’une association de défense des droits des femmes ou des enfants ou d’une association de lutte contre les persécutions fondées sur le sexe ou l’orientation sexuelle ». Ces dispositions sont certes destinées à empêcher toute intrusion de responsables de réseaux et autres trafiquants, mais elles ne permettent malheureusement pas l’habilitation des asso-ciations luttant contre toutes les catégories d’exploitation visées par la traite. La CNCDH recommande donc de compléter l’article L. 723-6, alinéa 8, du CESEDA.

En troisième lieu, le directeur général de l’OFPRA a fixé les modalités concrètes de l’intervention du tiers par une décision du 30 juillet 2015 87. Pour la CNCDH, il ne faudrait pas que l’exclusion de toute possibilité de report d’entretien en

86. P. Brice, directeur général de l’OFPRA, Audition du 3 juillet 2015.

87. Directeur général de l’OFPRA, Décision NOR : INTV1517766S du 30 juillet 2015 fixant les modalités d’organisation de l’entretien en application de l’article L. 723-6 du CESEDA.

cas d’absence du tiers (avocat ou représentant d’une association) et l’absence de possibilité pour ce dernier d’intervenir au cours de l’entretien 88 entravent l’identification effective d’une victime potentielle de traite.

Classer en procédure normale les deuxièmes demandes d’asile formées par des victimes potentielles de traite des êtres humains

Il arrive, ainsi que l’a constaté la CNCDH 89, que des victimes de traite soient contraintes, sous l’emprise des auteurs de l’infraction, à déposer une première demande d’asile, sous une fausse identité et sur la base d’un récit fantaisiste.

Lorsqu’elles arrivent ensuite à s’extraire du réseau et à être informées de leurs droits, ces personnes peuvent décider de présenter une nouvelle demande sous leur véritable identité en faisant état de l’ensemble des faits commis à leur encontre et du risque de persécution en découlant. Cette deuxième demande sera traitée dans le cadre d’une procédure de réexamen, dès lors que la première a fait l’objet d’une décision définitive (article L. 723-15 du CESEDA). En pratique, une telle situation peut rendre extrêmement difficile l’identification et la prise en charge des victimes de traite, en raison de plusieurs obstacles procéduraux : – la possibilité pour l’OFPRA de statuer en procédure accélérée s’agissant d’un réexamen (article L. 723-2, I., 2° du CESEDA), étant précisé que, en2014, soit avant la réforme, 89 % des demandes de réexamen étaient classées par les préfectures en procédure prioritaire 90 ;

– le rejet de la nouvelle demande au fond, au motif que la présentation de plusieurs demandes sous différentes identités est constitutive d’une fraude de nature à introduire un doute quant à la sincérité des déclarations ou du bien-fondé des craintes de persécution 91 ;

– la mise en œuvre d’une procédure d’éloignement à la suite du débouté.

Il ressort des auditions conduites à la CNCDH que ces difficultés pratiques contribuent à précariser la situation des victimes de traite et donc à accentuer leur vulnérabilité 92.

À cet égard, il doit être précisé que l’article L. 723-2, V. issu de la loi précitée du 29 juillet 2015 dispose : « Dans tous les cas, l’Office procède à un examen individuel de chaque demande dans le respect des garanties procédurales prévues au présent chapitre. Il peut décider de ne pas statuer en procédure accélérée lorsque cela lui paraît nécessaire pour assurer un examen approprié de la demande. » L’OFPRA détient donc la prérogative de reclasser une procédure.

Pour la CNCDH, un tel reclassement en procédure normale doit obligatoirement intervenir lorsqu’un demandeur d’asile s’auto-identifie en tant que victime de traite ou lorsqu’un ou plusieurs indices laissent présumer qu’une personne est victime de tels faits. Cette garantie spéciale suppose en amont que les officiers

88. Article 2 de la Décision précitée.

89. CNCDH, La Traite et l’Exploitation des êtres humains en France, op. cit., pp. 248-249. Adde Commission européeenne, Identification des victimes de la traite des êtres humains dans les priocédures d’asile et de retour. Étude du Réseau européen des migrations, op. cit., p. 16. Voir également N. Martin, « Victimes de la traite et migration », La Semaine juridique, éd. gén., supplément au no 19-20, 6 mai 2013, p. 31.

90. OFPRA, Rapport d’activité 2014, Paris 2015, p. 10.

91. Pour plus de détails, voir CNCDH, La Traite et l’Exploitation des êtres humains en France, op. cit., p. 249.

92. Espoir d’Asile et CHRS Le Pas, accompagnement des victimes de la traite d’êtres humains, Auditions du 29 mai 2013.

de protection disposent d’une formation suffisante en matière de traite des êtres humains et que l’Office ait des relais associatifs indispensables à la détection des victimes potentielles de tels faits.

Améliorer l’accueil et l’hébergement des demandeurs d’asile

Dans le document LA LUTTE CONTRE LA TRAITE ET (Page 178-182)