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Mieux garantir l’accès au séjour des victimes de traite Améliorer les dispositions relatives au délai de réflexion

Dans le document LA LUTTE CONTRE LA TRAITE ET (Page 158-163)

et de rétablissement

Aux termes de l’article 13-1 de la Convention de Varsovie : « Chaque partie prévoit dans son droit interne un délai de rétablissement et de réflexion d’au moins trente jours lorsqu’il existe des motifs raisonnables de croire que la personne concernée est une victime. Ce délai doit être d’une durée suffisante pour que la personne concernée puisse se rétablir et échapper à l’influence des

1. Voir en particulier : CEDH, Siliadin contre France, 26 juillet 2005 ; CEDH, Rantsev contre Chypre et Russie, 7 janvier 2010.

2. Voir aussi : Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, 2000, art. 5, 21 et 47.

trafiquants et/ou prenne, en connaissance de cause, une décision quant à sa coopération avec les autorités compétentes. Pendant ce délai, aucune mesure d’éloignement ne peut être exécutée à son égard. Cette disposition est sans préjudice des activités réalisées par les autorités compétentes dans chacune des phases de la procédure nationale applicable, en particulier pendant l’enquête et la poursuite des faits incriminés. Pendant ce délai, les parties autorisent le séjour de la personne concernée sur leur territoire. »

Quant à la directive no 2004/81/CE du 29 avril 2004 3, elle précise en son article 6-1 que « les États membres garantissent que les ressortissants de pays tiers concernés bénéficient d’un délai de réflexion leur permettant de se réta-blir et de se soustraire à l’influence des auteurs des infractions, de sorte qu’ils puissent décider en connaissance de cause de coopérer ou non avec les auto-rités compétentes. La durée et le point de départ du délai […] sont déterminés conformément au droit national ».

Ces exigences internationales et européennes ont été intégrées en droit français aux articles R. 316-1 et suivants du CESEDA. La CNCDH estime que la rédaction de ces textes pourrait être améliorée dans le sens d’une meilleure garantie des droits et des libertés fondamentaux des victimes de traite, étant précisé que ni la Convention de Varsovie (art. 40), ni la directive no 2004/81/CE du 29 avril 2004 (art. 4) n’interdisent l’adoption en droit interne de mesures plus favorables.

Déconnecter le bénéfice du délai de rétablissement et de réflexion de l’accès au séjour

L’article R. 316-1 du CESEDA est ainsi rédigé : « Le service de police ou de gendarmerie qui dispose d’éléments permettant de considérer qu’un étran-ger, victime d’une des infractions constitutives de la traite des êtres humains ou du proxénétisme prévues et réprimées par les articles 225-4-1 à 225-4-6 et 225-5 à 225-10 du code pénal, est susceptible de porter plainte contre les auteurs de cette infraction ou de témoigner dans une procédure pénale contre une personne poursuivie pour une infraction identique, l’informe :

1° De la possibilité d’admission au séjour et du droit à l’exercice d’une activité professionnelle qui lui sont ouverts par l’article L. 316-1 ;

2° Des mesures d’accueil, d’hébergement et de protection prévues à la section 2 du présent chapitre ;

3° Des droits mentionnés à l’article 53-1 du code de procédure pénale, notam-ment de la possibilité d’obtenir une aide juridique pour faire valoir ses droits. » Le service de police ou de gendarmerie informe également l’étranger qu’il peut bénéficier d’un délai de réflexion de trente jours, dans les conditions prévues à l’article R. 316-2 du présent code, pour choisir de bénéficier ou non de la possibilité d’admission au séjour mentionnée au deuxième alinéa.

3. Directive no 2004/81/CE du Conseil du 29 avril 2004 relative au titre de séjour délivré aux ressortissants de pays tiers qui sont victimes de la traite des êtres humains ou ont fait l’objet d’une aide à l’immigration clandestine et qui coopèrent avec les autorités compétentes, JO no 181 du 6 août 2004, pp. 19-23.

Ces informations sont données dans une langue que l’étranger comprend et dans des conditions de confidentialité permettant de le mettre en confiance et d’assurer sa protection.

Ces informations peuvent être fournies, complétées ou développées auprès des personnes intéressées par des organismes de droit privé à but non lucratif, spécialisés dans le soutien aux personnes prostituées ou victimes de la traite des êtres humains, dans l’aide aux migrants ou dans l’action sociale, désignés à cet effet par le ministre chargé de l’action sociale. »

La CNCDH formulera plusieurs observations et recommandations à propos de ces dernières dispositions.

Intégrer dans le code de procédure pénale les dispositions relatives au délai de rétablissement et de réflexion

En premier lieu, il ressort de la lettre de l’article R. 316-1 du CESEDA que le délai de trente jours est exclusivement conçu pour susciter la réflexion de la victime en vue d’une éventuelle coopération avec les forces de police ou de gendar-merie 4. Ces dispositions figurent dans une section intitulée : « Admission au séjour des étrangers victimes de la traite des êtres humains et du proxénétisme coopérant avec les autorités judiciaires ». En revanche, le « rétablissement » est totalement passé sous silence. Pourtant, les textes internationaux et européens reproduits plus haut le placent au cœur du délai de réflexion. Notons que le verbe

« rétablir » apparaît dans le texte avant les expressions « échapper à l’influence des trafiquants » (article 13-1 de la Convention de Varsovie) ou « se soustraire à l’influence des auteurs des infractions » (article 6-1 de la directive no 2004/81/

CE du 29 avril 2004). À cet égard, le Rapport explicatif de la Convention de Varsovie précise utilement que « le rétablissement de la victime implique qu’elle se soit remise, par exemple, des blessures et atteintes physiques qu’elle a subies. Cela implique également qu’elle ait retrouvé un minimum de stabilité psychologique 5». Quant à la directive du 29 avril 2004, même si elle inverse l’ordre des priorités (c’est le délai de réflexion qui permettrait à l’intéressé de se rétablir, et non son rétablissement qui en serait le préalable), elle n’en lie pas moins étroitement les deux. En conséquence, pour la CNCDH, les dispositions actuelles doivent être améliorées, en intégrant la dimension « rétablissement » à la prévision du délai de réflexion.

En second lieu, comme cela vient d’être précisé, l’article R. 316-1 figure dans une section du CESEDA relative à l’admission au séjour des étrangers victimes de traite des êtres humains coopérant avec les autorités judiciaires. Il en découle une confusion entre le bénéfice du délai et l’accès au séjour fondé sur la coopé-ration de la victime avec les autorités, confusion au demeurant pratiquée par la directive no 2004/81/CE du 29 avril 2004 qui fait figurer l’article 6 réglementant le délai de réflexion dans le chapitre II, relatif à la procédure de délivrance du titre de séjour. En revanche, le Rapport explicatif de la Convention de Varsovie énonce, lui, clairement : « Il convient de ne pas confondre le délai de rétablisse-ment et de réflexion […] avec le permis de séjour […]. Ce délai devant permettre

4. Dans ce sens GRETA, Rapport 2013, op. cit., parag. 161, p. 45.

5. Rapport explicatif, op. cit., parag. 173.

à la victime de se rétablir et d’échapper à l’influence des trafiquants et/ou de prendre une décision en connaissance de cause quant à sa coopération avec les autorités compétentes, il n’est pas en soi conditionné à la coopération de la victime avec les autorités chargées des enquêtes ou des poursuites. 6 » Confronté à cette divergence de stipulations supranationales, le législateur aurait pu opter pour la solution la plus favorable aux victimes de traite. C’est pourquoi la CNCDH recommande de déconnecter de l’accès au séjour le bénéfice du délai de rétablissement et de réflexion. À cette fin, les dispositions relatives à celui-ci pourraient être introduites dans le code de procédure pénale, dès lors qu’il existe un lien évident entre l’objet du délai et les poursuites pénales exer-cées du chef de traite. Ainsi, les forces de l’ordre, plus habituées à manier ce dernier code que le CESEDA, ne manqueront plus de les mettre en œuvre 7. Il va néanmoins de soi que la prévision de la date de remise du récépissé (article R. 316-2 du CESEDA 8) devra continuer à relever du CESEDA.

Garantir l’effectivité du droit à l’information des victimes potentielles de traite

Le délai de rétablissement et de réflexion prend tout son sens dès lors que la victime potentielle de traite se voit délivrer une information complète et détaillée de l’ensemble de ses droits. En effet, l’article 12-1, d, de la Convention de Var-sovie oblige les États à « prendre des mesures législatives ou autres nécessaires pour assister les victimes dans leur rétablissement physique, psychologique et social », une telle assistance « comprenant au minimum des conseils et informa-tions concernant notamment les droits que la loi leur reconnaît ».

Conformément à la lettre du considérant no 8 de la directive no 2011/36/UE du 5 avril 2011 concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène, ainsi que la protection des victimes 9, l’information relative aux droits doit être délivrée par les forces de l’ordre dès l’identification d’une victime potentielle de traite, que ce soit à l’occasion d’une mesure d’en-quête (notamment une audition ou une garde à vue), à l’occasion d’une arrivée à la frontière (en zone d’attente), à l’occasion d’une procédure d’éloignement (lors d’une retenue administrative ou en centre de rétention administrative) ou encore à l’occasion de l’entretien individuel préalable à la réalisation d’un transfert en application du règlement Dublin III. Pour autant, la jurisprudence

6. Rapport explicatif, op. cit., parag. 175.

7. Voir GRETA, Rapport 2013, op. cit. parag. 160, p. 45, qui souligne que le délai de rétablissement et de réflexion est en pratique méconnu aussi bien des services de police que des services de gendarmerie.

Voir également CE, 15 juin 2012, no 339209 ; TA Rouen 12 mars 2013, no 1300620.

8. « L’étranger à qui un service de police ou de gendarmerie fournit les informations mentionnées à l’article R. 316-1 et qui choisit de bénéficier du délai de réflexion de trente jours mentionné au cinquième alinéa du même article se voit délivrer un récépissé de même durée par le préfet ou, à Paris, par le préfet de police, conformément aux dispositions du deuxième alinéa de l’article R. 311-4. Ce délai court à compter de la remise du récépissé. Pendant le délai de réflexion, aucune mesure d’éloignement ne peut être prise à l’encontre de l’étranger en application de l’article L. 511-1, ni exécutée. Le délai de réflexion peut, à tout moment, être interrompu et le récépissé retiré par le préfet territorialement compétent, si l’étranger a, de sa propre initiative, renoué un lien avec les auteurs des infractions mentionnées au premier alinéa de l’article R. 361-1 du présent code, ou si sa présence constitue une menace grave pour l’ordre public. » 9. Considérant no 8 : « Une personne doit bénéficier d’une assistance et d’une aide dès qu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’elle pourrait avoir été victime de la traite des êtres humains et indépen-damment de sa volonté d’intervenir comme témoin. »

administrative 10 et une étude récente du Réseau européen des migrations 11 mettent en évidence l’insuffisance, voire l’absence de délivrance d’informations par les forces de l’ordre dans la mise en œuvre de l’article R. 316-1 du CESEDA.

Cela s’explique en grande partie par la formation très limitée des services de police en matière de traite des êtres humains 12. Le droit à l’information des victimes souffre donc cruellement d’ineffectivité.

Au regard de ce qui précède, il est, pour la CNCDH, impératif que toutes les victimes potentielles de traite des êtres humains soient dès leur identification systématiquement informées dans une langue qu’elles comprennent et au besoin en recourant aux services d’un interprète :

– de leurs droits relatifs à l’accès au séjour et des conditions de délivrance des titres de séjour ;

– de leur droit de demander l’asile ;

– de leurs droits économiques et sociaux (le droit à un logement convenable et sûr, le droit d’accéder aux soins, le droit d’accéder au marché du travail, à la formation professionnelle, à l’enseignement ou à l’éducation, le droit à une allocation temporaire d’attente) ;

– de leur droit d’accéder à la justice et de demander une indemnisation ; – de leurs droits procéduraux dans le cadre des instances civiles et pénales relatives aux faits de traite dont elles ont pu faire l’objet (notamment le droit à l’assistance d’un avocat, le droit d’obtenir l’aide juridictionnelle, le droit de témoigner sous anonymat, le droit à une protection policière spécifique).

En conséquence, la CNCDH recommande de compléter l’article R. 316-1 du CESEDA et de prévoir, pour les mêmes raisons que précédemment, des dispositions similaires – ou au moins un renvoi au CESEDA – dans le code de procédure pénale. Enfin, elle se doit de rappeler que la mise en œuvre du droit à l’information des victimes de la traite des êtres humains ne doit en aucun cas être subordonnée à leur décision de coopérer avec les autorités (article 12-6 de la Convention de Varsovie) et qu’il convient en conséquence de s’assurer que l’information doit être connue des autorités de police.

Allonger la durée du délai de rétablissement et de réflexion Aux termes de l’article R. 316-1 du CESEDA, la durée du délai de réflexion est de trente jours. Il s’agit indéniablement d’une transposition a minima des stipu-lations de la Convention de Varsovie, qui énonce en son article 13 que le délai de rétablissement et de réflexion doit être « d’au moins trente jours ». Plusieurs ONG entendues par la CNCDH jugent ce délai trop court 13 et le Groupe d’ex-perts sur la traite des êtres humains recommande, quant à lui, l’instauration d’un délai minimal de trois mois 14. Pour la CNCDH, si l’on considère que le délai a

10. CE, 15 juin 2012, no 339209 ; TA Rouen, 12 mars 2013, no 1300620.

11. REM/ministère de l’Intérieur/Commission européenne, L’Identification des victimes de la traite des êtres humains dans les procédures d’asile et de retour. Étude réalisée par le point de contact français du Réseau européen des migrations, novembre 2013, pp. 26-27.

12. Ibid., p. 26.

13. C’est notamment le cas du Collectif « Ensemble contre la traite des êtres humains », auditionné le 17 décembre 2014.

14. Experts Group on Trafficking Human Beings of the European Commission, Opinion on Reflection Period and Residence Permit for Victims of Trafficking in Human Beings, 18 mai 2004, p. 3.

pour objectif premier le rétablissement de la victime (voir supra), il est patent que trente jours sont insuffisants. Pour autant, il n’est pas possible de fixer un délai maximal précis, dès lors que ce rétablissement ne peut être garanti dans un délai fixé à l’avance qui ne prend pas en compte la situation personnelle de chaque victime de traite. Par conséquent, la CNCDH recommande de prévoir un « délai raisonnable » de rétablissement, qui, en toute hypothèse, ne saurait être inférieur à trois mois.

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