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Typologie des frontières nord ivoiriennes

DEUXIEME PARTIE

N. B : (1) Valeur des exportations de la Côte d’Ivoire en direction du Ghana (2) Valeur des exportations de la Côte d’Ivoire en direction de la Guinée,

II.4 Typologie des frontières nord ivoiriennes

Les trafics transfrontaliers officiels existent malgré l’inégale répartition des infrastructures et des systèmes de transports. Ils sont importants avec les deux pays sahéliens d’une part, relativement importants avec le Ghana d’autre part et très embryonnaires avec la Guinée. L’existence de ces différents trafics et mouvements aux frontières de la Côte d’Ivoire illustre bien les degrés de relation qui lient les espaces transfrontaliers de manière officielle. Avec la Guinée, le manque d’infrastructures de communication empêche les échanges dits officiels, de se dérouler et de connaître un dynamisme. Cette situation laisse le champ libre à un commerce informel et de contrebande qui se développe loin des regards de l’Etat central par le biais des marchés frontaliers. Le commerce, même s’il connaît un dynamisme avec les autres Etats, est loin d’être à la hauteur des espérances. Plusieurs raisons justifient ce bilan :

- corruption des agents de sécurité et de l’ordre sur les couloirs de transports, - insécurité et, depuis septembre 1999, instabilité politique en Côte d’Ivoire, - manque de confiance entre les autorités politiques des différents Etats, - préjugés relatifs à la qualité des produits autres qu’ivoiriens

176 A partir de ce constat, nous distinguons trois cas d’espaces frontaliers qui nous paraissent intéressants à analyser :

- frontières vivantes - frontières vivifiées - frontières mortes

II.4.1 Frontières ivoiriennes : frontières vivantes, frontières mortes Les espaces frontaliers que nous considérons comme des frontières « vivantes » sont des espaces qui connaissent et supportent d’importantes activités d’échanges officiels. Ce sont des frontières par lesquelles transitent d’importants couloirs de passages routiers. A partir de ces couloirs de transports routiers, les localités enclavées se trouvent arrimées à la fois à des espaces de production, d’approvisionnement et de consommation.

Les frontières vivantes sont au nord, avec le Mali (Tiefinzo-Manakoro, Zégoua-Pogo et Nigouni-Gonkoro), le Burkina Faso (Lalébra-Niagoloko) et à l’est, avec le Ghana (zone de Soko-Sampa), où se déroulent d’importants trafics, comme le commerce du bétail, de poissons séchés, de produits fruitiers, de produits manufacturés et agricoles, acheminés en général par voie routière en assez bon état et par chemin de fer. Ces flux mettent en relation les villes de Bougouni et d’Odienné, de Tingréla et de Bougouni, de Sikasso et de Korhogo dans le cas de relations ivoiro-maliennes. Les villages-entrepôts Malinké qui s’étalent le long de la frontière entretiennent des relations mais aussi avec les villes et bourgades de la Côte d’Ivoire et du Mali, telles que Pogo et Zégoua.

Les relations commerciales ivoiro-burkinabé se font par les villes de Korhogo et de Bobo-Dioulasso, et à une échelle moyenne, par les bourgades de Ouangolodougou et de Niagoloko ; à la frontière ivoiro-ghanéenne, entre la ville de Bondoukou et celle de Kumasi au Ghana par l’intermédiaire du bourg de Sampa.

A ces espaces frontaliers dits vivants, nous opposons les frontières mortes. Elles ont vu le jour entre le Mali, le Burkina Faso, la Guinée et la Côte d‘Ivoire depuis le 19 septembre 2002. Autrefois espaces à forte intensité d’échanges officiels, elles voient apparaître des « échanges non officiels ». Il faut préciser qu’il ne faut pas voir ce terme de frontière morte sous l’angle géopolitique, qui fait référence à des frontières de non-guerre et de paix établie. Il faut plutôt faire référence aux échanges entre territoires, à travers leurs espaces transfrontaliers. Le cas ivoirien sied parfaitement à cette situation qui trouve son explication

177 dans l’insécurité due à la circulation des hommes en armes dans le Nord ivoirien, ce qui ne permet plus d’échanger avec la Côte d’Ivoire. Ainsi les populations, pour survivre, organisent des échanges informels avec les autres Etats, sous le regard bienveillant des chefs rebelles ivoiriens qui occupent la moitié nord du pays. Les produits provenant du Mali, de la Guinée et du Burkina Faso envahissent maintenant ces espaces, pour l’essentiel des hydrocarbures, des produits pharmaceutiques et laitiers, des produits industriels de consommation courante. En retour, les produits d’exportation du Nord ivoirien sont acheminés par les mêmes acteurs vers ces Etats pour la vente ou pour leur évacuation vers les ports du Ghana et du Togo via le Mali et le Burkina Faso. C’est le cas du coton, des noix de cajou et des agrumes (mangues, oranges, citrons).

II.4.2 Frontières vivifiées

Les portions de l’espace que nous considérons comme frontières vivifiées, sont les territoires avec des relations commerciales dominées par les échanges de proximité très « informels, opaques », à travers un réseau de marchés frontaliers périodiques. Ces échanges se font pour la plupart sur des territoires qui ne connaissent que peu d’activités, peu de relations d’échanges et ne sont reliés à d’importants centres urbains que par un réseau routier de moindre qualité et à praticabilité réduite. Ces frontières vivifiées sont localisées entre la Côte d’Ivoire et la Guinée. Les échanges se font à travers les localités rurales frontalières, généralement très éloignées des villes pouvant animer le commerce. Les populations essaient de s’organiser pour assurer leur quotidien et leur survie. Avec la Guinée à l’ouest, quelques trafics de proximité existent entre villages enclavés de part et d’autre de la frontière, à cause de l’existence du différentiel de zones monétaires contiguës et de l’écart grandissant entre les niveaux de vie des deux pays.

Le développement des échanges de proximité informels est ainsi favorisé. Le bourg de Minignan en Côte d’Ivoire entretient des relations avec celui de Bougoula en Guinée. Ces relations d’échanges se font sur une route à viabilité incertaine par temps de pluie. Malgré cet obstacle, les populations essaient de créer une vie de relation.

178 Conclusion

Au terme de ce chapitre, il est important de noter que les produits échangés, agricoles, manufacturés et pétroliers, portent sur une gamme variée, avec des volumes différents selon l’intensité des relations qui lient les territoires. Historiquement, l’essentiel des échanges se déroulait autour de la cola, dans le sens sud-nord et en sens inverse, autour du poisson séché et du sel gemme. Ce type de commerce s’apparentait à une économie de troc.

Aujourd’hui, les transactions commerciales se font entre les différents territoires en « transgressant » les frontières des Etats au quotidien et proposent de nouveaux produits ajoutés à ceux de jadis. Les volumes échangés aux frontières restent d’un niveau faible malgré la politique d’ouverture de la Côte d’Ivoire favorable aux échanges.

De ces échanges entre les territoires, résultent un développement des activités de transit à partir des postes frontières et un dynamisme de certaines régions frontalières. Les différents aspects des espaces frontaliers que nous venons d’analyser en témoignent. Néanmoins, à travers ce modèle ivoirien, nous remarquons que les échanges commerciaux jouent plusieurs rôles, selon qu’ils sont de proximité, de courte ou de longue distance. Le rôle de stock régulateur permet aux Etats de compter sur leurs voisins, pour régler en partie leurs difficultés à faire face aux besoins alimentaires ou financiers de leur population vivant sur les marges territoriales. Cela témoigne du degré de dépendance réciproque, voire de complémentarité des Etats. Ils se sont tous greffés les uns aux autres par le biais des espaces frontaliers, qui diffèrent selon l’intensité de leurs échanges. L’existence de frontières mortes, vivantes et vivifiées apparaît. Ces types de territoires se sont développés respectivement entre la Côte d’Ivoire, le Mali, le Burkina Faso, la Guinée et le Ghana, sur lesquels s’organisent à différentes échelles des transactions commerciales.

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