• Aucun résultat trouvé

Le patrimoine domestique de la Médina de Marrakech : Origines, patrimonialisation, gentrification et mise en

Section 2. Gentrification et gentrification par le tourisme. Quelques exemples

I. Méthodologie de la recherche :

1. Approches et démarche : Géographie sociale et démarche hypothético-déductive

Afin d’analyser le corpus et comprendre les différents processus de mise en tourisme des habitations de la Médina, nous avons opté pour une approche pluridisciplinaire relevant de la géographie sociale. En effet, le postulat de la géographie sociale repose sur le fait que l’espace, la ville en l’occurrence, est avant tout une production sociale qui n’obéit pas toujours aux mêmes règles. Dans ce sens, Françoise Choya39 souligne dans un article publié dans le catalogue de l'exposition40

« Ville, art et architecture en Europe 1870–1993 » (1994) que la ville est le résultat de processus complexes en disant : « On sait que la ville est un phénomène trop complexe pour être pensée en termes de chaines causales simples : elle met en jeu des faisceaux de détermination engagés dans des boucles de rétroaction » (Choya, 1994)41. De là, l’historienne critique la vision trop simpliste qui considère que seuls les concepteurs techniques et politiques conçoivent et fabriquent la ville.

L’idée de l’étude de la ville et de son développement doit, ainsi, passer par une analyse qui embrasse la diversité des acteurs urbains, et de leurs logiques, et qui les met en interaction tout en dépassant un dualisme classique individu/société qui se limitait aux acteurs collectifs (administration, entreprises...) d’un côté ou aux acteurs individuels de l’autre. Parallèlement, la plupart des travaux réalisés sur la notion de production urbaine mettent l’accent « sur deux opérateurs qui sont considérés séparément et qui se confondent avec deux approches distinctes de l’urbain : une approche « par le haut », souvent consacrée aux faits « des institutions » (États, bailleurs de fonds...), et de leurs dispositifs (les politiques urbaines) ; et une « approche par le bas » qui se focalise sur le rôle des « citadins ordinaires » par le biais de leurs pratiques citadines » (Berry-Chikhaoui, Deboulet, 2000).

Dès lors, l’approche que nous avons adoptée dans la thèse tâche de concilier le singulier et le pluriel. Nous nous inspirons des travaux réalisés par M. Lussault qui

39 Françoise Choay, née le 29 mars 1925 à Paris1, est historienne des théories et des formes urbaines et architecturales. Elle était professeur aux universités de Paris-I et Paris-VIII. URL ;

https://www.iau-idf.fr/amenagement-et-territoires/francoise-choay-historienne-de-larchitecture-et-de-lurbanisme.html (Consulté le 20 avril 2019)

40 Tenue au musée d’Art moderne du Centre Pompidou en 1994 (Paris).

41 Cité par Elsa Coslado, 2015.

63

considère que « l’individu et le social sont chacun pour l’autre une ressource, le social étant un cadre configurant l’action dont l’émancipation s’avère toujours possible » (Lussault, 1996), des études de M. de Certeau (1990), lequel attribue à « l'homme ordinaire des arts de faire », mais également des auteurs tels que Jacques Lévy, Michel Lussault ou Guy Di Meo (2000), qui considère l’individu comme « un pivot essentiel de l’analyse des espaces élaborés » (Cité par Coslado, 2015).

Pour notre cas d’étude, l’individu – représenté par le nouveau propriétaire étranger de la maison traditionnelle et par l’habitant local – est un acteur principal des transformations sociales et spatiales de la Médina de Marrakech. En même temps, notre postulat suppose le rôle conjoint des États et des institutions mondiales dans la fabrication urbaine. Cela nous conduit à parler d’une co-production de la ville et nous impose de « combiner holisme et individualisme » (Delpeuch, 2008, p. 14). Nous tentons, donc, de saisir les interactions entre les deux polarités de l’urbain et de dépasser la dichotomie des recherches – fabrication de la ville « par le haut » versus sa production et son appropriation « par le bas ».

D’autre part, sur le plan méthodologique, nous avons recouru à la démarche hypothético-déductive qui peut être comprise comme une « opération mentale consistant avant tout à prendre pour point de départ une proposition ou un ensemble de propositions de portée universelle (ou du moins générale) dont on tire une hypothèse ou un ensemble d’hypothèses portant sur des cas particuliers » (Gauthier, 1986)42. Cette démarche adopte la formule ABC du « syllogisme » qui opère en ayant pour but d’attirer « une conséquence (C) à partir d’une règle générale (A) et d’une observation empirique (B). (Tableau 1).

42 Cité par Nunez Moscoso. 2013, pp.57-80.

Démarche de recherche Phase /Prémisse

Syllogisme déductif

Théorie/Hypothèse Règle A. Tous les hommes sont mortels

Étude empirique Cas B. Tous les Grecs sont des hommes

Validation/Invalidation Résultat C. Tous les Grecs sont mortels

Tableau 1. La déduction et sa démarche (Moscoso, 2013).

Ainsi, cette démarche cherche à valider le travail scientifique à travers un ordre méthodologique composé de trois phases : la théorie et l’hypothèse, l’étude empirique et la validation ou invalidation des hypothèses. Le tableau 2 présente une synthèse de l’opérationnalisation et les objectifs de chacune d’elles.

Tableau 2 : Opérationnalisation de la démarche déductive (Moscoso, 2013).

Suivant cette démarche nous tentons d’affirmer ou d’infirmer les trois hypothèses formulées au tout début de cette recherche et qui concernent l’interaction entre les deux phénomènes « tourisme » et « patrimoine » dans la Médina de Marrakech, le rôle de l’individu (touriste, nouveau propriétaire étranger et habitant local) d’un côté et de l’Etat et des institutions mondiales d’un autre, et enfin les dynamiques socio-spatiale crées autour des RMH. Pour cela, nous avons effectué une

Démarche déductive Opérationnalisation Objectif

Théorie/Hypothèse Cadre théorique a priori Poser une relation théorie-empirie Étude empirique Méthodologie en fonction à

la théorie et en adéquation au contexte empirique

Trouver des indicateurs de la relation

Validation/Invalidation Interprétation et

argumentation à faveur de l’hypothèse/théorie

Prouver que l’hypothèse/théorie est consistante

65

étude empirique mixte (qualitative et quantitative) afin de révéler les données nécessaires pour une meilleure compréhension des processus de transformation du paysage urbain et social au sein de la Médina.

2. Les méthodes de recherche

La méthode mixte permet au chercheur de mobiliser aussi bien les avantages du mode quantitatif que ceux du mode qualitatif. Cette conduite aide à maitriser le phénomène dans « toutes » ses dimensions puisque les deux démarches ne s’opposent pas mais se complètent.

La méthode quantitative :

Pour la méthode quantitative, elle procède à l’analyse de données par le recours à la quantification. Elle est jugée objective par de nombreux chercheurs car elle est indépendante de la personnalité de l’analyste et de ses jugements. Loubet del Bayle (2016) ajoute que « lorsque l’on dispose de données quantitatives sur les caractères ou les variables à étudier, on peut recourir au calcul des corrélations, qui permet d’arriver à des résultats plus précis et d’étudier non seulement l’association des variables mais aussi leurs variations concomitantes » (Cité par Samlak, 2017, p.14).

Ce type de recherche consiste à décrire, à expliquer, à contrôler et à prédire en se fondant sur l’observation de faits et d’événements. Cette méthode s’appuie sur des instruments ou techniques de recherche quantitatives de collecte de données dont en principe la fidélité et la validité sont assurées (ibid). Elle aboutit à des données chiffrées qui permettent de faire des analyses descriptives, des tableaux et graphiques, des analyses statistiques de recherche de liens entre les variables ou facteurs, des analyses de corrélation ou d’association, etc.

Dès lors, la méthode quantitative permet d’établir des conclusions statistiquement significatives sur une population en étudiant un échantillon représentatif qui comprend tout individu correspondant à la description du groupe étudié. Si l’échantillon est choisi correctement, il sera statistiquement identique à la population et les conclusions peuvent être déduites à la population (Creswell, et al.

2003).

La recherche quantitative est généralement l'un des deux types : expérimentales ou descriptifs.

La recherche descriptive mesure l'échantillon à un moment dans le temps et

décrit simplement la démographie de l'échantillon. Bien que ce ne soit pas considéré comme un exercice statistiquement difficile, une bonne description des variables aide le chercheur à évaluer la production statistique dans le contexte approprié (De Vaus, 2001).

La recherche expérimentale teste l'exactitude d'une théorie en déterminant si la variable indépendante (contrôlée par le chercheur) provoque un effet sur la variable étudiée (Campbell et al. 1963).

Dans notre cas, l’étude des nouvelles logiques spatiales adoptées dans les RMH dans l’ancien centre urbain de Marrakech nécessitent des enquêtes quantitatives par le biais de questionnaires adressés aux propriétaires locaux et étrangers. L’objectif est de décrire et d’analyser les opérations de reconstruction et de restauration des habitations traditionnelles transformées en RMH ainsi que les modifications architecturales apportées à leurs composantes.

La méthode qualitative

Loubet del Bayle (2016) précise que la méthode qualitative ne procède à aucune quantification. Son souci est de rechercher la signification aussi bien évidente qu’implicite et repose souvent sur un fondement rationnel. Autrement dit, la démarche qualitative vise généralement des éléments clés de l’enquête et se contente de recueillir des données qui touchent le fond de la problématique pour procéder ensuite à une généralisation relative. Elle cherche aussi à découvrir le côté dissimulé de l’enquête par le biais d’une politique de proximité avec les enquêtés.

Dans la démarche qualitative, le chercheur part d’une situation concrète comportant un phénomène particulier qu’il ambitionne de comprendre et non de démontrer, de prouver ou de contrôler. Il veut donner sens au phénomène à travers ou au-delà de l’observation, de la description de l’interprétation et de l’appréciation du contexte et du phénomène tel qu’il se présente. Cette méthode recourt à des techniques de recherche qualitatives pour étudier des faits particuliers (études de cas, observation, entretiens semi-structurés ou non-structurés, etc.). Le mode qualitatif fournit des données de contenu, et non des données chiffrées (Guy Roger et Kouassi 2010)

Dans notre cas, la démarche qualitative, par observation, les relevés de terrain, l’exploitation analytique des sources secondaires et l’entretien semi-directif permet de récolter des informations sur les représentations des habitants, des touristes, des propriétaires étrangers et des acteurs locaux autour de la Médina et des RMH, ainsi

67

que sur les transformations démographiques et les niveaux de « co-habitation » entre les étrangers et les locaux au sein des quartiers de la Médina.

Documents relatifs