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L’UELE DANS LA PEINTURE COLONIALE

C’est très probablement le monde de la peinture coloniale qui a rendu l’Uele le plus populaire en Belgique.

Plusieurs peintres se sont rendus sur place pour perpétuer sur toile la beauté des peuples et de la nature de cette région. Les œuvres d’art de cinq artistes sont présentées ci-après. L’on remarquera aisément la diversité de style et de contenu.

3.1. ALEXANDRE IACOVLEFF (1887-1938)

Cet artiste est originaire de Saint-Pétersbourg en Russie où il a suivi des cours à l’Académie des beaux-arts.

Il a obtenu des bourses de voyage pour l’Italie et l’Espagne.

Rentré dans son pays natal au début de la Première Guerre mondiale, il quitte sa patrie lorsque la révolution éclate en 1917 pour se rendre en Chine, en Mongolie et au Japon. Il s’installe à Paris en 192026.

25 Idem, pp. 129-130.

26 Thornton, L., Les Africanistes peintres voyageurs, Paris, ACR Édition internationale, 1990, p. 321.

Akasi, fille de Tongolo, chefferie des Mayogo-Mabozo. (EP.0.0.13561, collection MRAC Tervuren ; photo A. Scohy (Inforcongo), 1949, MRAC Tervuren ©.)

CHAPITRE I INTRODUCTION : L’UELE DANS L’IMAGERIE COLONIALE

Alexandre Iacovleff, Personnages féminins. (Alexandre Iacovleff, Personnages féminins, Niangara, Croisière noire, 1924-25, pastel, 75 x 56 cm, HO.0.1.510, collection MRAC Tervuren.)

« Sasa », c’est le sobriquet que ses amis lui attribuent, est désigné artiste officiel de la mission Citroën Centre-Afrique. En 1926, après son retour, il organisera deux grandes expositions : « Alexandre Iacovleff », à l’hôtel Jean Charpentier à Paris ; « Exposition de la Croisière noire », au Pavillon de Marsan, également à Paris. Au cours de la même année, P.  Forthuny publie l’ouvrage Alexandre Iacovleff en Afrique, Paris, L’Art et les Artistes, mars 1926.

En 1927, l’artiste lui-même sortira l’ouvrage Dessins et peintures d’Afrique exécutés au cours de l’expédition Citroën Centre-Afrique. Deuxième Mission Haardt Audouin-Dubreuil (Paris, Meynial).

Iacovleff accompagne aussi la troisième expédition Citroën en 1931-1932. Mais la « Croisière jaune » tourne cour, avec le décès de Georges-Marie Haardt à Hong-Kong. En 1935, il gagne les États-Unis, où il est nommé directeur de la Boston Museum School Art. Il démissionne

cependant très vite pour se consacrer presque entièrement à la peinture.

3.2. JANE TERCAFS (1888-1944)

Elle est l’artiste la plus intimement liée à la beauté de la région de l’Uele. Cette artiste liégeoise d’origine limbourgeoise habitait Paris depuis 1930. En 1935, le gouvernement belge lui confie une mission officielle au Congo. Elle est chargée d’y étudier la vie indigène et la faune. Cette mission l’arrange, parce qu’elle rêvait de s’évader d’un atelier étouffant. Son ambition est de renouveler son art à travers des contacts avec la nature primitive et la beauté de l’architecture mouvante, avec de vraies formes humaines en liberté. Jane Tercafs séjourne dans le Haut-Uele pendant une année et demie  ; elle y retourne encore brièvement en 1937.

Jane Tercafs et deux Mangbetu. (Jeanne Tercafs lors d’une de ses missions au Congo belge, Uele, entre 1935 et 1940. HP.1984.13.125, collection MRAC Tervuren ; photo anonyme, s.d.)

3.3. RENÉ LESUISSE (1901-1966)

Cet artiste belge suit des cours de dessin à l’académie de Liège, sa ville natale, puis entre aux Beaux-Arts de Bruxelles. En 1922, après avoir gagné le prix de la peinture monumentale, il devient pensionnaire de la Fondation Darchis à Rome. En 1931, il est reçu docteur en archéologie et histoire de l’art. En 1939, il est envoyé en mission au Congo, où il travaille principalement dans la région de l’Uele.

Il en revient avec de nombreux tableaux à l’huile27. Il participe, en 1949, à l’exposition «  Art colonial contemporain  » à Anvers. Il devient ensuite le conservateur des musées communaux de Nivelles, chargé du musée archéologique, où il travaillera jusqu’à la fin de sa vie.

3.4. ANDRÉ HALLET (1890-1959)

André Hallet (1890-1959) fait deux longs séjours au Congo belge : le premier (de dix mois) en 1934, 27 Thornton, L., op. cit., p. 324.

Garçon mangbetu. (HP.1984.13.112, collection MRAC Tervuren ; photo anonyme, s.d.) Jane Tercafs, Odani, femme mangbetu. (Jeanne Tercafs, Odani,

femme Mayogo, 1935, pierre blanche et marbre. 45 x 14,5 cm, HO.0.1.461, collection MRAC Tervuren ; photo J.-M. Vandyck, MRAC Tervuren ©.)

René Lesuisse, Femme mangbetu. (Huile sur toile, 81 x 61 cm. Collection particulière.

(Droits réservés. Photo V. Everart © MRAC, Tervuren.)

CHAPITRE I INTRODUCTION : L’UELE DANS L’IMAGERIE COLONIALE

le second (de onze mois) en 1936. En mai 1940, alors qu’il s’apprête à se rendre une troisième fois au Congo, la Belgique est envahie par l’Allemagne et il doit rester dans la métropole. Mais entre le peintre et le Congo, s’était installée une longue histoire d’amour. Aussi l’artiste et sa femme décident-ils de s’établir au bord du lac Kivu, vers où ils s’embarquent en avril 1947. C’est là que Hallet décède le 18 avril 195928.

Lors de son premier voyage au Congo belge, Hallet parcourt surtout l’ancienne Province-Orientale (cf.

infra). Il sillonne tant l’Ituri et le Kivu que le Bas et le Haut-Uele. Il s’arrête notamment, pour ce qui est du Haut-Uele, à Wamba, à Isiro, à Niangara, à Watsa et à Moto. Au cours de son second séjour au Congo belge, il traverse à nouveau le Haut-Uele : Isiro, Watsa, Nzoro et Mungbere.

28 Devred-Hallet, Ch., L’Afrique profonde : André Hallet, 1890-1959, Bruxelles, Les Éditeurs d’art associés, 1959, p. 5.

On dit d’André Hallet qu’il aime célébrer la nature extraordinairement généreuse de la colonie belge et la cordialité confiante de ses diverses populations. Le résultat est une peinture exceptionnelle. Ses périples lui font découvrir de nouvelles lumières. À travers ses œuvres, il essaie de convaincre de la beauté des femmes mangbetu et de l’exotisme des scènes de la vie quotidienne (le marché), des danses, des tornades, etc.

3.5. HENRI KERELS (1896-1956)

Il appartient également à cette catégorie d’artistes partis chercher l’inspiration en Afrique centrale. Ce peintre-graphiste fait deux séjours au Congo, en 1929-1930 et en 1939. Il séjourne dans le Haut-Uele.

Henri Kerels parcourt le Haut-Uele rapidement.

Venant de Kilo, il s’arrête à Watsa où il passe la nuit et gagne Moto le lendemain. Il s’y s’installe dans une maison André Hallet, Pawa, Isiro, dessin. Pawa, Isiro, Uélé, Zaïre, 1934, 29,5 x 21. Dessin. (© Sabam Belgique 2011.)

flanquée d’une grande barza29 à trois portes. Il se souvient d’une aventure avec un léopard survenue à deux de ses compagnons. À Moto, on lui recommande de se rendre dans les environs de Nala ou d’Isiro où il sera entouré

« de ces splendides nègres que sont les Mangbwetu » et qui constitue un pays idéal. Le matin de son arrivée, il est accueilli par le chef Tengu

« […] avec l’apparat des grands jours. Les gongs lui avaient annoncé leur venue dès la veille. À la tête de ses hommes, il s’était présenté devant le gîte en esquissant un salut militaire. Le couteau qu’il fit déposer à leurs pieds était un signe. Jean le fit prendre par Corneille. Ainsi, on était amis.

Tengu portait le pagne d’écorce décorée d’où s’échappaient des queues de léopard. Sa tête était coiffée d’un chapeau de raphia orné de plumes rouges. En main, 29 La « barza » est le nom donné à une grande terrasse

ouverte entourant les habitations coloniales.

il tenait le chasse-mouches. Son corps d’athlète, oint d’huile de palme, luisait comme un bronze. Ses femmes, ses notables, sa milice, ses deux orchestres, ses serviteurs, son peuple se tenaient autour de lui.

Il offrit de l’awa (vin de palme). Quand ils furent prêts, Tengu et les deux visiteurs, à vider la calebasse et qu’ils mirent les lèvres à la coupe, on entendit, sortant de la trompe du sonneur d’olifant, trois sons pleins qui rebondirent en échos dans le lointain. Tout le monde s’était retourné. Après Tengu fit un geste. Huit trompes de bois, deux cloches de fers accouplés, trois tambours commencèrent un tam-tam absurde. Ce que joua l’orchestre était fondu, sautillant et décousu, mais si adroit, si ingénieusement simple que c’était beau. Un homme dirigeait. Les mains levées il se livrait à une sorte de danse saccadée. Il désigna d’abord le zénith et les musiciens levèrent, tout en jouant, leurs instruments vers le ciel pour faire aussitôt demi-tour et marcher sur les deux nouveaux venus. Le bouffon, les mains tendues, vint se courber, à leurs pieds, avec tout son orchestre. Une volte-face, et le groupe alla vers Tengu qui, d’un mouvement de main, fit le silence.

On but encore de la bière d’éleusine. Des joueurs de tambour et de xylophone s’étaient accroupis près d’un palmier et déjà les danseuses se suivaient, en cercle, à pas lents et tête penchée. Des chants perçaient le bruit des instruments et Tengu buvait. Il buvait beaucoup. Tengu, car le cor sonna souvent au cours de cette journée, dominant la musique des danses et le chant des femmes. Tengu aimait le vin, que Jean offrait, autant que son awa. Vers cinq heures, il ordonna que chacun aille chez soi. Tengu s’aperçut qu’il était ivre quand il monta dans son tipoi30. »

3.6. MARTHE DE WITTE (1893-1976)

L’artiste Marthe De Witte a séjourné à deux reprises au Congo belge : d’abord en 1947 puis de 1951 à 1954. Elle a arpenté de nombreuses régions dont celles du Haut-Uele et des Grands Lacs.

Elle a fait de multiples portraits d’autochtones.

Il s’agit de portraits ethnographiques qui sont généralement complétés d’indications concernant 30 Henri Kerels, L’Eden Noir : récit de voyage au Congo

belge, Bruxelles, Les Éditions de Belgique, 1939, pp. 87-88. Il reproduit quelques croquis dans son récit de voyage, dont ceux qu’il avait faits du chef Tenku.

Henri Kerels, Femme mangbetu. Lithographie en couleurs, 113 x 78 cm.

(© Sabam Belgique 2011 ; photo tous droits réservés. Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique.)

CHAPITRE I INTRODUCTION : L’UELE DANS L’IMAGERIE COLONIALE

le nom des modèles et le lieu où ils ont été réalisés.

L’intérêt de ses pastels est documentaire et humain.

Certaines de ses œuvres ont été éditées en cartes postales au cours des années 1950. Un grand nombre des dessins de Marthe De Witte sont conservé au Musée royal de l’Afrique centrale31

En 1957, le Haut-Uele accueille un hôte de marque, Léopold III, accompagné de la princesse Liliane. Ils sont arrivés à Paulis, le vendredi 5 avril, au milieu d’une foule énorme de villageois venus de partout et d’Européens, c’est-à-dire d’une cohue criarde. Ils logent dans la maison du commissaire de district. Dans son carnet de voyage, il note que Paulis comptait 800 Européens dont 30 % de Grecs 32.

Le lendemain, samedi 6 avril, ils visitent, dans l’avant-midi, le foyer social, l’hôpital et un centre d’art indigène dirigé par madame Line Praet. Dans l’après-midi, ils assistent à une grande manifestation de danses Mangbetu sur la plaine des sports de Paulis. Le dimanche 7 avril, Léopold III et Liliane se rendent à la léproserie de Pawa où ils assistent à la messe dite par un prêtre congolais.

Puis, ils vont à Gombe, chez le chef Baonoku (Mabudu), où ils sont reçus par de splendides spectacles de danse. Un pique-nique sous toit végétal autour d’un tronc de palmier est organisé pour terminer la journée. Ils sont de retour à Paulis vers 18 h 30. Ils quittent le Haut-Uele le lendemain.