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Tourisme et valorisation du patrimoine culturel matériel dans les villes historiques :

Le patrimoine domestique de la Médina de Marrakech : Origines, patrimonialisation, gentrification et mise en

Chapitre 1 : Cadre théorique et méthodologique

IV. Tourisme et valorisation du patrimoine culturel matériel dans les villes historiques :

IV. Tourisme et valorisation du patrimoine culturel matériel dans les villes historiques :

Si le voyage était, historiquement, synonyme de déplacement obligatoire pour des raisons de commerce, à des fins militaires (la recherche des terres riches), ou pour des motifs religieux, le tourisme est un nouveau voyage devenu aujourd’hui un fait social, économique et politique de grande envergure. Selon Duhamel « un milliard de touristes internationaux chaque année, deux à trois milliards de touristes nationaux, 250 millions d’employés, 10 % du PIB de la planète : le tourisme est devenu en une vingtaine d’années un phénomène à la fois économique, social et politique d’une ampleur considérable » (Duhamel, 2018).

La visite et la découverte des cultures s’avèrent l'un des segments majeurs du tourisme au niveau mondial. Ce type de déplacement est perçu comme promoteur des destinations, levier du développement économique et humain et un moyen efficace de valorisation culturelle des destinations. La culture et le patrimoine deviennent des

atouts majeurs favorisant une attraction touristique de plusieurs destinations mondiales.

Le développement de ce type de tourisme est relié à l’intérêt accordé à la découverte des populations géographiquement et socialement différentes, ainsi qu’à la curiosité exprimée vis-à-vis des cultures et des civilisations du monde. Un tel élargissement des composantes du tourisme traduit parfaitement le lien entre la culture et le territoire où elle se déploie. Ce lien prend toute son ampleur lorsque l’on aborde la question de l’identité et du patrimoine. D’autant plus que le territoire n’est pas réduit à l’espace physique occupé par une population, mais défini à travers le sentiment d’appartenance et d’appropriation que cette population ressent envers cet espace (Du Cluseau, 2000).

Le touriste dit « culturel » est de ce fait, celui dont le voyage s’effectue dans le but de satisfaire des besoins culturels. D’après l’Organisation Mondiale du Tourisme (OMT, 2017, p.74), ce type de tourisme représente 37% de tous les voyages touristiques au niveau mondial. Ce pourcentage devrait, selon les prévisions de ladite organisation, augmenter de 15% par an. Le nombre qui devrait être atteint d’ici 2020 serait 1,6 milliard de touristes dont le tiers seraient motivés par la visite et la découverte des cultures 19. Ainsi le Secrétaire général d de l’OMT déclare (2017) que : « Le tourisme motivé par la découverte des cultures ne cesse de gagner en popularité, en importance et en diversité, en se nourrissant des changements et de l’innovation. Or, la croissance entraîne une responsabilité accrue, en l’occurrence la responsabilité de protéger nos actifs culturels et naturels qui constituent le fondement même de nos sociétés et de nos civilisations » (Rifai, OMT, 2017)20

Si la valorisation du patrimoine culturel répond à des enjeux d’ordre culturel, pédagogique, social ou spirituel, les valeurs économique et touristique requièrent une importance grandissante dans le processus de patrimonialisation. En effet, ce processus est accompagné d’un phénomène d’appropriation de l’objet patrimonial à l’échelle régionale, nationale et même mondiale.

En effet, la Charte Internationale du Tourisme Culturel (CITC), adoptée par l’ICOMOS à la 12ème Assemblée Générale au Mexique en Octobre 1999, stipule que

19 OMT, Rapport international sur le tourisme culturel « Tourism and Culture Synergies », 4 juillet 2017, p.74.

20 http://www.nouveautourismeculturel.com

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les multiples acteurs intervenant dans le domaine devraient coopérer afin que la valorisation et la conservation se complètent, d’autant plus que « l’interaction entre les ressources patrimoniales et le tourisme est dynamique et en constante évolution, générant à la fois des opportunités, des défis et des potentialités de conflits. Les projets, les activités et le développement touristique doivent parvenir à des résultats positifs et limiter les impacts négatifs qui pourraient nuire au patrimoine et aux modes de vie des communautés d’accueil, tout en répondant au mieux aux besoins et aux aspirations des visiteurs » (CITC, 1999).

Ainsi, le patrimoine est un outil indispensable au service de la promotion touristique et du développement territorial. C’est un enjeu essentiel pour l’avenir de l’humanité et le défi serait, donc, de pouvoir concilier entre la valorisation touristique du patrimoine et sa conservation. Autrement dit, faire du patrimoine un moteur du développement local tout en gardant les spécificités culturelles du territoire, du pays ou de la région d’accueil.

Cependant, les objets patrimoniaux, vus comme tels, sont de plus en plus considérés comme générateurs de richesse et d’attractivité des territoires. Suivant le développement du tourisme, le patrimoine répond à de nouvelles logiques de consommation économique et les nouvelles approches de gestion du patrimoine culturel, partagées par les acteurs publics des villes historiques, ont fait des villes médiévales des espaces avec beaucoup de similitude (Orbasli 2000, p. 10).

Par extension, les villes historiques du monde arabo-musulmanes se ressemblent sur plusieurs niveaux ; leurs nouvelles ruelles récemment pavées, leurs publicités et leurs catalogues standardisés (ibid.). L'objectif de la conservation dans de nombreux centres historiques semble se déplacer de la préservation de la « continuité de l'environnement habité » à la garantie des qualités esthétiques externes, destinés à faire appel à la perception des touristes de la destination (ibid.). Avec un tel développement, plusieurs chercheurs pensent que l’adaptation aux attentes des touristes peut porter atteinte à la structure et à la pérennité même de la vie sociale dans les villes historiques et de leurs centres (Tebaa, Bousta, 2005 ; Skounti 2002).

Ainsi, le tourisme et le patrimoine sont perçus, dans plusieurs pays du Maghreb, comme des outils stratégiques de développement économique et social et plusieurs centres villes historiques, dont la Médina de Marrakech, sont presque traités comme des « produits touristiques ». Or, d’un point de vue économique, Butler

(1997) estime que le produit touristique suit un cycle de vie bien déterminé en passant par six phases essentielles qui partent de l’exploration au déclin :

- La phase d’exploration : c’est la phase de découverte où le site est visité par un nombre réduit de touristes.

- La phase d’implication et de développement : qui correspond à l’expansion, au déplacement massif des visiteurs vers la destination. Secteur public et privés sont impliqués dans le processus d’aménagement, de développement d’infrastructures, etc.

c’est aussi la phase où le site subit toutes sortes de détériorations, de destructions.

- La phase de consolidation : cette étape se caractérise par la diminution du nombre de visiteurs tandis que la croissance du nombre total de touristes reste maintenue.

L’économie de la destination dépend du produit touristique. La destination devient un produit standard.

- La phase de la stagnation : la destination commence à perdre de son éclat, elle n’est plus à la mode. Les profits diminuent.

- La phase de déclin ou de rajeunissement : le produit est épuisé, la destination touristique n’intéresse plus, les ventes baissent. Soit le produit est pris en charge afin de le sauver en déployant des moyens et des efforts afin de le maintenir en vie, le rajeunir, soit il meurt.

Compte tenu de ce cycle de vie du produit touristique, plusieurs observateurs considèrent que les mutations observées aux niveaux urbain, socioculturel dans les lieux patrimoniaux sont dus à l’activité touristique. Autrement dit, le tourisme conduit les espaces où il s’exerce à une phase de transformation spatiale et sociale où les changements demeurent reliés les uns aux autres par des liens de cause à effet (Orbasli 2000).

Finalement, la corrélation entre les deux phénomènes patrimonial et touristique se manifeste clairement dans les villes historiques à travers un processus de co-constitution parallèle. En l’occurrence, dans la Médina de Marrakech, il est clair que l’intérêt porté sur le patrimoine depuis la colonisation française a fortement encouragé le développement du tourisme et cela a créé une valorisation des objets patrimoniaux qui compose son espace dont notamment les habitations traditionnelles (palais, dar et

43 riad).

Parmi les formes de changement de la vie urbaine dans certains centre villes anciens, la gentrification par le tourisme, qui est le résultat du réinvestissement des quartiers anciens (délaissés ou en crise) par et pour le tourisme, est l’un des exemples les plus pertinents. Dans la section suivante, nous étudierons les notions de

« gentrification » et de « gentrification par le tourisme » et nous examinerons quelques exemples de villes du sud ayant connu ce phénomène.

Section 2. Gentrification et gentrification par le tourisme. Quelques

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