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Évolutions depuis le 13ème siècle : des Mérinides aux Alaouites

Le patrimoine domestique de la Médina de Marrakech : Origines, patrimonialisation, gentrification et mise en

Section 2. La Medina de Marrakech : genèse et transformations de l’espace urbain depuis sa création

III. Évolutions depuis le 13ème siècle : des Mérinides aux Alaouites

La période des Mérinides portant le nom de la tribu des Beni Merin, tribu nomade venue du Zab à l'est du Maghreb, annonce une période d'abandon et de déclin économique et culturel de Marrakech puisqu’elle a été supplantée par la ville de Fès devenue capitale des Mérinides. Ainsi, Marrakech n’a été la résidence des mérinides que pour les premières années du règne Abu Yusuf Abd Al Haq (1258 -1286), (Deverdun, 1959). Marrakech est totalement reléguée au second plan et n’a bénéficié d'aucun projet urbanistique pendant le règne mérinide. Plus que cela, la ville était livrée à la destruction et tous les monuments almohades sont tombés en ruine (ibid.).

Du point de vue urbanistique et architectural, il y a très peu de choses à dire sur la ville de Marrakech de l'époque mérinide. Les informations récoltées des sources ne dépassent pas le récit des événements politiques et les principales fondations à cette époque sont très limitées. Malgré l’apparition éparpillée de ces œuvres artistiques, le délabrement urbain et la ruine massive ont été les principales caractéristiques de la ville. En 1350, le fameux géographe et historien Ibn Batutta constate, du haut du minaret de la Koutoubia la ruine de la ville et en 1360, le célèbre vizir andalou Ibn Al Khatib ne peut que soutenir la constatation d’Ibn Batutta (ibid.).

Les Saâdiens ont pris Marrakech trois siècles après de règne almoravide, almohade et mérinide. Une fois arrivés au pouvoir en 1523-24, ils ont entamé un projet de réédification sans précédent dans la ville (Wilbaux, 2001, p. 255). Marrakech retrouve sa place de capitale rayonnante, et les zones marginalisées par les mérinides retrouvent leur importance. Les œuvres de construction et d’embellissement se développent considérablement pendant les mandats des deux fils de Muhamed As-shaykh Mulay Abd Allah al Galib (1575 - 1574) et Ahmed al Mansur (1578- 1603).

Grâce à leurs œuvres monumentales, la vie urbaine à Marrakech connait son apogée artistique70.

De nouveaux quartiers sont greffés aux alentours du noyau central, sans que le cadastre général de la ville soit défiguré et le développement commercial connait une grande croissance profitant de la stabilité politique qui régnait au Maroc, ainsi que la croissance des institutions économiques et l’annulation des taxes douanières.

Ibn Al Cadi nous rappelle que le souverain Al Mansur a encouragé le commerce

70 Deverdun, 1959, p.336.

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extérieur en enlevant les impôts sur les produits importés ou exportés, sans oublier, dans le même sens, son grand effort pour organiser et assurer les itinéraires commerciaux (Deverdun, 1959).

Sur le plan urbanistique, les Saadiens établissent de nouveaux quartiers aux alentours de l'ancien noyau vers le Nord, l'Ouest et le Sud. Cependant, le plan général de la ville conserve son aspect originel, hérité des urbanistes almoravides et almohades. L’ancien quartier de la medersa Ben Youssef fut restauré et adjoint d’une nouvelle medersa, tandis que les anciens quartiers populaires, situés à l’est, accueillirent de nouvelles populations rurales71.

En outre, de nouveaux quartiers ont été créés au nord, à l’ouest et au sud. Ils occupent le plus souvent les espaces intermédiaires entre les quartiers centraux et les quartiers jouxtant les portes de la ville. Un autre quartier a été construit à l’ouest de la cité aux environs de Bab Doukkala et serait l’œuvre de la mère d’Al Mansur, Lalla Masoûda72. Enfin, deux quartiers ont été aménagés autour des édifices religieux, l’un autour du mausolée Sidi Bel Abbas, et l’autre, autour de la mosquée sidi Ben Slimane mais la seule véritable nouveauté du paysage urbanistique est la création d’un mellah (quartier réservé aux juifs) pour répondre à la croissance de la population juive (Wilbaux, 2001, p. 260).

Sur le plan démographique, la Médina de Marrakech a connu une diversification remarquable de sa population. La population urbaine se structure selon des critères ethniques et religieux à côté de l’ancien noyau des tribus d’origine berbère (Masmouda, Sanhadja, Zenata, etc,) et arabes installés à l’époque almohade.

D’autres origines ont pris place au cœur même de la Médina, notamment les Andalous qui viennent pour la plupart de Tavernas et d’Orgiba, ainsi que de Rabat et de Salé fuyant la persécution d’Al Ayachi complice des espagnols. Ils se sont concentrés dans les quartiers de Riad Zitoun (ibid.).

D’autre part, les riches commerçants et notables de la cité investissent les riads et palais des quartiers Ksour et Mouassin. Ces quartiers se caractérisent par la richesse des maisons, des palais et des jardins implantés derrières les enceintes.

Enfin, les sub-sahariens quant à eux, avaient été engagés dans les troupes royales et résidaient dans la Casbah près du palais Badiaâ (Deverdun, 1959).

71 Raji Elillah Youssef, thèses, 1996, p.100 (cité par Wilbaux, 2001, P.260)

72 Idem.

Le commencement de grandes discordes de la dynastie Sadienne ne tarde pas à venir. L’année 1603 marque la mort d’Al Mansur et le Maroc perd son unité après plus d’un demi-siècle de gloire économique et urbanistique. Tandis que les fils d’Ahmed al Mansur se disputent le pouvoir, la guerre civile éclate dans tout le pays et amène la ruine de Marrakech qui voit l’apparition des dominations maraboutiques.

Après quelques années d’anarchie, la dynastie sadienne cède la place aux Alaouites après la mort de son dernier sultan en 1659 (Marmol, II, p. 58)73.

Après une période de morcèlement et de guerre civile, les alaouites ont réussi à réunifier le Maroc et accède au pouvoir en 1659. Le sultan Moulay Smail qui gouverna le pays pendant 55 ans (1672-1727), réorganisa le Maroc et agrandit la ville de Meknès pour y installer sa capitale (Deverdun, 1959). Il aura marqué l’histoire de Marrakech pour avoir commandé la destruction du palais Badî, en récupérant les matériaux pour ses monumentales constructions de Meknès (Wilbaux, 2001, p.278).

Marrakech redevint une ville de seconde importance. La décadence touche tous les domaines, la vie urbaine est désormais négligée par les souverains.

Il faut attendre Sidi Muhammad Ibn Abdllah (1750- 1790) pour que la ville retrouve une certaine vitalité74. La ville qu'il prenait en mains était ruinée, la belle Casbah d'autrefois, maintes fois pillée, n'était plus qu'un souvenir. Dès sa nomination, il voulut organiser la Casbah, réparer ses murs et même faire construire un palais (Devredun, 1959). Ainsi, il attela à la concrétisation des plus grandes entreprises de construction que la ville a connues, et tenta de revitaliser l’économie en introduisant de nombreux commerçants chrétiens et juifs à sa capitale. Cependant, quel que soit son impact, Marrakech demeura une ville de seconde importance.

Plusieurs raisons expliquaient le ralentissement de l’activité urbanistique et économique de la ville : le discorde et les troubles sociaux, la dégradation du commerce avec le Soudan et l’instabilité de la réglementation (ibid.). A Marrakech l’événement urbanistique le plus marquant de cette période est la construction du palais Bahia (figure 14).

73 Marmol, II, p.58, (cité par Deverdun, 1959, p. 378).

74 Mohamed Elfaiz, Les jardins historiques de Marrakech, Firenze, 1996, p.22.

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Figure 14 : Le palais de la Bahia de Marrakech, 2017.

Source : http://www.palais-bahia.com (consulté le 28 décembre 2018)

Au final, nous avons vu que pendant neuf siècles et demi d’existence, l’organisation spatiale et humaine de Marrakech s’est faite suivant une pluralité de logiques religieuse, politique et économique. Elle a passé par des périodes de glorification (Almoravides, Almohades, Saadiens et Alaouites) et d’abaissement pendant l’ère des Mérinides et le début de celle des Alaouites.

Selon Deverdun (1959), « les Almoravides n'ont pas commis l'erreur des anciens fondateurs de villes dans ce qui est aujourd'hui le Haouz ; ils n'ont pas choisi pour s'y fixer un point sur le piémont qui ne leur aurait permis d'exploiter qu'une seule voie atlasique (Aghmat et la vallée de l'Ourika ; Neffis et la vallée du Nfis).

C'est parce que Marrakech n'était pas exactement sur le Dir que la ville, une fois fondée, a pu exploiter toutes les voies de la façade septentrionale du Haut-Atlas et, en même temps, contrôler la route de piémont qui les reliait entre elles, et qui allait vers l'océan à l'ouest et, au nord, vers les grandes villes de l'Islam ».

Le site de Marrakech n’est, donc pas, un défi porté à la nature, car il est raisonnable de croire que ceux qui l'ont choisi savaient ce qu'ils faisaient et c'est un des secrets de sa réussite (Deverdun, 2001). Les virtualités du lieu choisi ont été convenablement exploitées par les Almoravides. Ils ont su valoriser les avantages d'une position qui répondait à leurs besoins et à leurs buts et faire persister des habitudes acquises à la faveur des circonstances historiques.

Il est important de souligner, également, que le plan almoravide s'est conservé jusqu'à nos jours (Deverdun, 1959). Marrakech ne vient pas du fond des âges comme Tlemcen ou Tanger, ce n'est pas une ville antique transformée par l'Islam, mais bien une des créations les plus authentiques de ses bâtisseurs musulmans (Wilbaux, 2001).

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Section 3 : L’habitat en Médina de Marrakech et le développement du modèle « riad »

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