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Les dispositifs mis en place en amont du Plan d’action national Le dispositif de droit commun d’hébergement des victimes

Dans le document LA LUTTE CONTRE LA TRAITE ET (Page 188-193)

de traite et d’exploitation des êtres humains

La loi no 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure prévoit les mesures d’assistance en matière d’hébergement aux victimes de la traite. L’ar-ticle 43 issu de cette loi a ajouté à l’article L. 345-1 du code de l’action sociale et des familles préexistant le paragraphe suivant : « Des places en centres d’hébergement et de réinsertion sociale sont ouvertes à l’accueil des victimes de la traite des êtres humains dans des conditions sécurisantes. » Les centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) sont ouverts aux personnes et aux familles qui connaissent « de graves difficultés notamment économiques, familiales, de logement de santé ou d’insertion, en vue de les aider à accéder ou à recouvrer leur autonomie personne et sociale ». Ils ont pour vocation d’accueillir, pour une durée déterminée, les populations les plus démunies, personnes et familles en situation de détresse sociale, personnes expulsées ou privées de logement, personnes sortant d’établissements médicaux, sociaux ou pénitentiaires, de réfugiés ou de demandeurs d’asile. L’admission dans le centre est prononcée par le responsable de l’établissement en tenant compte notamment « de la capacité du centre, de la catégorie de personnes qu’il est habilité à recevoir ainsi que des activités d’insertion qu’il est habilité à mettre en œuvre ». Le financement des centres est assuré par une dotation globale de l’État, au titre de l’aide sociale, répartie régionalement. Un référentiel national intitulé Accueil, hébergement, insertion publié en mars 2005 par la Direction générale de l’action sociale définit les principes de la prise en charge et de l’accompagnement des personnes en centres d’hébergement et de réinser-tion sociale. Ces principes s’appliquent pleinement aux victimes de la traite.

Conséquemment, l’aide apportée est globale puisqu’elle prend en compte la situation de la personne dans son ensemble (accès aux droits, à l’emploi, à la formation, au logement et la santé mais aussi à une vie sociale (bien-être, citoyenneté, culture), individuelle et adaptée à chacun eu égard à sa situation personnelle et à son parcours.

Ce sont ces CHRS, répartis sur l’ensemble du territoire national, qui assurent principalement les missions d’hébergement des victimes de traite. Les victimes majeures sont orientées dans un premier temps vers des CHRS d’urgence, tels que le SAMU social, ou des CHRS de stabilisation et d’insertion pour un accompagnement social et psychologique de long terme. L’orientation des victimes vers les structures d’hébergement adaptées est assurée par le Service intégré d’accueil et d’orientation (SIAO) dans chaque département. Mis en place en 2010 11, les SIAO ont été conçus pour mieux répondre aux besoins des personnes en difficulté, mieux réguler les places sur un territoire donné et en améliorer le diagnostic.

11. Loi no 2009-323 du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion.

Le Dispositif national Ac.Sé

La Convention de Varsovie encourage les États membres à attribuer un nouveau lieu de résidence aux victimes de la traite quand cela s’avère nécessaire 12. En France, le seul dispositif permettant d’éloigner les victimes de traite du lieu de commission de l’infraction, en leur octroyant une mise à l’abri, est coordonné par l’association Accompagnement Lieux d’accueil Carrefour éducatif et social (ALC). Mécanisme national de protection des victimes de traite des êtres humains né en 2001 comme une action initialement expérimentale, le dispositif natio-nal Ac. Sé (ACcueil SÉcurisant) fait aujourd’hui partie intégrante des mesures de protection des victimes de la traite en France 13. Le réseau Ac. Sé compte actuellement 70 partenaires, dont 20 sont des associations et 50 des CHRS, répartis à travers la France. Chaque partenaire s’engage à héberger au moins une personne par an. Selon l’association ALC, certains établissements mettent parfois à disposition deux, voire trois, places en permanence 14. Dans tous les cas, les modalités de prise en charge et d’accompagnement sont celles pratiquées par chaque structure. Puisque le mécanisme est composé principalement de CHRS, ce sont donc initialement des structures d’hébergement non spécialisées, qui hébergent habituellement des personnes en difficulté sociale, qui acceptent d’accueillir des victimes de traite en formant en conséquence leur personnel à la prise en charge de ces personnes qui ont subi des traumatismes physiques et psychologiques d’une ampleur non négligeable.

Les missions du dispositif sont diverses : éloigner géographiquement les vic-times, animer un pôle ressource à destination de tous les intervenants en contact régulier ou occasionnel avec des personnes victimes (conseil juridique et social par téléphone, publication de documents techniques, organisation et animation de formations et de séminaires…), et mettre en réseau des structures spécialisées et des centres d’hébergement. L’action est de ce fait coordonnée autour de plusieurs axes : contact direct, accueil, évaluation et identification des victimes, puis hébergement et insertion professionnelle de ces mêmes victimes. La coordination ALC peut proposer une prise en charge en France mais peut également aider les personnes qui ont demandé une aide au retour dans leur pays d’origine 15.

12. Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains, dite Convention de Varsovie, art. 28-2.

13. Voir par exemple le décret no 2007-1352 du 13 septembre 2007 relatif à l’admission au séjour, à la protection, à l’accueil et à l’hébergement des étrangers victimes de la traite des êtres humains et du proxénétisme et modifiant le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ; et la circulaire no IMIM0900054C du 5 février 2009, portant sur les conditions d’admission au séjour des étrangers victimes de la traite des êtres humains ou du proxénétisme coopérant avec les autorités judiciaires.

14. Association ALC, Identifier, accueillir et protéger les victimes de la traite des êtres humains, guide pratique, février 2014, p. 77

15. Le retour dans le pays d’origine se fait généralement en lien avec l’OFII qui se voit confier, sous couvert du ministère de l’Intérieur, la mission de participer à toutes les actions administratives relatives au retour et à la réinsertion des étrangers dans leur pays (art. L.5223-1 du code du travail). À cet égard, l’OFII est chargé de la mise en œuvre des programmes d’aide au retour et à la réinsertion économique et prend ainsi en charge l’organisation du retour, une aide dans l’obtention des documents de voyage, le billet de transport aérien et de transport secondaire à l’arrivée dans le pays de retour pour le demandeur et sa famille qui l’accompagne et l’acheminement vers l’aéroport de départ en France.

Le dispositif repose sur la participation volontaire des victimes, éloignées du lieu d’exploitation, et hébergées au sein des CHRS partenaires. L’accueil des victimes se fonde sur les principes de la libre adhésion de la personne, d’une prise en charge globale de l’individu, de la confidentialité et d’un accueil banalisé. Ac.Sé s’adresse aux personnes françaises ou étrangères, majeures et sans distinction de genre, victimes de la traite des êtres humains et/ou de proxénétisme, en situation administrative régulière ou non, en danger ou en attente d’alternatives à leur situation d’exploitation, et nécessitant un éloignement géographique vers un lieu d’accueil tenu confidentiel. De plus peut être proposé un accueil collectif ou individuel, un accueil pour des personnes accompagnées de leurs enfants 16 ou pour des personnes isolées.

Certains lieux d‘accueil sont situés dans des régions très reculées pour assurer une protection accrue aux victimes qui le souhaitent, alors que d’autres sont basés dans des régions urbaines plus dynamiques dans lesquelles le processus d’inclusion sociale, qui passe par des formations professionnelles et l’accès à l’emploi, peut être facilité. La diversification des modes d’accueil permet également de ne pas concentrer les personnes victimes de traite issues de la même nationalité dans les mêmes lieux, ce qui pourrait ne pas être rassurant ni sécurisant.

Tout intervenant associatif ou institutionnel en contact avec des victimes de traite et d’exploitation peut solliciter le dispositif Ac. Sé, quelle que soit sa localisation géographique en France. Un numéro d’accueil téléphonique national est spé-cialement affecté à cet usage, le 0825 009 907. Les demandes d’hébergement sont centralisées par une équipe de coordination dirigée par ALC qui reçoit les signalements des personnes ayant besoin d’être mises à l’abri, évalue la situation et recherche dans le réseau la structure la plus adaptée ayant une place vacante. La prise de contact se passe directement par téléphone et si une place est disponible, la coordination Ac.Sé met en relation le demandeur et le lieu d’accueil. Les victimes sont généralement accompagnées physiquement jusqu’à leur arrivée dans le centre par un opérateur de la structure qui s’est chargé de l’orientation.

Le mécanisme Ac.Sé est financé conjointement par le ministère des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des Femmes (service des droits des femmes et de l’égalité), le ministère de la Justice (service de l’accès au droit et à la justice et de l’aide aux victimes) et la Ville de Paris (observatoire des égalités femmes/hommes). Le ministère des Affaires sociales a contribué à hauteur de 178 000 euros en 2013, et de 170 000 euros en 2014 et 2015 17. Si la baisse du montant alloué reste minime et stable, la CNCDH regrette cependant cette diminution car le nombre de victimes qui effectuent une demande de prise en charge par Ac.Sé a tendance à augmenter au cours des derniers mois 18.

16. Au total 26 enfants étaient présents dans les lieux d’accueil d’Ac.Sé en 2014, soit 25 % de personnes prises en charge accompagnées de leurs enfants.

17. Rapport intermédiaire soumis par les autorités françaises pour être en conformité avec la Recommandation du Comité des parties CP(2013) 1, sur la mise en œuvre de la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains, reçu le 13 février 2015, p. 16.

18. Ac. Sé, Dispositif national Ac.Sé. Bilan des activités 2014, Association ALC, Nice, mars 2015.

Selon les pouvoirs publics et la société civile, unanimes, l’efficacité du système n’est plus à démontrer. La diversification des modalités d’accueil permet de répondre aux besoins de chaque victime. En 2014, la coordination du dispo-sitif Ac.Sé a été sollicitée pour 79 demandes d’orientation, en provenance de 23 villes différentes 19. Près de 80 % des demandes ont été initiées par l’un des partenaires du dispositif, les autres demandes provenant de services publics ou d’associations spécialisées en matière d’accompagnement des victimes de traite extérieures au partenariat. Si le dispositif s’adresse aux personnes victimes de traite des êtres humains selon la définition de l’article 225-4-1 du code pénal, les personnes victimes de traite aux fins d’exploitation sexuelle représentent la quasi-totalité des victimes orientées et accueillies. Les victimes d’esclavage domestique et de travail forcé sont très peu représentées. Les pouvoirs publics expliquent cette situation par le fait que la traite à des fins d’exploitation sexuelle des victimes étant plus « visible » par rapport aux autres formes de traite, l’identification des victimes de ce type est facilité, et le pourcentage de prise en charge par conséquent est plus élevé 20.

La difficile mise en œuvre du droit à l’hébergement pour les victimes de la traite

Nombre d’associations consultées par la CNCDH constatent que, ces dernières années, le nombre de places d’hébergement a régressé 21 alors même que le nombre de demandes pour une mise à l’abri des personnes victimes de traite en danger a augmenté au cours de l’année 2014 22. Cette progression du nombre de demandes de mise à l’abri confirme l’intérêt et la pertinence de la proposition d’accueil, de protection et d’accompagnement qui est faite au sein du dispositif Ac. Sé, et la nécessité de porter une attention particulière à l’hébergement des victimes. Le nombre important de demandes d’orientation en 2014 a provoqué une difficulté dans la capacité de réponse rapide aux besoins d’éloignement des personnes victimes. Cette augmentation s’explique notamment par le fait que la plupart des victimes de la traite ne peuvent plus rentrer dans leur pays d’origine à cause de risques importants pour leur propre sécurité physique. En cas de retour, elles pourraient être confrontées à la stigmatisation et être exposées au danger d’être à nouveau repérées par les réseaux de traite et d’exploitation et revictimisées.

Aujourd’hui, les réponses d’éloignement géographique peuvent prendre beau-coup de temps faute de place disponible 23. Les personnes victimes qui font une demande de mise à l’abri via le dispositif Ac.Sé ne peuvent en effet pas être placées tant que les personnes précédentes sont toujours dans les lieux

19. Ac.Sé, Disposit : if national Ac. Sé. Bilan intermédiaire de janvier à août 2015 47demandes d’orien-tation, en provenance de 15 villes différentes.

20. Rapport intermédiaire soumis par les autorités françaises pour être en conformité avec la recomman-dation du Comité des parties CP(2013) 1 sur la mise en œuvre de la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains, p. 16

21. GRETA, Rapport concernant la mise en œuvre de la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains par la France, op. cit., parag. 42

22. Ac. Sé, Dispositif national. Ac.Sé, Bilan des activités 2014, op. cit.

23. L. Guinamard (auteur) et G. Colas (dir.), Les nouveaux visages de l’esclavage, Les Éditions de l’Atelier 2015, p.145 : « En général, nous répondons à la demande en une semaine entre le premier appel et la réponse positive d’un des lieux d’accueil. En tout cas c’est notre objectif, [explique] Frederica Marengo [de ALC]. Parfois, la situation est plus complexe ou le dispositif est saturé, alors ça prend quelques jours de plus. »

d’accueil ; or, au vu de la complexité des situations administratives et sociales des personnes hébergées, le délai moyen de prise en charge est d’un an. Long mais nécessaire, ce délai ne permet pas de renouveler régulièrement les places dans les divers CHRS. Une difficulté supplémentaire peut s’ajouter dans certains départements, lorsque la nécessité de faire valider les dossiers par les SIAO vient retarder les orientations. La procédure de traitement peut être longue et empêche toute mise en œuvre rapide du dispositif. L’ensemble de ces difficultés contreviennent au fonctionnement d’un mécanisme qui doit pourtant apporter des réponses rapides pour assurer la sécurité de la victime. Enfin, la CNCDH regrette qu’aucun mécanisme international d’éloignement géographique des victimes de traite ne vienne compléter le mécanisme national Ac.Sé en pro-posant des solutions d’hébergement sécurisant à l’étranger, pour les victimes qui souhaiteraient retourner dans leur pays d’origine. En plus de répondre au souhait de certaines victimes, ce type de mécanisme pourrait permettre, dans une certaine mesure, de soulager le dispositif Ac.Sé, qui tend à être saturé.

Les autres victimes, dont l’éloignement géographique n’est pas nécessaire ou a été refusé, peuvent être placées dans des CHRS qui ne sont pas partenaires du dispositif Ac.Sé. Mais dans un contexte généralisé de pénurie de places en CHRS, les rares places disponibles au sein de ces centres de droit commun peuvent n’être libérées qu’après plusieurs mois d’attente. Outre la faible capacité d’accueil et les délais qui en découlent, les règlements intérieurs des CHRS ne sont pas toujours adaptés à la spécificité des personnes victimes de traite. Par conséquent il ne peut y avoir que très rarement une prise en charge spécifique et adaptée de ces personnes.

Les autorités françaises expliquent l’incapacité à faire face aux demandes d’hébergement des victimes de traite par les fortes tensions entre le niveau de crédits budgétaires, les places mobilisables et l’augmentation croissante de la demande de prise en charge, notamment de demandeurs d’asile ont impacté le dispositif d’hébergement généraliste ; cette situation pouvant aboutir selon les territoires à des demandes de prise en charge restées sans réponse. Pour-tant, à l’issue de la promulgation de loi sur la sécurité intérieure de 2003 24, le gouvernement avait annoncé la création de 500 places en centres d’héber-gement, spécifiquement destinées à accueillir des personnes victimes de la traite. Malheureusement, aucune place supplémentaire n’a été créée depuis.

La CNCDH souhaite insister sur le fait que s’il est effectivement crucial et urgent d’augmenter la capacité d’hébergement pour les personnes victimes de la traite, il n’est pas pour autant nécessaire de créer des centres d’hébergement spécialisés et spécifiques pour ce public. Augmenter l’offre d’hébergement des CHRS généralistes, disposant de personnels formés à la question de la traite et de l’exploitation, permettrait aux victimes de passer progressivement du statut de victime à un statut de personne bénéficiant de mesures de droit commun, ce qui faciliterait leur réinsertion sociale.

Si le refus d’hébergement peut être justifié par une offre insuffisante, la CNCDH a pu constater que nombre de refus d’hébergement présentaient un caractère clairement discriminatoire : les victimes qui se trouvent dans une situation

24. Loi no 2003-239 du 18 mars 2003 relative à la sécurité intérieure.

administrative précaire se voient systématiquement refuser l’accès à l’héber-gement, les délégations territoriales des agences régionales de santé (ARS) estimant dans la plupart des cas qu’il est impossible de travailler à la réinsertion sociale, à long terme, de personnes n’étant pas titulaires d’une carte de séjour temporaire 25. En effet en dépit du principe de l’inconditionnalité de l’accueil en CHRS 26, rares sont les structures qui peuvent accueillir des personnes étrangères en attente d’une régularisation, les directions départementales de la cohésion sociale (DDCS) refusant de financer les places 27. Les victimes qui ont vu leur demande d’hébergement rejetée peuvent engager une procédure de recours pour faire valoir leur droit à un hébergement, mais la procédure peut parfois prendre plusieurs mois avant de donner lieu effectivement à un logement 28. En outre, les associations, en particulier l’association ALC qui coordonne le dispositif Ac. Sé, soulignent que les personnes victimes de traite, pour la plupart étrangères, ne connaissent pas forcément leurs droits ni les dispositifs d’aide dont elles peuvent bénéficier 29. Elles ne connaissent pas les dispositifs d’hébergement, leur nature et leurs missions, dans ce contexte, les CHRS, leurs modalités d’accueil et d’accompagnement peuvent effrayer certaines victimes.

Il convient donc de s’assurer qu’une information précise sur les CHRS et la prise en charge proposée soit délivrée aux victimes avant toute orientation.

À ces obstacles, qui viennent entraver l’effectivité du droit à l’hébergement pour les victimes de traite et d’exploitation, viennent s’ajouter des difficultés liées à la situation spécifiques des victimes de traite que le travailleur social doit prendre en compte, ce qui implique qu’il soit formé en conséquence.

Améliorer l’offre d’hébergement pour les victimes de la traite :

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