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LA SITUATION LINGUISTIQUE

LES PEUPLES DU HAUT-UELE

3. LA SITUATION LINGUISTIQUE

Nous allons tenter de présenter un status quaestionis des langues parlées dans le Haut-Uele. On va désigner les langues parlées dans leurs espaces locaux.

Les langues parlées dans le Haut-Uele sont :

– le français : langue officielle en RD Congo, utilisée dans l’administration et l’enseignement ;

– le lingala et le swahili : langues nationales en RD Congo, utilisées dans l’enseignement uniquement aux niveaux maternel et primaire. Mais ces deux langues sont prépondérantes dans la communication populaire. Le lingala est parlé sur toute l’étendue du Haut-Uele, tandis que le swahili est couramment parlé dans le territoire de Wamba et une partie du territoire de Watsa ;

– les autres langues, appelées «  dialectes  » ou langues locales, pratiquées dans le Haut-Uele sont directement liées aux différents peuples autotchones. Ainsi sont-elles aussi nombreuses et d’origines variées que ces derniers.

On peut les répartir en quatre groupes linguistiques : – les langues soudanaises : elles comprennent les langues

pazande, mangbetu, logo, lugwara, bangba, mayogo,

LA SITUATION LINGUISTIQUE

mondo, mamvu, madhi, mangbutu, walese, dhongo, bari, etc.

– les langues bantoues : essentiellement parlées dans le territoire de Wamba. Il s’agit du kibudu et du kilika, – les langues nilotiques  : seul le kakwa rentre dans ce

groupe linguistique. Il est parlé à Aba (territoire de Faradje) et à Engbokolo, Kumuru (territoire d’Aru), – les langues pygmées : elles se parlent en territoire de Watsa

(Arumbi, Gombari, Andobi) et en territoire de Wamba.

Certains chercheurs, notamment le père Consterman, Hoefler et Stuhlman mettent en doute l’appartenance du mamvu et du mangbetu au groupe soudanais182. Dans le territoire de Niangara, le pazande et le mangbetu sont d’usage dans l’administration coutumière dans les chefferies où il existe plusieurs peuples. C’est le cas des chefferies Kereboro, Kopa, Okondo (mangbetu) et Manziga (pazande). Mais il s’observe une régression de l’usage de ces langues locales pratiquées dans le Haut-Uele et ce à des degrés différents. Les principaux motifs de cette régression sont :

182 Van Geluwe, H., Mamvu-Mangbutu et Balese-Mvuba, Tervuren, Musée du Congo belge, 1957, pp. 11-18.

– le milieu scolaire ou la scolarisation ;

– l’exode rural  : tous ceux qui quittent le village pour s’installer en ville ainsi que leurs enfants s’expriment d’abord en lingala ou/et en swahili, devenues langues de communication interethnique en milieu urbain ou extracoutumier ;

– le mariage mixte  : les conjoints sont parfois obligés d’abandonner leurs dialectes respectifs en faveur d’une langue commune. Il en va de même pour leurs enfants ; – enfin, la jeunesse méprise les langues locales qui ne

paraissent plus leur ouvrir les portes du grand monde ; Il n’y a pas que la régression, il y a des cas d’extinction pure et simple des langues  : certains peuples ont complètement perdu l’usage de leurs dialectes au profit de ceux des voisins. C’est le cas notamment des Mangbele qui parlent actuellement le mangbetu (nemangbetuti). Quant aux Pygmées, ils ont tendance à parler les langues des autres peuples habitant dans les mêmes territoires.

Les langues parlées dans le Haut-Uele

Langue Territoire Chefferies/secteur

Pazande Dungu Chefferies Wando, Ndolomo et Malingindo

Niangara Chefferies Boimi, Manziga et Kopa Faradje Chefferie Logo-Ogambi (Djabir, Budu) Mangbetu (Nemangbetuti) Rungu Chefferies Azanga, Mongomasi, Mboli et Ndey

Niangara Chefferies Kereboro, Kopa, Mangbele, Mangbetu-Mabisanga, Okondo et Manziga

Watsa Secteur Mangbutu et Gombari

Wamba Chefferies Malamba, Mahaa et secteur MMB Cité d’Isiro

Logoti Faradje Chefferies Ogambi, Lolia, Doka, Logo-Bagela, Logo-Obeleba

Watsa Cité de Watsa

Bangba (Libangba) Niangara Chefferies Kopa, Kereboro, Okondo et Manziga Watsa Secteur Kibali

Kiyogo Rungu Chefferies Mayogo-Mabozo, Mayogo-Magbai, Azanga et Mboli

Niangara Chefferies Kereboro, Kopa et Okondo Wamba Chefferies Malamba et Makoda

Watsa Secteur Gombari Cité d’Isiro

Mondo Faradje Chefferies Mondo, Kakwa et Logo-Ogambi

Dungu

Mamvu Faradje Chefferies Andikofa, Andobi, Ateru, Kebo et Mari-Minza Niangara Chefferies Kereboro et Kopa

Rungu Chefferie Mboli (groupement Mangbetu I) Watsa

Mangbutu Watsa Secteur Mangbutu, cité de Watsa

Lese Watsa Secteur Walese, cité de Watsa

Bari Watsa Secteurs Gombari et Kibali

Dongo Faradje Chefferie Dongo

Lugbara Faradje

Kakwa Faradje

Madhi Niangara Chefferies Okondo, Manziga, Mangbetu

Avokaya Faradje Chefferies Logo-Ogambi (Budu, Djabir), Logo-Lolia (Mangango), Mondo (Missa)

Baka Faradje Chefferies Logo-Ogambi (Budu, Djabir), Mondo

Padjulu Faradje Chefferie Logo-Ogambi (Djabir)

Efee Watsa Chefferies Andikofa, Andobi, Ateru, Kebo, Mari-Minza, Walese

Bomi Watsa

Lika Rungu Chefferie Momgamaqi (groupement Balika)

Wamba Chefferie Balika-Toriko

Medje Rungu Chefferie Medje-Mango

Kibudu Wamba

Cité d’Isiro

Dimachokwa Wamba Chefferie Mangbele

Belebela Wamba Secteur MMB

Kidjombi Wamba Secteur MMB

Notons qu’il existe diverses langues présentant un faible taux de locuteurs dont l’appartenance ou non à la famille des langues soudanaises reste à vérifier ou à prouver. Il s’agit notamment de l’avokaya, du baka, du padjulu (territoire de Faradje) ; de l’efee (lese), du mayanga, du mabadi, du gbote et du bomi (territoire de Watsa).

3.1. TERRITOIRE DE DUNGU

Dans le territoire de Dungu, les langues parlées sont : – le lingala (langue nationale) ;

– le pazande (langue locale) des autochtones ;

– le swahili (langue nationale) parlée par les commerçants à majorité nande, et par les pêcheurs wagenia venus de Kisangani.

3.2. TERRITOIRE DE FARADJE 

Huit langues locales y sont parlées : le logoti, le mondo, l’avokaya, le kakwa, le dongo, le baka, le padjalu et le pazande. Mais c’est le logoti qui domine ; il se parle dans plusieurs chefferies logo du territoire.

LA SITUATION LINGUISTIQUE

Répartition des langues par espace de diffusion dans le territoire de Faradje Langues Espace de diffusion

Logoti Chefferies Logo-Bagera, Logo-Doka, Logo-Lolia, Logo-Obeleba et Logo-Ogambi Mondo Chefferie Mondo, Logo-Ogambi, Tadu, chefferie Kakwa, Asigi

Avokaya Chefferie Logo-Ogambi, groupements Budu et Djabir, chefferie Logo-Lolia (Mangango), chefferie Mondo (Missa)

Kakwa Chefferie Kakwa cité d’Aba, chefferie Lolia (Makakaro, Asigi, Mandango), chefferie Mondo, Logo-Bagela (Dramba)

Dongo Chefferie Dongo

Baka Chefferie Logo-Ogambi (Budu, Djabir), chefferie Mondo Padjulu Chefferie Logo-Ogambi (Djabir)

Pazande Chefferie Logo-Ogambi (Djabir et Budu)

3.3. TERRITOIRE DE NIANGARA

Il y a cinq langues locales à taux de locution élevé :  – le mangbetu (nemangbetuti), parlé dans 6 chefferies :

Mangbetu, Mangbele, Kereboro, Kupa, Okondo et Manziga ;

– le pazande parlé dans 3 chefferies : Boimi, Manziga et Kopa ;

– le madhi parlé dans 3 chefferies : Okondo, Manziga et Mangbetu ;

– le bangba parlé dans 3 chefferies : Kopa, Kereboro et Okondo ;

– Le kiyogo parlé dans 3 chefferies : Kereboro, Kopa et Okondo.

En plus de ces cinq langues, il en existe d’autres, à taux de locution faible ou tout simplement en voie d’extinction.

C’est le cas du barambo, du mamvu, du duga, du gbote, du mangbele…

Deux de ces langues locales ont tendance à s’imposer : le mangbetu et le pazande. Les facteurs qui sont à la base de cette prédominance sont à la fois d’ordre historique, politique et administratif.

Du point de vue historique, on retiendra que lors de leurs conquêtes, les Azande ont systématiquement imposé leur langue aux peuples soumis. C’est le cas dans la chefferie Manziga où il existe des groupes importants de Madhi et Bangba qui parlent actuellement le pazande. Les Mangbetu, quant à eux, avaient séjourné dans la région de la moyenne et basse Bomokandi où ils avaient développé

une brillante civilisation dont parle l’explorateur allemand Schweinfurth.

Du point de vue politico-administratif, mais aussi culturel, le kingbetu fut utilisé par les Matsaga, qui avaient supplanté les Mangbetu dans la région, comme langue d’administration et de communication interethnique. À ce propos, André Scohy écrit : « Enfin, à un moment donné, une famille – la famille des Mangbetu – connut l’apogée et s’imposa à une partie de ces populations, mettant ses propres membres à la tête des tribus étrangères, étendant le prestige de son nom sur un embryon d’empire : alors naquit, éphémère mais violente, une hégémonie dont les premiers explorateurs virent encore les feux [….] Ainsi, dans cette question, les races, l’histoire, les conquêtes, la politique, la culture et même les concepts administratifs se mélangent, se confondent parfois mais sans jamais se recouvrir exactement183. »

3.4. TERRITOIRE DE RUNGU

En plus du français, le lingala est utilisé – mais à moindre échelle – dans l’enseignement. Il reste, cependant, la langue dominante (la plus parlée) au niveau de la communication populaire. Les langues locales du territoire de Rungu sont : le mangbetu, le kiyogo, le lika, le mamvu et le medje. Elles se répartissent sur les espaces d’usage suivants :

183 Scohy, A., L’Uele secret, Bruxelles-Léopoldville, Office international de librairie - La Librairie congolaise, 1955, p. 109.

Répartition des dialectes par espace d’usage dans le territoire de Rungu

Langues Espaces d’usage Mangbetu

(nemangbetuti) Chefferies Azanga, Mboli, Mongomasi, Ndey

Kiyogo Chefferies Mabozo, Mayogo-Magbai, Mboli et Azanga

(groupement Mangbele) Medje Chefferie Medje-Mango

Lika Chefferie Mongomasi (groupement Balika)

Mamvu Chefferie Mboli (groupement Mangbetu I)

3.5. TERRITOIRE DE WAMBA

En plus du français, le swahili est utilisé –  mais à moindre échelle – dans l’enseignement (niveaux maternel et primaire). Le swahili, langue héritée des Arabo-Swahilis, sert dans la communication populaire interethnique.

Mais le lingala connaît une avancée progressive dans le territoire, principalement dans son chef-lieu et dans les foyers miniers de Mambati, Bole Bole, Gbonzunzu, etc.

Le kibudu est la langue dominante dans tout le territoire. Mais il présente actuellement bien des variétés dialectales. Les avis et considérations des auteurs divergent quant à sa classification parmi les groupes linguistiques.

Le linguiste américain J. Greenberg classe le kibudu dans la famille nilo-saharienne, dans la branche Chari-Nil et sous la branche Soudan central qui comprend des langues comme le logoti, le lugbara, le madhi, le mangbetu, le kilendu, le kiyogo, le medje, etc. D’après cette classification, le kibudu serait une langue soudanaise184.

Van Der Kerken, quant à lui, classe le kibudu parmi les langues semi bantoues à cause des traits communs qu’il présente avec les langues bantoues. Notons que de nombreux locuteurs du kibudu interrogés dans le cadre de cette étude préfèrent voir le kibudu classé dans le groupe linguistique 184 Macozy Tsopo, M., cité par Abandi, Si Dieu s’est révélé au peuple Budu, que vient faire Jésus-Christ ? Approche théologique dans le texte de l’inculturation, inédit, Bukavu, Théologat St-Pie X, 1991, p. 7.

bantou. Ils estiment que les ressemblances du kibudu avec les langues soudanaises sont à mettre sur le compte des contacts avec les peuples soudanais au milieu desquels les Budu vivent et au fait qu’ils soient séparés des autres. Ces langues soudanaises se pratiquent aujourd’hui encore dans certaines chefferies et le secteur du territoire de Wamba. C’est le cas du : – mangbetu dans la chefferie Malamba (groupements

Bahatetaka et Likupe), la chefferie Mahaa (précisément dans le groupement de Bavabola) ;

– kiyogo dans la chefferie Malamba (groupements Balatende et Manzabi) et dans la chefferie Makoda (groupements Bamatebi, Basokobio, Bamungo et Besetego) ;

– le belabela et le kidjombi sont les langues spécifiques des Pygmées qui se trouvent dans le secteur MMB ; – dimachokwa, langue pratiquée dans la chefferie

Mangbele  ; elle serait la fusion de trois langues  : mangbele, mangbetu et kibudu ;

– lika, langue parlée dans la chefferie Balika-Toriko.

3.6. TERRITOIRE DE WATSA

En plus du français, l’usage du lingala dans l’enseignement (niveau maternel et primaire) est répandu, comme dans une moindre mesure, celui du swahili, dans la partie sud-ouest du territoire de Watsa. Van Bulck185 note la présence de six langues du groupe mamvu-balese subdivisé de la manière suivante :

– langue mombi ou meimbi, ainsi appelée ndo, avec pour

« dialectes » : l’okebo et l’avari ;

– langue mangbetu, avec pour « dialectes » : le mangbetu ; le mangbetu-Kero ; le mangbetu-Lobo ; l’awimuri et le bamodo ;

– langue mamvu qui aurait pas moins de 32 « dialectes » pouvant être ramenés à 5  groupes selon l’aire géographique (Nord, Sud, Est, Sud-Ouest et Sud-Est) de leur usage dans le territoire ;

– langue ameengi, avec pour « dialectes » : le muledre, le maidjiru et le moodu ;

185 Van Bulk, cité par Van Geluwe, Mamvu-Mangbetu et Balese-Mvuba, Tervuren, Musée du Congo belge, 1957, pp. 16-17.

LA SITUATION LINGUISTIQUE

– langue elee ou Lese, avec pour « dialectes » : le lese-Ossodo, le lese-Dese, le letse, l’abvu-Nkootu et le mvuba (ou mvube) ;

– langue beendi.

À ces subdivisions linguistiques détaillées que donne le R.P. Van Bulk sont à ajouter les considérations suivantes :

– Van Den Plas considère que diverses familles mamvu, bien qu’ayant gardé la langue de leurs ancêtres, ont adopté dans la vie publique le pazande, l’angbwa ou le mangbetu selon qu’elles soient soumises à l’un ou l’autre de ces peuples. Mais il ajoute que le mamvu a influencé fortement le parler des Bale et des Azande du Yei186 ; – Le R.P. Hulstaert fait remarquer la tendance à la

« mangbetuïsation187 » ;

– Schweinfurth signale qu’à la fin du xve siècle, certains Mamvu parlaient la langue des Babukr188.

Outre ces parlers, se pratique la langue des Mbuti, proche de la langue efee. Mais plusieurs langues citées ci-dessus ne sont plus pratiquées actuellement. On ne compte qu’une dizaine de parlers courants dans le territoire de Watsa.

Répartition des dialectes par espaces d’usage dans le territoire de Watsa

Entité administrative Langues parlées

Cité de Watsa C’est un espace extracoutumier qui note à la fois la présence des langues locales mangbutu, lese, logoti, bangba, mamvu, etc.

Chefferie Andikofa Mamvu et efee Chefferie Andobi Mamvu et efee Chefferie Ateru Mamvu et efee

Secteur Gombari Mayanga, mangbele, mabadi, gbote, bari-Moka, bari-Koro, mayogo-madi-madhoka Chefferie Kebo Mamvu et efee

Chefferie Kibali Bari, bangba Secteur Mangbutu Mangbetu et bomi Chefferie Mari-Minza Mamvu et efee Chefferie Walese Lese et efee 186 Idem, p. 17.

187 Hulstaert, cité par Van Geluwe, op. cit., p. 17.

188 Schweinfurth cité par Van Geluwe, op. cit., p. 17.

Le mamvu, le mangbetu, le lese, le bangba, le bari et le bomi sont les langues dominantes du territoire. Rappelons que dans le centre extracoutumier (cité de Watsa et les grandes agglomérations aurifères de Durba et de Tora, voire de Mungbere), on note une régression de la pratique des langues locales au profit du lingala et du swahili.

3.7. CITÉ D’ISIRO

Dans la cité d’Isiro, les langues les plus pratiquées sont le lingala, le mangbetu, le kiyogo et le kibudu. Le lingala, à cause de son caractère national et de langue d’enseignement, est pratiqué par toute la population  ; suivent en ordre décroissant le mangbetu et le mayogo.

4. LES EXPRESSIONS ARTISTIQUES, MUSICALES