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Marrakech pendant et après le protectorat : cité des jardins et des indigènes versus ville nouvelle de Guéliz

Terrain de recherche : la Médina habitée par le touriste

II. Marrakech pendant et après le protectorat : cité des jardins et des indigènes versus ville nouvelle de Guéliz

Marrakech s'est développée sur le modèle classique de la cité-jardin insérée dans une oasis (El Hannani, Taïbi, Brabra, Giffon, 2017, p.2). Avant le protectorat, la Médina intra-muros vivait au calme dans l’enceinte immense de ses remparts (Deverdun, 1959, p. 585)102. Elle contenait de nombreux espaces non-bâtis et de grands jardins appelés Aarsats (El-Faiz, 1996)103. Selon Wilbaux : « la photo aérienne de 1917 nous montre

102 Gaston Deverdun, « Marrakech- des origines à 1912 », Editions Techniques Nord-Africaines, Rabat op.cit.

p. 585-597.1959.

103 Mohammed El Faïz, « Les jardins historiques de Marrakech : mémoire écologique d'une ville impériale »,

qu’à l’intérieur des remparts la surface bâtie était minoritaire par rapport aux espaces libres et jardins. Ces espaces libres avaient presque tous étés d’anciens vergers ou jardins dont ils gardaient le nom. Arsat Ihiri ou Jnân Qshich étaient par exemple ruinés.

La ville au début du siècle n’était plus que l’ombre de la capitale qu’elle avait été. […]

Plusieurs quartiers avaient disparus.» (Wilbaux, 2001, p. 280) (figure 26).

Figure 26 : Palais ruiné d’El Badiaa au début du XXe siècle. Cliché Navarro, 1914.

Source : maisondelaphotographie.ma (consulté en novembre 2017).

L’ampleur et la cherté des travaux que nécessiteraient l’aménagement de la ville afin de la rendre habitable pour un noyau important d’Européens constituait un motif de plus pour l’installation des Français à Guéliz (Aimel, 1919, p.62). D’autre part, la ville n’avait presque pas de pente et les anciens égouts dataient de plusieurs siècles. Ils étaient à moitié comblés et d’une visite impossible, le seul mode d’écoulement des eaux usées consistait en de multiples puits perdus qui souillaient effroyablement la nappe souterraine (ibid.).

De plus, la Médina était un lieu de passage incessant : c’est le carrefour du Sud et nommément une sorte de grand Foundouq104. Au début du XXème siècle, une population flottante que Deverdun (1959) a évalué de 20 000 à 75 000 habitants fort mal éduqués (Wilbaux, 2001, p.33). Il faut y ajouter le bétail qu’on rentrait en ville, les files de chameaux qui la traversaient, les bourricots chargés de Teben qui volaient à tout vent

104 Dans certains pays arabes (au Maghreb, au Yémen...) : un caravansérail, « hôtellerie et entrepôt des marchands ». (Wilbaus, 2001)

(Aimel, 1919, p.63) (figure 27). Les Français ont donc saisi l’intérêt qu’offrait l’établissement sans retard de la cité nouvelle loin de la Médina, avant l’afflux des immigrants dans la capitale du Sud (ibid.).

Figure 27 : Bab el Khemis, Cliché Lennox-Collection Halfaoui,1917.

Source, maisondelaphotographie.ma (consulté en novembre 2017).

Depuis 1914, la nouvelle ville commençait à prendre forme et des commerces divers s’y installaient. Par conséquent, de nombreux notables et riches commerçants de Marrakech quittèrent la Médina. Ils s’installèrent dans les lots de terrains délimités dans la ville nouvelle (Nagel, 2014, p.55). Dès lors, le plan de Marrakech ne se limitait plus à la Médina mais le cœur de ville en 1918 reste en Médina et le Guéliz était encore peu construit. A cette date (fin des années 1910), la population de Guéliz est de 25000 presque alors que celle de la Médina avoisinait les 130000 (ibid.).

Sur le plan économique, la Médina ne représente plus le centre de la vie commerciale et industrielle. Cette vie prendra aussitôt une intensité nouvelle au Guéliz (Aimel, 1919). De nombreux entrepôts, fondouqs et usines s’élevèrent dans le secteur qui leur était réservé. La gare est devenue un centre d’attraction vers lequel dérivait peu à peu le courant commercial (Nagel, 2014, p.60). On comptait même installer un tramway reliant les deux villes pour donner la facilité d’habiter le Guéliz aux fonctionnaires et aux négociants ayant des occupations dans la ville ancienne (Aimel, 1919). Le centre de la Médina restait un centre commercial traditionnel pour les

habitants des autres quartiers qui venaient y acheter essentiellement du tissu.

En 1940, les quartiers de Guéliz avaient déjà formé le paysage d’une nouvelle ville moderne qui attirerait les riches de la Médina et les touristes étrangers. La photographie de Guéliz (figure 28) prise à la fin des années 1940 permet de témoigner de l’importance de l’évolution des rues à Guéliz.

Figure 28 : La ville nouvelle du Guéliz- vue aérienne, 1940, Moulin.

Source, maisondelaphotographie.ma (consulté en novembre 2017).

La nouvelle ville de Guéliz a favorisé le développement du tourisme à Marrakech qui a toujours représenté une des grandes curiosités de l’Afrique du Nord grâce à son atmosphère légère, sèche et salubre (Nagel, 2014). « D’octobre à mai, le climat est délicieux » dit Georges Aimel. Le Guéliz devient donc un centre d’hivernage et de tourisme avec l’installation, au milieu des jardins et de la palmeraie, des premiers hôtels de la ville et des terrains de jeux : tennis, golf, cricket y étaient aménagés. Un autobus assurait la liaison entre hôtels et portes de la Médina. Des mules et des chevaux convenablement harnachés, loués à la journée ou à l’heure, facilitaient les promenades des touristes. Enfin des cars automobiles emmenaient ces derniers à Safi, à Mogador, à Amizmiz, Tamesloht, Sidi-Rahal ou Aghmat (Nagel, 2014, p112).

A la fin du protectorat français, l’organisation spatiale de la Médina de

Marrakech n’a pas connu de changement structurel. La figure 29 tirée du guide touristique Le Routard105 des années 1970, représentant le plan de Marrakech dans la période postcoloniale, permet de retrouver les grandes figures urbanistiques de la ville.

Les souks principaux, le quartier Mouacine, le palais du Pacha, le quartier Sidi-Bel-Abbas, Bab el Khemis, Mosquée de bab Doukkala, sont clairement identifiés dans la partie nord de la Médina-intramuros. Dans sa partie sud, le palais royal du Mechouar, le quartier du Mellah, les tombeaux saadiens, bab Agnaou, le palais Bahia, dar Si Saïd, la mosquée Koutoubia, représentent les sites touristiques les plus cités à cette époque.

Figure 29 : Plan de Marrakech dans les années 1970.

Source : www.routard.com. (consulté en novembre 2017).

Avec l’Indépendance, la vie urbaine et les équipements publics ont connu une amélioration constante. Marrakech, à l’instar des autres villes marocaines, a connu

105 Le Guide du routard, parfois surnommé le GDR, est une collection française de guides touristiques fondée en avril 1973 par Michel Duval et Philippe Gloaguen, dans le sillage des back packers' guides américains.

plusieurs périodes de réorganisation spatiale et des services de base (Bencherifa, Benelkhadir, Mouline et Souafi, 2005, p5). A. Bencherifa, M. Benelkhadir, S. Mouline et M Souafi (2005, p 5) en distinguent cinq étapes. Jusqu’en 1972, la priorité n’était pas donnée à l’équipement, mais à la production, à travers de grands projets de développement agricole. A partir de 1972, et devant l’ampleur des problèmes nés de la croissance urbaine, on a privilégié l’urbain (avec une volonté de traiter le problème du logement) et négligé le rural. Ensuite, la période du PAS (Programme d'Ajustement Structurel 1983-1992) a vu un ralentissement, voire un arrêt quasi généralisé des équipements publics. De 1992 à 1998, une forte explosion urbaine a donné lieu à des périphéries urbaines sans aucune infrastructure ni équipements. Enfin, depuis 1998, un effort important a été déployé dans plusieurs directions en faveur du milieu rural (alphabétisation, en particulier des filles, construction de routes rurales, adduction d’eau potable, électrification) autant qu’en faveur des marges insalubres urbaines (programmes de restructuration et/ou de recasement).

Ainsi, Marrakech est dorénavant composée de deux entités urbaines bien distinctes séparées par les remparts ; d’un côté la Médina intramuros, de l’autre côté les différents quartiers nouveaux construits à l’extérieur des murailles. Dans leur article

« Les enjeux du végétal dans une ville du Sud : Le cas de la ville de Marrakech et la fin d'un modèle de cité-jardin », Mustapha El Hannani, Aude Nuscia Taïbi, Naïma Brabra, Sigrid Giffon, (2017, p5) distinguent les quartiers suivants selon leurs dates d’apparition (figure 30) :

- Le quartier colonial (incluant Guéliz et l'Hivernage), à partir de 1912.

- Le quartier militaire et industriel : remontant à la période coloniale.

- Les quartiers Daoudiat construits autour de l’avenue Allal Elfassi au nord de la ville : dans les années 1970 et 1980.

- Les quartiers récents construits depuis les années 1990, qui sont intégrés administrativement dans les quartiers de Guéliz et Ménara pour l'essentiel.

- Le quartier Annakhil correspondant à celui de la palmeraie.

- Le quartier Sidi Youssef Ben Ali (SYBA) : dont le noyau s’est construit à la fin des années 1923106

106 Quentin Wilbaux, La Médina de Marrakech : Formation des espaces urbains d’une ancienne capitale du Maroc », L’Harmattan, , 2001, p. 82.

Figure 30 : Evolution du bâti de Marrakech de 1900 à nos jours

Sources : Photo Satellitaire NASA, 2001 ; Mandleur, 1972 repris par El Faïz, 2002, p. 95 ; relevés de terrain 2002-2006 ; Réalisation : Leroux, 2006.

Section 2 : Gentrification et patrimonialisation en Médina

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