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Prévenir les actes de traite et d’exploitation

Dans le document LA LUTTE CONTRE LA TRAITE ET (Page 148-153)

Un acte criminel efficacement prévenu est un acte criminel qui n’a pas lieu, c’est pourquoi les actions de prévention visant à réduire la traite et l’exploitation des êtres humains sont fondamentales. Selon le haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, les États « ont la responsabilité, au regard du droit international, d’agir avec la diligence voulue pour prévenir la traite 31». On peut remarquer, à ce titre, que l’ensemble des textes internationaux spécifiques à la traite ou à l’exploitation encourage les États à adopter une stratégie globale de lutte contre la traite comprenant des mesures destinées non seulement à sanctionner ceux qui en sont les auteurs et à protéger ceux qui en sont les victimes, mais aussi à prévenir sa réalisation 32.

La prévention de la traite et de l’exploitation déborde les champs de la répression et de la protection, en intervenant auprès de personnes qui ne sont ni auteurs ni victimes de faits de traite ou d’exploitation, mais qui peuvent devenir l’un ou l’autre, à des degrés divers et selon une probabilité plus ou moins forte. À destination de ce public large, les textes internationaux spécifiques à la traite ou à l’exploitation prévoient généralement l’organisation de campagnes d’in-formation, de sensibilisation, de d’in-formation, voire d’éducation 33. Le Plan d’action national affiche cette ambition préventive dans son premier objectif, au travers des mesures 3 « Informer et sensibiliser le grand public » et 4 « Sensibiliser les publics à risque ». Le Protocole de Palerme et la Convention de Varsovie

30. La CNCDH a notamment eu connaissance de la mise en place d’un groupe de travail réunissant la DGT, l’OCLTI, TRACFIN et le CCEM sur le renforcement de la formation des inspecteurs du travail.

31. Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations unies, Principes et directives concernant les droits de l’homme et la traite des êtres humains : recommandations, Texte présenté au Conseil économique et social comme addendum au rapport du haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme (E/2002/68/Add.1), 2002, principe 2, p. 1.

32. Voir notamment le Préambule et l’article 2 du Protocole de Palerme, 2000 ; l’article 1er de la Convention de Varsovie, 2005 et l’article 1er de la directive no 2011/36/UE, 2011.

33. Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants adopté par l’Assemblée générale des Nations unies dans sa résolution A/RES/54/263 du 25 mai 2000, art. 9-2 ; Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies dans sa résolution 55/25 du 15 novembre 2000, art. 3-1 et 31-5 ; Protocole de Palerme, 2000, art. 9-2 ; Principes et directives concernant les droits de l’homme et la traite des êtres humains : recommandations du Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations unies, 2002, directive 7-5 ; Convention de Varsovie, 2005, art. 5-2 ; directive 2011/36/UE, 2011, art. 18.

appellent en outre les États à s’efforcer d’engager des « recherches » pour mettre au point des moyens de prévention efficaces 34. De telles recherches s’avèrent nécessaires notamment pour identifier et agir sur les causes structurelles de la traite et de l’exploitation.

Informer et sensibiliser le grand public

L’un des principaux freins à une lutte efficace contre la traite des êtres humains est la méconnaissance du phénomène, largement ignoré par la plupart de nos concitoyens. Au-delà des actions de formation à destination des professionnels directement concernés, il convient donc de mener des actions de sensibilisa-tion auprès du grand public, mais également et surtout auprès des personnes susceptibles d’être confrontées à un cas de traite et d’exploitation. En France, la définition complexe de la traite et de l’exploitation peut laisser certaines personnes dans l’ignorance du caractère criminel du comportement qu’elles envisagent soit d’adopter à l’égard d’autrui, soit d’accepter de la part d’autrui.

L’information fournie peut alors être cruciale pour éviter que les premières ne deviennent auteurs et les secondes victimes de faits de traite ou d’exploitation.

Comme c’est le cas en matière de formation à l’identification des cas de traite, la CNCDH a pu constater qu’il existe actuellement en France un certain nombre d’actions d’information et de sensibilisation, mais elles sont malheureusement peu trop peu nombreuses, éparpillées et réalisées sans coordination entre les différents acteurs concernés. La CNCDH constate que les pouvoirs publics n’ont à ce jour pas lancé de campagne de sensibilisation nationale sur la traite des êtres humains, alors même que c’était une demande forte du GRETA en 2013 35. La CNCDH recommande au Gouvernement de sensibiliser davantage le grand public aux différents types de traite et de victimes, elle considère que, pour ce faire, le Gouvernement devrait organiser des campagnes d’information et de sensibilisation, en y associant la société civile. Les actions prévues dans le Plan national lui semblent à ce titre tout à fait adaptées et devront être mises en œuvre. Il est en effet prévu de déployer une large campagne d’affichage dans les lieux publics fortement fréquentés par le grand public (aéroports, gares ferroviaires et routières). Parallèlement à cette action, le Gouvernement proposera à plusieurs grands aéroports et gares de mener un travail commun afin de s’assurer que toute personne transitant par le territoire national bénéficie d’une information accessible sur « la France territoire des droits de l’homme et des droits de la femme », cette information détaillant notamment les condi-tions dans lesquelles est assuré le respect des droits fondamentaux en France.

D’autres actions doivent venir compléter cette action principale. Une campagne de sensibilisation sur internet sera lancée, au moyen de clips vidéos diffusés sur les réseaux sociaux et les sites institutionnels, et un site internet sera créé afin de présenter les différentes formes de traite et l’ensemble des sites existants, notamment ceux des associations spécialisées et d’aide aux victimes. Enfin, un

34. Protocole de Palerme, 2000, art. 9-2, Convention de Varsovie, 2005, art. 5-2, Rapport explicatif de la Convention de Varsovie, parag. 103.

35. GRETA, Rapport concernant la mise en œuvre de la convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains par la France, premier cycle d’évaluation, 28 janvier 2013, parag. 106.

dépliant sur les moyens de lutter contre la traite et la conduite à tenir en cas d’identification d’une victime potentielle sera diffusé dans les services accueil-lant du public, mairies, préfectures, commissariats de police et brigades de gendarmerie, tribunaux, services d’urgence des hôpitaux, maisons de la justice et du droit ainsi que les locaux associatifs.

Les ONG spécialisées mènent régulièrement quant à elles des initiatives, notamment sous la forme de campagne d’affichage, afin de sensibiliser le grand public à différents types de traite, avec les moyens qui sont les leurs. À titre d’exemple, le Comité contre l’esclavage moderne (CCEM) a organisé plusieurs campagnes d’affichage au cours des dernières années dans le métro parisien avec le concours bénévole d’une agence de publicité. Le Secours catholique, qui est à l’initiative du Collectif « Ensemble contre la traite des êtres humains », se mobilise également en organisant des rencontres sur le thème de la traite des êtres humains en France et à l’étranger, souvent en lien avec les municipalités, auxquelles participent les associations concernées et les institutions. Chaque année, depuis sa création, le Secours catholique s’implique autour de la Journée européenne de lutte contre la traite des êtres humains 36 pour informer, former des professionnels et sensibiliser le grand public aux questions relatives à la traite via le Message du Secours catholique 37 ou le site internet de l’associa-tion. Le Collectif « Ensemble contre la traite des êtres humains », qui regroupe 25 associations se situant dans le champ de la traite des êtres humains 38, œuvre lui aussi pour la sensibilisation du grand public, notamment par la création d’un site internet 39. Cet espace permet aux visiteurs de s’informer sur les dif-férents types de traite, leurs caractéristiques et la législation correspondante en vigueur, d’être tenus informés des différentes réunions auxquelles se rend le Collectif, mais également de consulter des vidéos de sensibilisation ou des témoignages d’anciennes victimes. Ce site constitue un outil précieux dans la lutte contre la traite et la sensibilisation du grand public grâce à son contenu complet sur ces questions. Plus récemment, le Collectif a participé à la réalisa-tion de l’ouvrage Les Nouveaux Visages de l’esclavage qui, en s’appuyant sur différents témoignages de victimes, analyse les systèmes qui organisent la traite et tente de démontrer qu’il est possible de lutter contre ce fléau. Les outils mis à disposition par le Collectif vont être enrichis au premier semestre 2016 par de nouveaux outils de sensibilisation, d’identification et d’accompagnement des mineurs victimes de traite (courts-métrages, bandes dessinées, guide de repérage pour les bénévoles).

36. Cette journée se déroule le 18 octobre de chaque année.

37. Publication mensuelle du Secours catholique à destination des donateurs, disponible sur le site du Secours catholique : http://www.secours-catholique.org/nous-connaitre/nos-publications/messages/

38. Ces 25 associations sont : Action catholique des femmes, AFJ, Agir contre la prostitution des enfants, Agir ensemble pour les droits de l’homme, Amicale du Nid, Amis du Bus des femmes, Armée du salut, Association pour la réadaptation sociale, Cimade, Comité Contre l’esclavage moderne, Comité protes-tant évangélique pour la dignité humaine, Congrégation des sœurs du Bon Pasteur, Conseil français des associations pour les droits de l’enfant, ECPAT France, Fédération de l’entraide protestante, Espoir CFDJ-Jeunes errants, Fondation Scelles, Hors la Rue, Justice et Paix France, Les Champs de Booz, Mouvement du Nid, Organisation internationale contre l’esclavage moderne, Planète Enfants, SOS Esclaves, Secours catholique-Caritas France.

39. www.contrelatraite.org

Pour soutenir ce travail de sensibilisation des associations et en attendant le lancement de la campagne nationale d’information, la CNCDH invite le Gou-vernement à faire de la lutte contre la traite et l’exploitation des êtres humains une « grande cause nationale ». Ce label gouvernemental permet chaque année à un organisme à but non lucratif ou à des organismes regroupés en un collectif d’obtenir des diffusions gratuites auprès des sociétés publiques de radio et de télévision pour une campagne de communication et de mobilisation en faveur d’un thème d’intérêt public, qui change tous les ans. La thématique labellisée bénéficie ainsi d’une visibilité large auprès du grand public et des institutions, ce qui peut contribuer à développer, à renforcer et à rendre plus efficaces les actions qui lui sont liées.

Dans le cadre de la sensibilisation à la traite des êtres humains, l’Éducation nationale occupe une place importante. Afin de couvrir le champ de la lutte contre la traite et l’exploitation des êtres humains, l’action du ministère se déploie suivant trois entrées :

– l’éducation à la sexualité, inscrite dans les articles L. 121-1 – qui prévoit une information sur les violences et une éducation à la sexualité dans les écoles, collèges et lycées – et L. 312-16 – qui rend obligatoire cette éducation aux trois niveaux de scolarité – du code de l’éducation ainsi que la circulaire no 2003-027 du 17 novembre 2003 relative aux objectifs et à la mise en œuvre de l’éducation à la sexualité dans les écoles, collèges et lycées ;

– la promotion de l’égalité entre les filles et les garçons, inscrite dans l’ar-ticle L. 312-17-1 du code de l’éducation qui prévoit de dispenser à tous les stades de la scolarité une « information consacrée à l’égalité entre les hommes et les femmes, à la lutte contre les préjugés sexistes et à la lutte contre les violences faites aux femmes et les violences commises au sein du couple » ;

– la protection de l’enfance en danger énoncée dans l’article L. 542-3 du code de l’éducation qui précise qu’« au moins une séance annuelle d’information et de sensibilisation sur l’enfance maltraitée, notamment sur les violences intra-familiales à caractère sexuel [soit] inscrite à l’emploi du temps des élèves des écoles, des collèges et des lycées ».

Le rôle de l’école dans la prévention et la lutte contre la traite et l’exploitation des êtres humains se décline en trois axes :

– mettre en œuvre des actions de sensibilisation ;

– repérer, dépister, soutenir et prendre en charge les élèves victimes ; – former les personnels et diffuser les documents d’accompagnement.

Cette politique de prévention comporte :

– une prévention collective s’adressant à l’ensemble des élèves de la maternelle à la classe terminale, essentiellement en lien avec les programmes scolaires dont le nouveau programme d’enseignement moral et civique (EMC) en s’ap-puyant sur le socle commun de connaissances, de compétences et de culture ; les actions éducatives, comme l’éducation aux médias et à l’information (EMI), dans le cadre des différentes instances de l’école et de l’établissement scolaire, comme le Comité d’éducation à la santé et à la citoyenneté (CESC) participent à cette prévention ;

– une prévention individuelle menée plus particulièrement par les personnels de direction, d’éducation, sociaux et de santé, de façon quotidienne, auprès des jeunes et de leurs parents, dans une optique générale d’information sur les droits de l’enfant et de protection de l’enfance.

Si la CNCDH tient à saluer les efforts du ministère de l’Éducation nationale pour les efforts entrepris en matière de sensibilisation et d’éducation aux phénomènes de traite des êtres humains, elle regrette toutefois que cette sensibilisation se fasse principalement sous l’angle de l’éducation à la sexualité et de la prévention des violences faites aux femmes. L’accent est donc mis sur les seules formes de traite liées à l’exploitation sexuelle, tandis que les autres formes de traite et d’exploitation sont peu abordées par l’Éducation nationale.

Les autres formes de traite et d’exploitation peuvent être abordées dans le cadre de la commémoration de la traite, de l’esclavage et de leur abolition. La loi du 21 mai 2001 40 reconnaît la traite et l’esclavage comme crime contre l’humanité.

Elle dispose, d’une part, que « les programmes scolaires et les programmes de recherche en histoire et en sciences humaines accorderont à la traite négrière et à l’esclavage la place conséquente qu’ils méritent ». Dans ce cadre, les ministères chargés de l’Éducation nationale et de l’Intérieur publient chaque année une note de service relative à la Journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions 41. Cette note invite la communauté éducative à organiser des moments particuliers de réflexion et d’échange à l’occasion de ces commémorations. C’est également l’occasion d’élargir la réflexion à des problématiques actuelles comme la traite des êtres humains, le travail forcé en général et celui des enfants en particulier. Depuis 2011, au sein de la Direction générale de l’enseignement scolaire, un groupe de travail relatif aux ressources pédagogiques existant dans ce domaine est chargé de dresser un état des lieux afin de proposer un ensemble de ressources mieux signalées et plus accessibles.

Le résultat de ce travail est consultable sur une page de ressources pour l’ensei-gnement de l’histoire des esclavages et de leurs abolitions sur le site Éduscol 42. S’il convient de saluer ces initiatives, la CNCDH estime qu’il faut veiller à ne pas aborder la question de la traite uniquement dans une perspective historique ni à en faire un phénomène révolu ; il est important que les enseignants puissent disposer d’outils pour montrer aux élèves que l’esclavage et la traite sont des phénomènes actuels, qu’il existe aujourd’hui encore des milliers de victimes de traite, d’esclavage et de servitude en France.

Enfin, si l’Éducation nationale prévoit bien un parcours civique tout au long du cursus scolaire par le biais d’un enseignement civique et moral, qui met notamment l’accent sur le respect de la dignité de la personne, ce parcours ne fixe qu’un cadre général d’enseignement et détermine des grands thèmes généraux sans préciser les questions qui méritent d’être approfondies avec les élèves, en fonction de leur âge. La CNCDH encourage le ministère de l’Éducation nationale à inclure explicitement la thématique de la traite des êtres humains dans le cadre de l’enseignement civique et moral. Parce qu’elle constitue une atteinte grave à la dignité humaine, la traite pourrait être incluse dans le chapitre

« Intégrité de la personne : respect des pairs et des adultes ».

40. Loi no 2001-434 du 21 mai 2001 tendant à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité

41. http://eduscol.education.fr/cid45786/journee-nationale-des-memoires-de-la-traite-de-l-esclavage-et-de-leurs-abolitions.html

42. http://eduscol.education.fr/cid55927/ressources-pour-enseignement-histoire-des-esclavages-leurs-abo-litions.html

Dans le document LA LUTTE CONTRE LA TRAITE ET (Page 148-153)