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Typologie de l’habitat et architecture domestique de la Médina :

Le patrimoine domestique de la Médina de Marrakech : Origines, patrimonialisation, gentrification et mise en

Section 2. La Medina de Marrakech : genèse et transformations de l’espace urbain depuis sa création

IV. Typologie de l’habitat et architecture domestique de la Médina :

Hormis la distinction faite entre le dar et le riad, les maisons traditionnelles de la Médina de Marrakech sont construites sur le même modèle architectural. Nous pourrons néanmoins dégager plusieurs catégories de maisons traditionnelles selon leurs caractéristiques, l’usage des matériaux, l’organisation des espaces et des modèles architecturaux.

Plusieurs critères peuvent être adoptés pour une typologie de l’habitat en Médina de Marrakech : maison avec ou sans étage ; palais disposant d’une masria ou d’une stinya ; maison avec rez-de-chaussée simple ou disposant d’un menzeh ou d’une douiria à l’étage ; maison à l’étage, avec ou sans galerie ; maison sans dépendances ou avec écuries, cour de service, hammam ; ou encore maison avec un ou deux escaliers.

Le wast ed-dar est soit carré ou rectangulaire, avec ou sans jardins, avec ou sans fontaine, avec ou sans b’hou (Figure 19), avec ou sans sekaia, avec galerie sur un, deux, trois ou quatre côtés au rez-de-chaussée et (ou) l’étage, avec piliers carrés, octogonaux ou cylindriques, avec ou sans chapiteaux, avec arcs en briques ou encorbellements de bois ou combinaison des deux systèmes constructifs88.

88 WILBAUX, 2001.

Figure 19 : Bhou d’un riad avec Sekaia. Médina de Marrakech, Benaddi, 2017.

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Ces différents éléments sont combinés de différentes manières dans chacune des maisons de la Médina. Au niveau des détails et des décors, les choix s’enrichissent encore suivant les éléments illustrés dans le tableau suivant :

Éléments du décor Description

Couronnement

et protection des murs.

Par des tuiles vertes tournées ou moulées.

Balustrades En bois (moucharabieh) ou en fer forgé dans des cadres de bois.

Menuiserie Simple ou sculpté, en bois naturel enduit, vernis ou peint (figure 20).

Pièces S’ouvrant sur le patio par une porte seule ou par porte et fenêtre.

Portes A double battants sur gonds extérieurs (rétaj) devant les baies en arcades des pièces.

Battants Avec ou sans petite porte (tfifa), avec deux petites portes latérales ou avec un arc central (figure 21)

Intérieur des pièces Plafonds en plâtre, ou en bois, plats ou en berchla, avec ou sans décor.

Sols en dess ou en zellij, avec ou sans plinthes.

Tableau 4 : Éléments de décor intérieur dans la maison traditionnelle en Médina de Marrakech. Basé sur l’étude de Wilbaux, 2001.

En Médina de Marrakech, les maisons sont construites dans des matériaux peu durables (terres, chaux, et briques) et nécessitent de nombreux travaux d’entretien et de rénovation. Les matériaux anciens sont souvent récupérés et réutilisés vu que le transport de l’évacuation des matières étant difficile et coûteux dans le réseau étroit des ruelles. Quelques indices peuvent nous renseigner sur l’âge des constructions :

En général, le niveau du wast ed- dar détermine l’âge de la maison. Plus le wast ed-dar est au niveau de la voirie moins la maison est vieille. Selon Wilbaux, dans une ville qui reconstruit sans cesse, on remarque que le tracé des voiries et le parcellaire restent relativement constants. On peut ainsi supposer que de nombreuses maisons de Marrakech ont gardé le plan des maisons qui les ont précédées. Les maisons se sont donc progressivement construites au-dessus des

Figure 21 : Portes et fenêtres d’une pièce donnant sur le patio d’un riad. Médina de Marrakech. Benaddi, 2017 Figure 20 : Porte d’un riad

mise en vente dans un souk à Marrakech, Médina.

Benaddi, 2017.

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anciennes. Il serait donc difficile de penser retrouver aujourd’hui des maisons anciennes sachant que leur wast ed-dar est si profond (1m à 1,5m en dessous du niveau de la rue) qu’il faut parfois descendre un véritable escalier pour y accéder.

Au début, les maisons anciennes n’avaient pas de véritables étages. Les entresols (dont la hauteur sous plafond est très faibles et qui servait pour le stockage de matériel et les réserves de produits alimentaires de base, blé, huile etc) se retrouvent à Marrakech dans des maisons dont l’origine pourrait remonter à l’époque sâadienne, et semble avoir été abandonnés par la suite. Le b’hou extérieur, donnant sur le patio, semble assez récent (XIXème)89.

Au niveau des formes architecturales, bien qu’il semble que les larges linteaux à encorbellement aient été en vogue dans les constructions d’époque saadienne puis progressivement abandonnés par la suite au profit de galeries d’arcades en maçonnerie de briques, les encorbellements de bois ont un caractère plus primitif que les galeries à arcades (Wilbaux, 2001). Les seules constructions almoravides ou almohades conservées à ce jour présentent en effet des arcs en ogive très similaires à ce que l’on retrouve dans les maisons du XIXè et du début du XXè siècle.

L’usage du verre dans le percement de fenêtres est aussi un signe de construction récente. Dans les maisons anciennes, la porte jouait seule les rôles d’accès et d’éclairage des pièces. Dans quelques maisons qui semblent très anciennes (saâdiennes), deux niches ménagées à l’intérieur du salon encadrent symétriquement la porte.

Pour l’usage des matériaux, il faut noter que faïences et les carreaux de ciment que l’on trouve aujourd’hui presque systématiquement dans les maisons sont bien évidemment des marques de rénovations contemporaines. Certains éléments, directement liés à l’importation récente de matériaux et de techniques, ont progressivement remplacé des matériaux traditionnels. Les sols et les murs étaient traditionnellement recouverts de dess (chape et enduit de chaux). Les zelijs étaient réservé aux pièces de réceptions, et à certains décors entourant la fontaine centrale ou la sekaia. Le plâtre que l’on retrouve en sous –couche dans les maisons

89 WILBAUX, 2001, 62.

anciennes, n’a pas la même couleur que le plâtre moderne, il est légèrement rosé, et contient beaucoup d’impuretés (figure 22).

Figure 22 : Rénovation d’un toit en plâtre peint. Benaddi, 2017

Les fers forgés ont remplacé les moucharabich en bois pour les garde-corps et les claustras des baies. Les tuiles réalisées au tour (poterie coupée en deux parties) ont remplacé les tuiles moulées sur la jambe.

L’évolution, d’un mode de construction à un autre s’est faite de façon progressive à Marrakech90. L’architecture raffinée de Fès et des villes andalouses a certainement influencé celle, plus rurale de Marrakech. Cette influence a été forte aux périodes de grands échanges, à l’époque d’Ali Ben Youssef, et plus tard, avec la chute de Grenade et l’arrivée des émigrants.

Les décors de larges linteaux de cèdre encadrés par des arcs en plein cintre à redents que surmontent des panneaux de plâtre ciselé, sont appliqués sur une

90 Wilbaux, 2001.

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construction grossière de briques et de lourds rondins de bois. Les arcs de ce style et de cette époque sont des décors, faits de briques plates et de plâtres, qui remplissent des espaces vides entre piliers et ne participent pas à la structure du bâtiment. Ce type de décor a disparu au XIXè siècle.

Les zellijs anciens, toujours à la mode, utilisent des couleurs (turquoise, aubergine...) qui n’existent plus dans les compositions contemporaines (figure 23).

Au niveau des plafonds peints, on remarque également, le passage d’un travail de bois sculpté et peint (jusqu’au XVIIIè siècle) à un travail de simple peinture sur chevrons et planches. Le décor peint a également évolué. Nous avons relevé dans les décors antérieurs au XIXè siècle des plafonds en warka ou gueiza (planches et chevrons de bois). Sur certaines portes et plafonds peints, des encadrements de petits carrés alternés noirs et blancs sont également des indices d’ancienneté du décor.

Figure 23 : Décoration intérieure par Zellij et plâtre. Benaddi, 2017

Conclusion du chapitre 2 :

Cadrer la problématique de la reconstitution de l’espace de la Médina de Marrakech dans son rapport au développement du tourisme passe par un travail de conceptualisation et de terminologie, par une lecture historique de sa formation et par une approche comparative. Nous avons vu que définir l’origine de l’organisation de la Médina est un exercice scientifique complexe. Cependant, il est très réducteur de voir la Médina comme un espace anarchique et désordonné n’émanant d’aucune logique d’organisation ou encore de la considérer comme vieille ville arabe par opposition à la ville européenne. Une meilleure compréhension de sa construction spatiale doit être faite par l’étude de différentes fonctions de ses lieux ; religieuse (mosquée), politique (palais), économique (souk), et résidentielle (houma, palais, riad…).

La Médina de Marrakech puise une grande partie de son essence par l’appartenance au monde de l’islam (Troin, 1988). C’est qu’à partir de cela que la Médina pourrait apparaître comme un organisme urbain unitaire, cohérent et bien délimité. Ceci se traduit par une organisation spatiale particulière qu'on peut lire aujourd’hui dans son tissu ancien ; une structure radioconcentrique avec un rôle central des Grandes Mosquées (Ben Youssef et Koutoubia), une spécialisation des souks à proximité du pôle religieux, une forte personnalité des quartiers résidentiels et de leurs équipements de base (ruelles, bains et fours publics), et un rôle central du palais comme facteur de cohésion et d’unification politique.

Ainsi, la formation et l’organisation spatiale et sociale de Marrakech se sont faites suivant une pluralité de logiques religieuse, politique et économique. Entre les périodes de glorification (Almoravides, Almohades, Saadiens et Alaouites) et d’abaissement (Mérinides, début de l’ère alaouite et pendant le protectorat), la Médina de Marrakech a su garder ses éléments urbains constitutifs résultant d’une rencontre entre plusieurs civilisations amazigh, africaine, arabe et européenne.

Sur le plan de l’habitat, force est de constater que de par son mode architectural ancien, ses caractéristiques fonctionnelles et esthétiques, ses matériaux de construction et l’organisation de ses espaces, la maison traditionnelle de Marrakech a fortement conservé, au fil des temps, son originalité et se distingue clairement des autres modes d’habitat à l’échelle nationale et internationale. Quelles

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seraient, donc, ses raisons de succès ? et comment le riad et le dar traditionnel ont-ils pu attirer l’intention des visiteurs et des investisseurs ?

Conclusion de la première partie

Cette partie avait pour objectif de dresser la cadre théorique et contextuel de la recherche et cerner les enjeux spatiaux et socio-économiques portés par la mise en tourisme des habitations en Médina de Marrakech ainsi que tracer des pistes de réflexion sur ses dynamiques actuelles et ses enjeux identitaires.

Une des premières conclusions à tirer de cette première partie de l’étude et que la Médina de Marrakech a toujours été un lieu de proximité humaine et d’échange socio-ethnique. C’est, aussi, une expression spatiale d’un système de vie sociale s’étant construit durant neuf siècles et demi d’existence. A travers ce temps, ce vieux centre urbain a connu des époques de gloire et de richesse urbaine ainsi que des périodes d’abaissement et d’appauvrissement. Ainsi, son organisation socio-spatiale s’est formée selon des lois urbanistiques traditionnelle et moderne résultant d’une rencontre de civilisations diverses.

La conceptualisation des termes, l’étude historique de la formation de l’espace et l’approche par comparaison ne font que montrer la complexité de la relation entre patrimoine et tourisme dans la Médina. Cette partie nous a permis de mieux cadrer notre problématique de recherche sur le plan théorique et fonder notre approche d’analyse sur une base conceptuelle solide.

Nous avons découvert, dans le premier chapitre, que la mondialisation, le classement par l’Unesco, le développement politique du pays et l’intérêt porté à la Médina par les étrangers (résidents et touristes) sont des facteurs principaux ayant favorisé la mise en valeur de ses espaces historiques. Dans le deuxième chapitre, nous avons constaté que la construction spatiale de la Médina de Marrakech doit être définie par l’étude de différentes fonctions de ses lieux religieux (mosquée), politique (palais), économique (souk), et résidentiel (houma, palais, riad…). C’est, donc, une structure socio-spatiale radiocenrtique fondée autour de la mosquée avec une spécialisation des espaces commerciaux appelés souk, une privatisation des derbs, un rôle central du palais et une protection de l’intimité familiale par des dars à cour intérieure et des riads et palais en forme de jardins clos.

Comment, donc, la Médina est-elle passée d’un lieu d’habitation à un espace de séjour touristique ? Comment l’ouverture de ses espaces résidentiels au tourisme a-t-elle transformé le rapport au bâti et à l’Homme ? La gentrification et

l’appropriation des habitations domestiques a-t-elle conduit à la marchandisation du patrimoine habité et à l’éviction des autochtones vers de nouveaux lieux ? Quel rôle jouent les RMH dans le développement du paysage urbain et socio-éconmique de la Médina ? Et enfin, comment sont organisées et contrôlées les opérations de reconstruction et de restauration des dars et riads transformées en entreprises touristiques ?

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