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LES DÉPLACEMENTS DE POPULATION LIÉS À LA PRÉSENCE DE LA LORD’S RESISTANCE ARMY (LRA)

L’ÉVOLUTION DÉMOGRAPHIQUE DU HAUT-UELE

1. ÉVOLUTION DE LA POPULATION DU HAUT-UELE

1.7. LES DÉPLACEMENTS DE POPULATION LIÉS À LA PRÉSENCE DE LA LORD’S RESISTANCE ARMY (LRA)

L’occupation de la région par la Lord’s Resistance Army (LRA) depuis vingt ans a eu d’importantes répercussions, dans le Haut-Uele, sur les déplacements de population et la sécurité de celle-ci.

1.7.1. Bref historique de la LRA

Depuis 1987, la Lord’s Resistance Army se bat pour instaurer en Ouganda un régime basé sur les dix commandements de la Bible. Ce groupe armé est devenu tristement célèbre par les atrocités commises envers les civils, notamment les enfants, enlevés pour devenir combattants ou esclaves sexuels. Deux caractéristiques, la folie et la violence pathologique, font également la mauvaise réputation de Joseph Kony, son leader, qui se déclare l’héritier d’Alice Lakwena, la charismatique prophétesse du Holy Spirit Movement130.

Ce conflit, qui se déroule dans le nord de l’Ouganda, se développe dans l’ombre de la « success story  » du Sud-Ouganda. Les autorités de Kampala ont toujours euphémisé la capacité de nuisance de ce groupe armé et le président Museveni déclara haut et fort, au début, qu’il écraserait cette bande de voyous. D’ailleurs, les attaques n’étaient alors que des violences périphériques, résiduelles et localisées.

Il est difficile d’estimer le nombre des combattants dont dispose la LRA, ou celui des victimes qu’elle a faites.

De même, il n’existe pas de renseignements précis sur les affrontements entre ce groupe armé et l’Uganda People’s Defense Forces (UPDF) ou l’armée gouvernementale.

130 Perrot, S., «  Les sources de l’incompréhension  : production et circulation des savoirs sur la Lord’s Resistance Army », Politique africaine, Paris, n° 112, décembre 2008, pp. 140-159.

Les données de gauche se rapportent aux hommes ; celles de droite aux femmes.

Rien ne filtre non plus sur le nombre de victimes de la répression de l’UPDF.

Cette guerre prit un nouveau tournant à partir de 1993, quand Khartoum commença à soutenir la LRA. Le gouvernement soudanais apporta des missiles anti-char et Sam, des lance-roquettes etc. à ces rebelles qui les utilisaient dans des camps semi-permanents établis au Sud-Soudan.

L’Operation Iron Fist (OIF), lancée par l’armée ougandaise en février 2002, contribua fortement à l’internationalisation médiatique, humanitaire, diplomatique et judiciaire du conflit. D’un côté, la LRA modifia sa stratégie de communication et permit surtout le retour – qu’il soit volontaire ou forcé – à la vie civile d’acteurs majeurs comme des commandants de rang supérieur. De l’autre, l’OIF provoqua le reflux des combattants de la LRA vers le nord de l’Ouganda et le déplacement de plus de 1,6 million de personnes.

C’est à ce moment que Jan Egeland, le représentant spécial aux affaires humanitaires auprès du secrétaire général de l’ONU, fit de l’Ouganda l’un des pays phares de sa politique de coups de projecteur sur les conflits

« oubliés ». En un court laps de temps, des centaines de journalistes, d’ONG, d’agences onusiennes, d’experts, de consultants, de chercheurs établirent leurs quartiers au nord du pays. Les centres de réception des anciens enfants-soldats et des interviews avec des chefs traditionnels et des anciens commandants de la LRA renforcèrent un double regard sur ce conflit : l’infantilisation et la criminalisation de ce groupe armé.

À partir de 2003, la presse et les humanitaires vont attirer l’attention sur les « child soldiers  », les « child mothers » et autres « night commuters », ces jeunes adultes ou enfants qui quittent leur village à la tombée de la nuit et font des kilomètres pour se réfugier jusqu’au matin dans un centre urbain plus sûr, afin d’éviter les attaques de la LRA.En décembre 2001, Kampala était parvenu à faire inscrire la LRA sur la liste des organisations terroristes tenue par le département d’État américain. Et à partir de 2003, il présenta trente-trois chefs d’accusation à la Cour pénale internationale (CPI) contre les principaux leaders de la LRA, Joseph Kony, Vincent Otti et Dominic Ongwen.

Néanmoins des pourparlers entre la LRA et le gouvernement ougandais vont s’ouvrir à Juba, en juillet 2006. Les rebelles vont même tenter un coup médiatique

en changeant de look : aux dreadlocks, kanzu ou grande robe blanche, et au rosaire succèdent, tout d’abord, des treillis militaires, des bottes Wellington et une coupe de cheveux courte, puis finalement des costumes civils.

Joseph Kony va même très succinctement rompre le silence pour intervenir en personne sur la radio locale de Gulu, « Mega FM », avant de convoquer, dans un camp de l’Est de la RD Congo, les correspondants internationaux alors en concurrence pour l’une des nombreuses first ever interviews du leader emblématique de la LRA.

Une des raisons pour lesquelles ce groupe armé a accepté les négociations, est qu’on le croyait exsangue.

Car depuis 2005, la LRA avait quitté l’Ouganda et s’était coupée des conditions politiques et sociales dans lesquelles elle s’était développée. En septembre de cette année, elle s’était redéployée depuis ses bases arrière sud-soudanaises vers le Parc national de la Garamba en RDC. Certains éléments de la LRA auraient noué des contacts avec des groupes armés tchadiens et centrafricains. Elle n’a cessé, depuis, d’enlever des enfants et des femmes dans les pays voisins, au point que certaines sources estiment que les combattants étrangers, notamment sud-soudanais, pourraient désormais constituer le gros des troupes de la LRA. Il s’agissait d’une transnationalisation du groupe armé, ou plus exactement de son déplacement à l’intérieur du système de conflit régional. L’on craignait que cela aboutisse à la mercenarisation du conflit.

Sur le terrain, depuis septembre 2008, la Mission des Nations unies en République démocratique du Congo et l’armée congolaise ont lancé une offensive contre la LRA, rejointe à la mi-décembre par des troupes ougandaises et sud-soudanaises. Les États-Unis ont imposé des sanctions contre elle et le procureur général de la CPI a réitéré ses appels pour une arrestation de Kony. Selon certaines informations, en mars 2011, Joseph Kony serait revenu en République démocratique du Congo en provenance de la République centrafricaine131.

1.7.2. La LRA dans le Haut-Uele

Les exactions commises par la LRA ont entraîné d’importants déplacements de population dans le Haut-Uele.

131 OCHA, Province-Orientale, Rapport mensuel mars 2011, Action humanitaire en Province-Orientale, OCHA Province-Orientale, mars 2011, p. 2.

LA POPULATION

La situation des populations déplacées au 31 décembre 2010 et au 31 mars 2011 dans le district du Haut-Uele est présentée au tableau suivant.

Répartition des personnes déplacées dans le district du Haut-Uele au 31 décembre 2010 et au 31 mars 2011

Décembre 2010 Mars 2011 Territoire Nombre % Nombre % Source : Rapport mensuel et bilan annuel partiel 2010, Action humanitaire en Province-Orientale, OCHA Province-Orientale, décembre 2010, p. 8 et Rapport mensuel mars 2011, Action humanitaire en Province-Orientale, OCHA Province-Province-Orientale, mars 2011, p. 4.

Le rapport de l’OCHA de décembre 2010 estime que :

«  91  % de ces personnes se sont déplacées en 2008 et 2009 et ne peuvent rentrer dans leur milieu d’origine, en raison de la précarité de la sécurité dans plusieurs localités.

Les 9  % déplacés en 2010 sont essentiellement dans les territoires de Dungu (89 %) et de Faradje (10,6 %) ; 11 % de ces derniers se sont déplacés les 3 derniers mois suite aux attaques de la LRA et d’un groupe armé non encore formellement identifié en territoire de Faradje132. »

Le Bas et le Haut-Uele comptent « en fin février 2011, 300.000 personnes déplacées dont 50.700 personnes dans le Bas-Uele et 249.300 dans le Haut-Uele. Près de 33.000 personnes sont nouvellement déplacées suite récentes exactions de la LRA (décembre 2010 et février 2011). Ces nouveaux déplacements portent à 327.000, le nombre de personnes déplacées suite aux exactions de la LRA en Province-Orientale depuis le début de la crise. Ce chiffre inclut les 26.800 déplacés du territoire de Faradje se trouvant en territoire d’Aru […]. Près de 149.000 132 OCHA Province-Orientale, Rapport mensuel et bilan

annuel partiel 2010, Action humanitaire en Province-Orientale, OCHA Province-Province-Orientale, décembre 2010, p. 8.

personnes sont retournées dans leur milieu d’origine les 18 derniers mois. 10 % dans le Bas-Uele, 43 % dans le Haut-Uele et 47 % en Ituri. 122.000 parmi elles sont retournées depuis janvier 2010 (dont 70 % au premier semestre 2010).

Les territoires d’Ango (Bas-Uele), de Dungu, de Faradje et de Watsa (Haut-Uele), et de Djugu et d’Irumu sont ceux où le retour a été le plus observé133. »

Le rapport de l’OCHA de mars 2011 donne les précisions suivantes : « De décembre 2010 à mars 2011, l’on a enregistré une augmentation de 15 % du nombre de personnes déplacées dans le district du Haut-Uele suite aux attaques de la LRA. La plus forte augmentation a été observée en territoire de Faradje, qui a accueilli près de 26.000 nouveaux déplacés entre décembre 2010 et mars 2011, soit une hausse de 66 %. Les attaques et exactions de la LRA ont provoqué le déplacement de près de 329.000 personnes dans les Uele et en territoire d’Aru ; à ce nombre, s’ajoutent près de 20.000 Congolais au Sud-Soudan (dont 15.000 ayant le statut de réfugiés) et 3.500 autres réfugiés en République centrafricaine. En résumé, à la fin mars 2011, la commission Mouvements de population (CMP) de la Province-Orientale a noté une augmentation de 9,3  % du nombre total des personnes déplacées par rapport au dernier trimestre 2010 essentiellement due à de nouveaux mouvements de population, conséquences des attaques persistantes de la LRA dans les territoires de Dungu, Faradje, Niangara et Ango de décembre 2010 à mars 2011134. »

La présence de la LRA a, on le voit, d’importantes répercussions sur la sécurité des populations. Celle-ci n’a pas connu d’amélioration significative dans le Haut-Uele en 2010.

«  Des opérations militaires, conduites conjointement par l’armée congolaise et les forces armées ougandaises (Ugandan 133 « Province-Orientale - District du Bas-Uele, du

Haut-Uele et d’Ituri : Mouvements de population suite aux attaques des groupes armés : situation en février 2011  », consulté le 25 mars 2011 sur http://www.

rdc-humanitaire.net/index.php?option=com_conten t&view=article&id=772:province-orientale-district- du-bas-uele-du-haut-uele-et-dituri-mouvements- de-population-suite&catid=30:infographies&I-temid=143

134 OCHA Province-Orientale, Rapport mensuel mars 2011, Action humanitaire en Province-Orientale, OCHA Province-Orientale, mars 2011, p. 5.

People Defence Force, UPDF), ont montré leurs limites.

Le leader de la LRA Joseph Kony et son noyau dur n’ont pas été neutralisés. Ils se retranchent tantôt en République centrafricaine, tantôt en RD Congo. Ses hommes, dispersés en groupuscules, ont gardé leur modus operandi : attaques avec atrocités accompagnées de prise d’otages. Les villageois des Uele sont régulièrement victimes des attaques de ces rebelles, quoique des contingents FARDC et de la Monusco soient déployés dans plusieurs localités du Haut-Uele135. »

Si les exactions de la LRA sont significativement en baisse par rapport aux années 2008 et 2009, grâce aux efforts conjoints des forces armées de la RD Congo, de l’Ouganda et de la Monusco, il convient de noter que celle-ci reste cependant une menace majeure pour la sécurité des populations des Uele. Les meurtres et enlèvements que continuent à perpétrer la LRA obligent, en effet, dans les deux Uele, près de 300.000 personnes à vivre en déplacement, leur ôtant toute possibilité de mener des activités économiques stables. «  Depuis 2008, près de 2.600 personnes auraient été enlevées dans les Uele dont 34 % d’enfants (près de 900 enfants) mais Unicef/COOPI ont accueilli plus de 1.300 enfants rescapés. Dans diverses circonstances (fuite, libération lors des attaques des positions de la LRA par les FARDC et/ou UPDF), 446 de ces enfants (près de 50 %) sortis de ce groupe ont été pris en charge par les organisations humanitaires spécialisées en 2010 parmi lesquels 45 % de filles136. »

En, 2011, La situation sécuritaire continue à être préoccupante, notamment sur l’axe Dungu-Faradje. Le nombre d’attaques commises attribuées à la LRA est en hausse comparativement au mois de décembre dernier.

Les statistiques compilées par OCHA/Dungu sont de 34 attaques ayant causé la mort 18 civils et entraîné l’enlèvement de 9 adultes et 18 enfants ; 8 personnes blessées ont été rapportées137.

135 Rapport mensuel et bilan annuel partiel 2010, Action humanitaire en Orientale, OCHA Province-Orientale, décembre 2010, p. 3.

136 Idem, p. 5.

137 Province-Orientale, « Rapport humanitaire mensuel janvier 2011 », OCHA, 2011, consulté le 17/3/2011, sur www.rdc-humanitaire.net/index.php?option=com_

content&v ie w=ar t icle&id=713:prov ince- orientale--rapport-humanitaire-mensuel-janvier-2011&catid=33:rapports-mensuels&Itemid=123

De décembre 2010 à mars 2011, ces attaques ont provoqué le déplacement, d’environ 33.000 personnes en territoire de Dungu, Faradje, Niangara et Watsa. Au premier trimestre 2011, plus de filles sont sorties des rangs de la LRA à comparer au dernier trimestre de 2010, 51 filles (70 au 4e trimestre 2010) contre 47 garçons (80 au 4e trimestre 2010). Par ailleurs, les agriculteurs sont obligés d’être escortés par la Monusco et les FARDC pour accéder à leurs champs. En mars 2011, dans les localités de Duru, de Ngilima et de Niangara, des escortes ont été fournies pour accompagner 457 agriculteurs dans leurs champs (191 à Duru, 135 à Ngilima et 142 à Niangara)138.

En mars 2011, 65.499 personnes sont retournées dans le Haut-Uele. Si l’amélioration de la situation sécuritaire en est la principale raison dans l’ensemble de la province, ces retours sont également motivés par le faible accès à la terre pour les populations déplacées, dont l’activité principale est l’agriculture, ainsi que les changements de saisons agricoles.

Le nombre de personnes retournées au cours des 18 derniers mois dans le Haut-Uele représente 38 % du total de personnes retournées dans la Province-Orientale139.

Notons, que la LRA n’est pas la seule responsable d’exactions à l’encontre des populations. Ainsi, en sepembre 2010, « des déplacements de personnes ont été observés à la suite d’exactions commises par les FARDC, surtout sur l’axe Dungu-Duru. […] D’autre part, les déplacés de Niangara ont affirmé avoir été victimes de plusieurs exactions des autorités civiles : une dizaine de jeunes ont été astreints à payer des taxes provinciales sans quittance.

[…] Le chef de groupement de Mbengu (chefferie Kopa en territoire de Ningara) dans la localité de Iveka (30 km S-O Dungu) s’est livré à des arrestations arbitraires, extorsions et tortures à l’endroit des personnes déplacées vivant dans cette localité140 ».

La LRA n’est pas non plus la seule responsable des violences sexuelles constatées dans la région. Tant des civils que des membres des forces armées congolaises se rendent coupables de viols. Ainsi, « (on) a enregistré, entre

138 OCHA, Province-Orientale, «  Rapport humanitaire mensuel mars 2011  », OCHA, 2011, consulté le 9/5/2011, sur www.rdc-humanitaire.net/attachments/

article/818/PO%20Rapport%20Mensuel_Mars%20 2011vf.pdf

139 Idem.

140 Idem, p. 5.

LA POPULATION

mai et juin, 147 cas de violences sexuelles à Isiro (territoire de Rungu) dont 112 cas sur des mineures ; les auteurs sont principalement des civils141 ». Par ailleurs, en juin 2010, une centaine de cas de violences sexuelles ont été commis par des éléments du 913e bataillon FARDC à Doruma.

« 26 % des victimes avaient moins de 14 ans et 45 % entre 14 et 17 ans. 52 % des viols recensés auraient été commis par des militaires92 ».

Outre le problème soulevé par la LRA dans le Haut-Uele, il convient également de mentionner celui posé par la présence d’éleveurs mbororo dans la région (voir infra p.  94-96). La question du rapatriement de ces éleveurs et de leurs bêtes fut à l’ordre du jour d’une réunion, à la demande de la RD Congo, de l’Union africaine, en septembre 2010 à Addis-abeba.