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L’ART ET L’ARTISANAT

Dans le document Haut-Uele. Trésor touristique (pdf - 6,8 MB) (Page 102-108)

LES PEUPLES DU HAUT-UELE

4. LES EXPRESSIONS ARTISTIQUES, MUSICALES ET LA VIE RELIGIEUSE

4.1. L’ART ET L’ARTISANAT

La vie artistique et esthétique est dominée par la sculpture (statuettes d’hommes et d’animaux), la peinture (principalement murale) représentant aussi bien des hommes que des animaux, ou des scènes de la vie courante du village (chasse, pêche, travaux ménagers, travaux champêtres, etc).

Notons que dans le Haut-Uele, l’art traditionnel a beaucoup perdu de son essence au cours de la colonisation, suite à l’évangélisation. L’art africain n’a pu résister aux influences extérieures surtout occidentales. André Scohy, qui s’intéressait à l’Uele artistique, avait stigmatisé ce problème de la façon suivante :

« Certes, toute une apparence de vie ancienne demeure, mais elle recouvre des choses qui s’effritent, s’effondrent […] Sans doute, les Mangbetu tissent encore des nattes, tressent encore des chapeaux de paille, fabriquent encore des “negbe” ces ovales décoratifs qui protègent le séant des femmes […] mais tout cela commence à se perdre. Déjà, on ne trouve plus que çà et là les hangars aux poteaux sculptés qui avaient fait l’admiration des explorateurs […] Les poteries à forme humaine ? Il n’y a plus que l’un ou l’autre artisan qui connaisse encore cette technique qui sera bientôt oubliée […] Les couteaux mangbetu, les beaux couteaux mangbetu, qui servent à payer la dot, on les trouve encore partout, mais ici aussi tout est en train de changer et les parents de la belle-fille commencent à préférer à ces couteaux, façonnés à la mode antique, des chemises, des malles en fer et des bicyclettes […] Quant aux boîtes à miel que surmontaient des têtes sculptées, elles ont complètement disparu […]

Rançon du progrès […] avec l’essor du commerce cotonnier, une prospérité aux signes évidents s’est installée dans la région […] et l’argent berce chacun de rêves tôt réalisés  : les braies d’écorce battue et le bonnet de raphia sont dès qu’on le veut remplacés par le chapeau mou et les pantalons de confection dont les stocks se déversent sur les marchés. Et sur ces marchés eux-mêmes que j’ai connus voici dix ans encore riches en produits de l’industrie locale, aujourd’hui, hormis quelques nattes et quelques pots grossiers, je n’ai plus rien trouvé qui fût sorti de mains de l’artisan indigène. Les goûts des acheteurs vont à la pacotille de bazar, et, dans ce domaine, rien ne manque : ni les miroirs de poche, ni les canifs ornés de celluloïd, ni les chaînes de montre en nickel. On y découvre même des lunettes dont l’ébonite largement étalée encercle des verres à vitre, des savons si minuscules qu’ils ne doivent servir qu’à un seul lavage et des petits pots de rouge chimique qui, chez les élégantes de l’endroit, ont rapidement triomphé du suc de l’hibiscus dont leurs grand-mères se teignaient les ongles.

Dans un rapport récent, un administrateur de la région écrivait  : “Signe regrettable peut-être des temps actuels, mais bientôt les danseurs mangbetous refuseront de s’exhiber s’ils ne sont pas rémunérés officiellement”. Où sont les cohortes de danseurs de jadis qui, dès la descente du soleil, s’assemblaient bruyamment sur les places  ? Aujourd’hui, portefeuille garni, ils préfèrent entendre Tino Rossi dérouler ses sirops dans le phono acheté au magasin du coin ; il faut un ordre pour qu’à l’occasion du passage de

telle personnalité ou de tel riche touriste, ils consentent à danser comme jadis au son des trompes et des tambours ; et, la danse terminée, le chef du village ne manque pas de réclamer large rétribution en espèces sonnantes, car, déclare-t-il, “c’était là un grand dérangement” […] Même la danse, cette expression spontanée de l’âme africaine, s’est ici commercialisée et se transforme en numéro folklorique pour autocars en tournées […]189 »

Un grand nombre d’objets d’art anciens originaires du Haut-Uele prirent le chemin des musées nationaux et occidentaux où ils furent souvent exhibés à l’occasion de l’une ou l’autre exposition. Après l’indépendance du pays, de nombreux objets d’art du Haut-Uele furent, en effet, acheminés vers Kinshasa, à l’Institut des musées nationaux du Zaïre (IMNZ). Ainsi, au début du mois d’avril 1973, deux ethnologues belges, Jean et Patrick Dierickx, firent-ils un séjour d’une semaine dans le Haut-Uele, avec pour mission essentielle d’y collecter des œuvres d’art traditionnel à Isiro, Wamba, Niangara et dans quelques autres localités. Ils réussirent à rassembler un nombre impressionnant de bustes et autres objets sculptés en ivoire et en ébène, de peintures sur toile ainsi que de céramiques, etc. La finalité de cette collecte était qu’après sélection certains de ces objets soient exhibés, à Kinshasa, dans une exposition sous la direction du frère Cornet, alors directeur général adjoint de l’IMNZ, puis à Bruxelles, sous le haut patronage de l’ambassadeur du Zaïre en Belgique, ceci dans le cadre de l’Association des Amitiés belgo-zaïroises. La récolte fut particulièrement importante dans la chefferie Mongo-Masi en territoire de Rugu, parce que, peut-on lire dans Boyoma, «  les ethnographes Dierickx (avaient) reçu du chef de cette collectivité locale, le citoyen Teingu – un brave homme et militant authentique du Parti  – de nombreux objets d’art qu’il dét(enait) de ses ancêtres pour remettre à titre de dons au président-fondateur du Mouvement populaire de la révolution, le général de corps d’armée Mobutu Sese Seko190. »

Nous avons sélectionné quelques objets d’art ancien du Haut-Uele reproduits dans des catalogues d’exposition.

Nous les présentons ci-après.

189 Scohy, A., op. cit, pp. 112-113.

190 « Nombreux objets d’art traditionnel récoltés dans le Haut-Zaïre », Boyoma, Kisangani, mercredi 11 avril 1973, pp. 1 et 2.

LES EXPRESSIONS ARTISTIQUES, MUSICALES ET LA VIE RELIGIEUSE

Statuette yanda « nazeze »

« Outre les sculptures à usage public ou domestique […], les Azande produisaient également des objets destinés à être utilisés dans des contextes essentiellement magiques. Ces objets servent dans le cadre des activités d’une société secrète, généralement connue sous le nom de mani et directement associée aux Azande. Cette société est établie dans l’ensemble des trois pays occupés par les Azande, mais semble avoir été créée en République centrafricaine durant la seconde moitié du xixe siècle, probablement dans la région de Rafay. De là, elle se serait étendue vers le Zaïre et, par la suite, aux groupes vivant au sud du Soudan. L’avènement du gouvernement colonial en réduisit les activités.

À son apogée, la société mani était une organisation strictement hiérarchisée, ouverte à la fois aux hommes et aux femmes. Les initiés escomptaient que leur adhésion leur fournisse un certain nombre d’avantages : l’assurance d’un bien-être général, le succès à la chasse, la résolution des problèmes familiaux ou légaux, l’apaisement des sentiments vengeurs et l’assurance d’une fécondité constante.

Cet exemple particulier de figurine créé spécialement pour des membres de la société mani, est du type nazeze.

Il s’agit de figurines anthropomorphes élémentaires  » [J.

Mack]191.

Statuette yanda « kudu »

«  Bien qu’elles soient classées par types, les représentations créées pour la société mani sont connues sous le terme générique de yanda. Le terme connaît une série de connotations essentiellement mystiques. Il signifie « force », « esprit », ou « pouvoir magique » ; le fait qu’il désigne aussi les objets liés à la société mani nous renseigne sur leur statut d’objets dotés de pouvoirs rituels.

Ceci se révèle déjà clairement au cours du processus de leur fabrication. Bien que le sculpteur ne soit pas nécessairement un membre de la société mani –  et est vraisemblablement amené à sculpter aussi des objets à usage domestique  – il est obligé d’observer un ensemble 191 Verswijver, G., De Palmenaer, E., Baeke, V. &

Bouttiaux-Ndiaye, A.M., Trésors du Musée d’Afrique, Tervuren, Musée royal de l’Afrique centrale, 1995, p. 388.

de prohibitions durant la période de création de l’objet. Le choix du bois dans lequel la sculpture sera façonnée n’est pas arbitraire : l’espèce d’arbre sélectionné est censée détenir des pouvoirs magiques, la figure est par « essence » efficace.

En outre, elle est activée par l’application d’une préparation magique particulière, laquelle est une mixture composée Statuette yanda « nazeze », Zande orientaux. (EO.1961.18.1, collection MRAC Tervuren ; photo R. Asselberghs, MRAC Tervuren ©.)

d’huile, de graisse, de racines, de graines et d’écorce, chaque élément étant choisi pour ses propriétés médicinales particulières. (En fait, les statuettes yanda peuvent être remplacées par des fragments de racine tordus.) La personne responsable de l’objet – son « propriétaire » – maintient sa puissance intacte en l’enduisant périodiquement de ces mêmes substances. Les membres de la société mani s’en enduisent aussi le corps lors d’un rituel visant à créer un lien tangible entre eux, les statuettes yanda porteuses de pouvoirs qui leur sont bénéfiques, et la force ou le pouvoir qui est à la base de la société mani elle-même.

L’action d’enduire ou de frotter la figurine (ou le corps humain) afin d’accroître sa puissance magique suggère un lien avec un autre type d’objets répandus dans la culture zande, les oracles à friction. Ces objets, consultés pour déterminer la cause d’un événement ou prédire l’avenir, doivent également être frottés pour activer leurs pouvoirs.

Le rituel de la société mani pousse cette logique plus loin, dans le domaine de ce que l’on appelle parfois “magie blanche”. La similarité de forme entre certains types d’oracles et certaines figurines yanda suggère que la société mani aurait pu se développer à partir de diverses activités magiques et oraculaires de la culture zande.

Cette figurine affectant l’aspect d’un tronc, appartient au type kudu. Sa particularité principale est l’absence de bras et de jambes. C’est l’absence ou la présence des membres qui distingue ce type-ci de sculpture de la forme plus complète appelée nazeze. Les différences de style et d’appellation ne sont pas, cependant, liées à des différences de fonction. Pour leurs détenteurs, toutes les figurines yanda remplissent les mêmes fonctions. » [J. Mack192.]

Outre ces sculptures et peintures, on peut épingler les vases décorés. Relevons aussi l’application de l’esthétique au corps humain, principalement chez les femmes, caractérisée notamment par la tresse des cheveux, le tatouage, l’allongement du crâne (Mangbetu et Budu, principalement), la perforation des pavillons des oreilles, l’aiguisement de dents (incisives), le maquillage (en noir) sur le visage et sur certaines parties du corps (surtout chez les Pygmées).

Quant à l’artisanat, il est encore présent dans les activités culturelles du Haut-Uele. Il concerne la fabrication 192 Trésors d’Afrique – Musée de Tervuren, op. cit.,

pp. 388-389.

de vases, pots, nattes, chaises longues, tamis, assiettes, lits en bambou, mortiers, instruments de musique (de toute sorte), machettes et couteaux (Kpedekuwa), armes (lances, flèches), hanches, habits en écorce d’arbre, chapeaux en paille, paniers, filets de chasse et de pêche, nasses, pirogues, escabeaux, tuiles en planches (Mapala), etc. Certains de ces instruments, comme le couteau qui sert à tirer le vin de raphia ou la cuve servant à la transformation de vin Figurine yanda (kudu), Zande. (EO.1951.12.9, collection MRAC Tervuren ; photo R.

Asselberghs, MRAC Tervuren ©.)

LES EXPRESSIONS ARTISTIQUES, MUSICALES ET LA VIE RELIGIEUSE

de raphia en arac (type d’alcool local), paraissent être des créations locales.

«  Cette poterie anthropomorphe à visage féminin est un récipient destiné à recueillir le vin de palme. Sa provenance est inconnue mais le style de décoration des trois panses montre de fortes ressemblances avec celui de la poterie pratiquée dans les environs de Medje au début du xxsiècle. La tête allongée est couronnée de la coiffure caractéristique des femmes mangbetu. Les cheveux sont tressés et renforcés par une armature de raphia qui permet d’obtenir un éventail à l’extrémité supérieure du crâne. Les yeux sont étirés, le front et les joues marqués de pointillés, la bouche entrouverte montre les dents, comme c’est souvent le cas dans le style de poterie de Meje. Des pots anthropomorphes similaires ont été employés dans le rite de naando pratiqué chez les Mangbetu et les Medje. Leur usage consistait alors à recueillir le vin de palme mélangé à la décoction d’une racine appelée naando. Le breuvage produisait un effet excitant sur les danseurs et les initiés et

apportait la bonne fortune à l’endroit où les danses étaient exécutées. » (n° 226, D. Demolin193.)

Ci-après, quelques productions merveilleuses de l’artisanat du Haut-Uele disponibles dans les collections du Musée royal de l’Afrique centrale à Tervuren.

193 Trésors d’Afrique, op. cit., p. 384.

Poterie anthropomorphe mangbetu. (EO.1959.21.13, collection MRAC Tervuren ; photo R. Asselberghs, MRAC Tervuren ©.)

Couvre-chef mangbetu. (EO.0.0.40197, collection MRAC Tervuren ; photo J.-M.

Vandyck, MRAC Tervuren ©.)

Pipe anthropomorphe mangbetu. (EO.0.0.35949, collection MRAC Tervuren ; photo R. Asselberghs, MRAC Tervuren ©.)

Statuettes mangbetu. (EO.0.0.2618, collection MRAC (EO.1955.128.1 + EO.1955.128.2, collection MRAC Tervuren ; photo R. Asselberghs, MRAC

LES EXPRESSIONS ARTISTIQUES, MUSICALES ET LA VIE RELIGIEUSE

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