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Terrain de recherche : la Médina habitée par le touriste

Section 2 : Gentrification et patrimonialisation en Médina depuis l’indépendance

II. Autour de la mise en patrimoine et en tourisme de la Médina et de son patrimoine domestique :

2- A propos de la mise en tourisme de la Médina :

Parallèlement au mouvement de valorisation du patrimoine, des géographes, urbanistes et économistes mettent l’accent sur la mise en tourisme de Marrakech. R.

Widmer-Münch (1990) compare les possibilités de développement touristique avec ceux de Fès qui semble bénéficier d’une assise économique, politique et culturelle plus solide. M. Zaïd pose le tourisme comme enjeu fondamental pour le développement régional et de rééquilibrage du territoire national (1992). Par ailleurs, A. Hanbali compare le potentiel touristique de Marrakech à celui d’Agadir (1994) et pense que plutôt que de se positionner de façon concurrentielle, la ville devrait jouer sur sa complémentarité avec d’autres : la mer pour Agadir et la montagne pour Marrakech, paysage urbain moderne pour l’une et paysage urbain historique pour l’autre.

Dans ce sens nous citons J.-F. Troin qui écrit « Capitales impériales historiquement puissantes, villes-relais du commerce national et de l'ancien commerce international, Fès et Marrakech ont vu leur rôle décliner au profit des cités de l'Atlantique (Casablanca et Rabat-Salé) au début du XXème siècle. La bourgeoisie urbaine de Fès a pourtant permis à cette dernière de conserver un rôle économique national (commerce de gros, industries), tandis que Marrakech ne conservait qu'une fonction régionale (pôle d'attraction des ruraux et des produits de la campagne) et développait une activité touristique, certes internationale, mais très dépendante de l'extérieur et peu productrice de ressources locales » (1995, p.149)

Si au début des années 1990, les propos scientifiques sont fréquemment centrés sur le tourisme dans l’espace la Médina de Marrakech (Coslado, 2015, p. 67) et comme étant réservé aux catégories aisées européennes (voire à une certaine jet-set) (Matthieussent, 1984), c’est à partir du milieu des années 1990 que ce phénomène s’est démocratisé et a considérablement « augmenté » avec l’arrivée des chaines hôtelières et des voyagistes français qui a largement profité à la ville. En guise d’exemple, plusieurs observateurs pensent que l’installation de FRAM en 1977 a cassé les prix de la

destination Marrakech133 et a considérablement fait augmenter le nombre de séjours notamment à travers les formules « all inclusive ».

La Médina de Marrakech a pu bénéficier de cette tendance d’évolution et voit arriver de plus en plus de touristes dans son espace. Le patrimoine a toujours été au cœur de l’intérêt des touristes et des voyagistes pour la Médina et plusieurs formules de circuits ont été créées et proposées par les agences de voyages locales afin de faire découvrir ses différents aspects patrimoniaux et culturels. De plus, l’aménagement d’une centaine de riads-maisons d’hôtes par des étrangers (cf. chapitre 4) a permis aux touristes de vivre des séjours touristiques dans des structures traditionnelles en plein cœur des quartiers intramuros et au milieu de la population marrakchie.

Cependant, cette ouverture de la Médina et de son bâti au tourisme n’est pas toujours simple à admettre. Des universitaires marrakchies comme A. Skounti, R.

Bousta, O. Tebaa M. El Faiz tirent la sonnette d’alarme quant aux impacts de cette ouverture non-cadrée au tourisme sur le patrimoine de Marrakech et regrettent que la mise en valeur du patrimoine bâti soit essentiellement d’initiative étrangère et non pas locale. La géographe A.-C. Kurzac-Souali, estime que la sauvegarde de l’espace historique, qui s’opère principalement par l’achat de maison ancienne par des étrangers, s’avère indéniablement sélective (2006). En outre, pour V. Gatin la valorisation du patrimoine bâti et oral s’accompagne d’une production par les élites marocaines et internationales de discours teintés d’idéologies tantôt « progressistes » tantôt « culturalistes » qui tendent à camoufler le poids des intérêts économiques dont ils sont eux-mêmes, pour partie, les fervents défenseurs et les bénéficiaires (Gatin et Choplin, 2010).

La requalification/patrimonialisation, élitiste soit elle, est donc souvent considérée comme une mise en vitrine de la ville. Pour l’urbaniste I. Ernst, ce phénomène tend à la « virtualisation dans le présent d’un passé révolu et à établir une prévalence du symbolique sur le matériel ». L’auteure considère que, à Marrakech, les autorités urbaines usent et abusent de ce procédé de virtualisation dans leurs options d’aménagement, leurs politiques patrimoniales, les actions culturelles, etc. (Ernst, 2003 et 2006).

A. Madoeuf montre, quant à elle, dans un comparatif des discours sur les ryads

133 Selon les propos du directeur de l’opérateur touristique « Voyageur du Monde Maroc », lors d’un entretien réalisé en février 2007 (L’Econmiste, 2007)

à Marrakech et les ryokans à Kyoto que ces procédés sont également utilisés par les tours opérateurs et propriétaires des maisons d'hôtes qui initient de vastes opérations « d'artificialisation et de mise en scène du patrimoine résidentiel » (2010). De fait, M.

Berriane considère qu’on associe trop facilement le tourisme à l’étranger européen et montre que le tourisme marocain prend de plus en plus d’ampleur (Berriane, 1990 et 2009). Dans ce sens, plusieurs analyses montrent que le tourisme à Marrakech a créé un mouvement d’intérêt pour l’achat de résidences secondaires par les Marocains des autres villes du Maroc ainsi que les Marocains résidents à l’étranger (MRE) (Madoeuf, 2015)

Selon I. Ernst, le « paysage de Marrakech », tant célébré par les écrivains et les peintres, est toujours « le plateau idéal pour la mise en scène de la ville ». Les politiques touristiques et urbanistiques s’avèrent « être un succédané du projet colonial dont la volonté était de proclamer définitivement le rôle et la fonction de la ville rouge : tourisme, loisir, plaisir et flânerie » I. Ernst (2006).

Il parait que les politiques urbaines adoptées à Marrakech sont considérées par de nombreux observateurs comme anachroniques. Elles ont poursuivi la vision coloniale aux colorations orientalistes, tout en s’adaptant au modèle contemporain de « ville globale » à travers l’exagération du vernaculaire et la construction d’un discours officiel dont la rhétorique s’appuie fortement sur le sentiment national et l’identité collective (Coslado, 2015, p. 7 3).

P. Festy et Y. Courbage (chercheurs-démographes à l’INED), M. Sebti et A.-C.

Kurzac-Souali (2009) soulignent dans leur ouvrage consacré à la « géo-démographie de la ville rouge » que la présence d’un marché parallèle de l’emploi appartiendrait à la tradition séculaire de la ville, due à l’activité artisanale du souk et au commerce ambulant, particulièrement à la place Jemaâ El-Fna. Ces activités se sont accrues, nous disent les auteurs, en raison de l’essor du tourisme et du réaménagement des riads de la Médina. Selon eux, le développement du tourisme serait le principal facteur explicatif des transformations urbaines récentes. (Coslado, 2015, p. 7 3).

3- Le riad et le riad touristique : raisons du succès et revalorisation par le

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