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Connexion à l’espace mondial, expansion urbaine et mobilités résidentielles à Marrakech,

Terrain de recherche : la Médina habitée par le touriste

Section 2 : Gentrification et patrimonialisation en Médina depuis l’indépendance

I. Gentrification de la Médina et expansion urbaine à Marrakech depuis l’indépendance :

2- Connexion à l’espace mondial, expansion urbaine et mobilités résidentielles à Marrakech,

Si dans les années 2000 et 2010, Marrakech se trouvait sur le devant de la scène nationale, c’est aussi grâce à la volonté politique de faire du Maroc une grande destination touristique. Les plus hautes autorités du pays ont mesuré l’importance que le tourisme prend dans les échanges mondiaux et dans l’économie marocaine (Duterme, 2009). Le gouvernement a mis en place en conséquence une stratégie de développement touristique dont l’objectif ambitieux est d’élargir l’offre touristique. Pour ce faire, il s'agissait de faciliter les formalités administratives et l’accès au crédit pour les investisseurs étrangers et marocains.

Toutefois, la Médina ne répondait pas aux conditions d’une activité touristique moderne du fait de l’état de dégradation où se trouvaient ses quartiers (Sebti et al., 2004).

Déjà en 1985, « la surpopulation a guetté ces espaces, dit M.Sebti (2004), et une

«taudification» due au surpeuplement a dégradé ses quartiers anciens ». De plus, ces derniers ne sont pas raccordés aux réseaux d’assainissement, d’eau potable et d’électricité.

En conséquence, Marrakech a concentré à elle seule, pendant la période 2003-2007, 72 % des investissements touristiques du Maroc119. En effet, de grands projets complexes touristiques de luxe (hôtels de luxe et palaces) et de projets de « résidentiels touristiques »120 sont lancés. Par exemple, le projet résidentiel touristique Jawhar Hôtel Spa et Résidences initié par le Prince Albert II de Monaco121 s’adresse aussi bien à des touristes qu’à des personnes désireuses de placer des capitaux dans une résidence secondaire, louée par une agence touristique une partie de l’année. C’est le cas, également, de l’Atlas Golf Resort (Coslado, 2015).

119 Des investissements qui sont supérieurs à 200 millions de DH. Bilan des investissements 2003-2007, CRI Marrakech des investissements qui sont supérieurs à 200 millions de DH

120 C’est-à-dire des projets immobiliers à « coloration » touristique qui conjuguent espaces résidentiels et services dédiés aux loisirs et à l’hôtellerie (Elsa Coslado, 2015).

121Source : « SAS le Prince Albert II de Monaco pose la 1re pierre à Marrakech », Le Matin, 09/11/2009).

Par ailleurs, Marrakech a attiré une grande partie de l’effort de promotion publicitaire de la « destination Maroc », réalisée par l’Etat. En 2009, 45% du budget réservés par le ministère du Tourisme (estimé à 300 millions de DH) pour renforcer la promotion et la communication institutionnelle du pays profitaient à la seule ville de Marrakech122. Un « travail » d’images et de « city branding » opéré par les organismes officiels de Tourisme, autour du « produit Marrakech », participe d’un marketing urbain pour la ville123 qui vise à lui donner une ample visibilité sur ses marchés préférentiels.

En plus, l’office national marocain du Tourisme (ONMT) consacre à la ville de Marrakech une stratégie marketing ciblée et « sophistiquée ». Il vise à étendre son champ d’action aux activités culturelles internationales pour favoriser leur déroulement à Marrakech. Par exemple, le Festival international du film de Marrakech créé, en 2001, et Marrakech du Rire créé en 2011, ont bénéficié d’une part non négligeable de sa contribution financière et plusieurs publicités à l’étranger sont mis en place pour le valoriser. Ces publicités mettent en lumière plusieurs lieux patrimoniaux de la ville, dont notamment celui de la place Jamaâ El-fna au centre de la Médina. (Figure 32)

Figure 32 : Exposition de film à la marge du Festival International du Film de Marrakech, Scène de Jamaâ El-Fna, 2018.

Source : http://www.festivalmarrakech.info (consulté en mars 2018).

122« La saison en proie à la crise », Arabies, juillet-août 2009.

123Y participe également l’industrie (privée) du tourisme qui diffuse ses propres supports publicitaires sur l’offre touristique située à Marrakech ; et y participe aussi l’UNESCO, la ville de Marrakech, les chercheurs en sciences sociales et les passionnés

Au niveau du réseau routier local, depuis les années 1990 et sous les recommandations de la Banque Mondiale (rapport de 1995) et l’encouragement aux investissements directs étrangers dans de nombreux secteurs de l’économie du royaume et en tête celui du tourisme (Kurzac-Souali, 2011), la ville de Marrakech a connu une évolution considérable tant au niveau de sa connexion à l’espace mondial qu’au niveau de son réseau routier et de ses mobilités résidentielles. La création des CRI (Centre d’Investissement Régionaux), le développement d’avantages fiscaux, une libéralisation mesurée du transport aérien et du ciel marocain et la réalisation de plusieurs projets de développement du réseau routier local ont largement soutenu cette démarche.

Ainsi, Marrakech a connu un retournement de situation politique et économique en sa faveur révélant le changement de place qu’occupe cette cité dans la maille des intérêts nationaux et principalement dans le secteur du tourisme. Les orientations des différents acteurs et représentants du pouvoir de niveau national et local en témoignèrent : l’institution royale, le ministère de l'Habitat, l’ONCF124, l’ONDA125, le ministère du Tourisme, ONMT, ministère de l’Habitat, Groupe Al Omrane126 et le ministère de l'Intérieur en la personne du wali se sont mobilisés pour faire de la ville un vrai pôle touristique et levier de développent de l’économie régionale.

La première orientation était de connecter physiquement Marrakech aux aires métropolitaines du nord du Maroc. Plusieurs chantiers sont réalisés : la finition, en avril 2007, de l’autoroute entre Marrakech et Settat (reliée à l’autoroute de Casablanca), de la gare centrale (inaugurée en septembre 2008) et la rénovation de gare ferroviaire127 située sur l’avenue Mohamed VI en 2008 (figure 33). De plus, la construction d’un nouveau terminal à l’aéroport international(inauguré officiellement le 21 mai 2016)128

124 Office national des chemins de fer.

125 Office national des aéroports.

126 Premier opérateur d'aménagement et de l'habitat au Maroc.

127 Annoncée comme une « allégorie clairement dédiée à la porte et à la Palmeraie voisine », cette gare est présentée dans la presse comme « le nouveau fleuron de l’architecture [qui] manie une écriture contemporaine qui se veut tirer parti du savoir-faire du passé et du présent d'un Maroc résolument moderne. Le coût global de sa réalisation est estimé à 120 millions de dirhams. Cette nouvelle gare s’étend sur une superficie de 25000 m², regroupant un grand parking extensible de 4000 m² d’une capacité de 160 places plus une capacité future de 300 places. Egalement, ce nouvel édifice ferroviaire abrite un hall pour les voyageurs au rez-de-chaussée qui est d’une superficie de 1250 m², une grande salle d’attente, plusieurs guichets de billetterie, d’accueil et d’information, une magnifique esplanade s’étalant sur 5000 m², et une galerie commerciale abritant des enseignes de renom, s’étendant sur 2 niveaux d’une superficie totale de 2800 m². » Communiqué de presse, Prat Structure-SA, 2008.

128 Ce projet a nécessité un investissement global de 1,22 milliard de DH. Il est doté d’équipements technologiques de pointe répondant aux exigences internationales en matière de sûreté, de sécurité et de qualité des services, et d'une architecture optimisant les espaces pour une gestion fluide des passagers. […] Il assure à lui seul une capacité d'accueil de 6 millions de passagers et porte ainsi la capacité globale de la nouvelle structure aérienne à 9 millions de passagers. Il se dote dorénavant d'une extension de son parking avion pouvant accueillir 12 avions long courrier

(figure 34) a favorisé une meilleure connexion de la ville à l’espace mondial. En 2018, l’aéroport de Marrakech-Menara est classé comme deuxième aéroport du Maroc en enregistrant 5 279 575 passagers (soit 24% de l’ensemble du trafic des passagers dans les 13 aéroports du royaume)129 derrière le hub de Casablanca Mohamed V (50 %) et devant celui d’Agadir Al Massira (9 %). Le nombre de dessertes et de fréquences a considérablement augmenté pour assurer une meilleure connexion directe à l’Europe par les services de la compagnie nationale Royale Air Maroc et par les vols des compagnies charters (Ryanair, Easyjet, TUI Fly, Transavia, Aiarabia…). La baisse des coûts des transports a également a créé une augmentation importante du nombre d’entrées de visiteurs d’origines plus variées et l’accroissement des courts séjours.

Figure 33 : Hall de la gare ferroviaire de Marrakech.

Source : page officielle Facebook, Gare Ferroviaire Marrakech, 2010.

supplémentaires. (Medias24, 21 mai 2016)

Figure 34 : L’entrée du nouveau terminal 1 de l’aéroport de Marrakech. 2009.

Le développement de l’infrastructure routière et la connexion de la ville à l’espace mondial ont créé une forte dynamique urbaine. La « dé-marginalisation » de Marrakech (Coslado, 2014), marquée par une plus nette inscription de la ville dans le territoire et l’économie nationaux et mondiaux, s’est accompagnée d’une augmentation sensible des superficies urbanisées dans toutes les zones situées aux environs de Marrakech (figure 35). En effet, les terrains du centre-ville et du péricentre étant déjà̀

saturés, le pourtour de la ville a connu une pression extraordinaire.

Des études des espaces du pourtour de Marrakech montrent que l’étalement urbain serait attribuable aux opérations réalisées pour construire des complexes touristiques. Selon une estimation réalisée par le Centre Régional d'Investissements (localisant « les grands investissements »), les deux tiers des grands projets d'investissements touristiques (supérieurs à 200 millions de DH) se trouvent dans ces zones d’extension urbaine, en périphérie de Marrakech (Centre régional d’investissement, 2004). Cela s’expliquerait par l'entendue de l’assiette foncière nécessaire pour des opérations qui comportent des golfs, des piscines, des terrains de tennis, etc.

Figure 35 : L’explosion récente de l’étalement urbain entre 1912 et 2010.

Source : Agence urbaine de Marrakech, 2010.

En conséquence, avec le développement de la ville, plusieurs mobilités résidentielles sont fortement constatées. M. Diamane (1997), met en évidence le phénomène de déménagements d’une population appartenant, selon lui, à une « classe moyenne émergente ». Celle-ci quitte la Médina pour vivre dans les quartiers péricentraux de Marrakech (Daoudiet, Azli, Assif, Massira, Amerchich, …). (Figure 39).

M. Diamane montre, dans sa thèse, qu’ « à partir des années 1980, le mouvement de départ de la bourgeoisie de la Médina, enclenché à l'Indépendance, s’est lentement propagé - par mimétisme des familles bourgeoises et par nouvelles nécessités (exigence en termes de confort du logement principalement) – à une population faisant partie « des milieux traditionnels » et moins à son aise financièrement ». (Coslado, 2015, p. 62).

Dans ce sens, nous verrons (cf. chapitre 6) comment l’étude qualitative que nous avons menée dans le cadre de cette enquête confirme bien que les motifs des déménagements enregistrés vers la périphérie sont d’ordre économique et social. En plus du surpeuplement de la Médina, la mise en tourisme de ses espaces ainsi que les opportunités économiques et le confort résidentiel offerts par les quartiers nouveaux ont réussi à attirer une bonne partie de la population de la Médina.

Le géographe J.-F. Troin (2002) ayant étudié la structure urbaine de Marrakech suppose que la ville rouge est composée de « plusieurs villes ». La première ville dont parle J.-F. Troin est la Médina, la deuxième est la ville coloniale fondée sous le protectorat (comprenant le Guéliz et l'Hivernage). Une autre ville est « la Palmeraie », composée de vastes et nombreuses […] centres de vacances […] (restaurants, commerces, golfs, piscines, terrain de tennis, équipements de loisirs, etc.).

Actuellement, les nouvelles zones résidentielles des classes moyennes sont situées soit au nord de la ville (Daoudiat, Hay Al-Mohammadi, Issil ...), soit dans l'immense lotissement encore en expansion d'Al Massira, ou celui du Al Mhamadi à l à l'extrême ouest. Au sud de la Médina, le grand quartier Sidi Youssef Ben Ali est plutôt perçu comme un district pauvre malgré le développement de nouveaux lotissements destinés à la classe moyenne en juxtaposition des remparts. (Figure 36)

Figure 36 : Marrakech, les villes dans la ville (d’après Troin, 2002).

II. Autour de la mise en patrimoine et en tourisme de la Médina et de son

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