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PREMIERE PARTIE

II. LES MARQUES DE L’HISTOIRE

II. 3. Aires de peuplement et organisation socioculturelle des peuples vivant sur les marges territoriales

II.3.2. Les Koulango

Entre la Comoé et le Burkina Faso, s'étend le domaine des Koulango. Ces derniers demeurent presque tous en Côte d'Ivoire, en dehors de quelques villages au Ghana. Il faut leur rattacher les Zazère et les Namboy du Comoé, ainsi que les Loron, qui représentent leur noyau originel, et même les Tegesie ou Loron-Lobi, dont la langue est très proche, bien que leur culture et leur civilisation soient du type lobi. D'autres Loron, que l'on trouve dans un village du pays Pallaka, où ils parlent une langue spéciale, et à l'état de caste dans le centre du pays Sénoufo, paraissent assez différents. Le domaine des Koulango est très hétérogène, s'étendant largement dans la savane au nord et pénétrant profondément en forêt vers le sud.

Leur culture et leur civilisation ne sont pas moins diverses, ce qui témoigne d'une histoire heurtée et complexe. Koulango (pluriel Koulam) signifie sujet, vassal, et paraît avoir été donné par les princes Dagomba qui organisèrent le royaume de Bouna vers 1600. Dans le passé, ces gens s'appelaient Loron et leur domaine s'étendait largement dans l'actuel territoire voltaïque.

Leur société sans État s'est trouvée profondément transformée par les nouveaux venus. Ils ont alors commencé à organiser des petites chefferies, comme Nassian et Barabo, et à pénétrer en forêt. Vers la fin du 17ème siècle, ceux du Sud ont alors été conquis par des Akan, les Abron refluant devant la pression des Ashanti.

56 Dans le cadre du royaume abron, les Koulango ont été étroitement asservis, mais ils sont restés des paysans énergiques et prolifiques, qui forment la masse de la population et dont la langue a été adoptée par les vainqueurs. Dans le nord au contraire, les Koulango, liés aux princes de Bouna, ont perdu tout dynamisme et ont connu au 19ème siècle une décadence démographique de plus en plus rapide. Celle-ci a été aggravée par la pression des Lobi et par les Birifor, qui ont littéralement submergé le pays et réduit les Koulango à l'état de minorité, même dans la ville de Bouna qui fut finalement détruite par Samory en 1896.

Le pays Koulango est faiblement peuplé. Les villages y sont partout très petits. Les résidences des chefs étaient fortifiées, comme la ville de Bouna. La case ronde domine dans le nord mais tout le sud a adopté la grande maison à impluvium de tradition Akan, importée par les Abron. Les Koulango sont organisés en lignages matrilinéaires (bin), unis par des mariages patrilocaux. Ce trait paraît bien ancien et il est commun à beaucoup de peuples voltaïques, mais il a été masqué à Bouna par la dynastie d'origine Dagomba qui a importé un système de succession patrilinéaire.

Le caractère peu étendu des villages Koulango (bango) s'explique en partie par la volonté de chaque lignage de vivre replié sur lui-même.

Dans leur religion, le culte des ancêtres est nettement éclipsé par celui des esprits de la nature, qui s'exprime par des sociétés "secrètes", chargées de l'initiation et dont les masques sont la principale réalisation de l'art koulango. L'agriculture koulango est partagée entre la savane, où dominent le mil et le maïs, et la forêt, où tout repose sur l'igname et la banane. Le coton était cultivé partout. Aujourd’hui cette culture a fait place à celle de l’anacarde. L'élevage était médiocre ainsi que l'artisanat. Le tissage était souvent le fait des minorités dioula ou mossi. Les forgerons achetaient le fer surtout chez les Lobi. Traversé depuis le 14ème siècle par les routes de l'or, le pays était le théâtre d'un commerce important, que les Koulango abandonnaient entièrement aux éléments Dioula.

II.3.3 Les Lobi et leurs voisins

Nous rencontrons sur la bande de savanes sèches qui s'étend du nord de Bouna au sud du Burkina Faso les Tégésier, les Lobi et les Birifor.

Les Tégésier ou Loron-Lobi posent un problème particulier, parce qu'ils parlent un dialecte koulango, bien que leur civilisation soit identique à celle des Lobi. Il doit s'agir d'un mélange de Loron ayant imposé leur langue aux nouveaux venus dont ils adoptaient la civilisation et d'immigrants ayant adopté la langue des autochtones sans changer de culture.

57 Les Lobi, ou plus exactement les Lowilisi, parlent une langue voltaïque originale, et leurs voisins de l'Est, les Birifor, à cheval sur la Volta Noire, pratiquent un parler mossi.

En Côte d'Ivoire, ils sont respectivement plus de 25 000 et 3 000, mais le gros de leurs effectifs se trouve au Burkina-Faso. Lobi et Birifor sont originaires de l'Est de la Volta Noire (Nord Ghana) d'où ils sont venus en vagues successives depuis le 18ème siècle, submergeant un très léger peuplement koulango. Ces paysans absolument sans chefs, mais prolifiques, guerriers et excellents cultivateurs, ont poursuivi cette expansion irrésistible pendant l'ère coloniale. Les peuples du "hameau lobi" occupent leurs savanes sèches avec des densités relativement fortes. Le fait remarquable est l'absence totale de villages.

Leur habitat est dispersé, constitué de grandes maisons isolées qui couvrent tout le paysage. L'architecture à toits en terrasse est en contraste total avec la case ronde soudanaise. Ces peuples sont organisés en grands lignages matrilinéaires, unis par des mariages patrilocaux et regroupés en quelques grands clans (tyar, balo).

Ces clans dispersés dans l'espace sont divisés en moitiés rituellement opposées. En l'absence de villages, l'unité politique est le lignage.

Le seul élément de paix sociale était la neutralité des marchés, toujours situés dans des lieux déserts. Dans cette société sans chefs, et égalitaire au niveau des lignages, il y avait cependant des esclaves, propriété des patriarches, mais en assez petit nombre. Les castes étaient inconnues.

Les Lobi et leurs voisins sont d'excellents agriculteurs qui se consacrent essentiellement à diverses cultures dont le mil et le maïs. Ils sont de bons forgerons et ont une grande tradition d'orpaillage. La recherche de l'or était même le seul élément qui entraînait le commerce à longue distance dont les Dioula étaient les acteurs. En revanche, le tissage était inconnu.

II.3.4. Les Mandingues

On emploie le nom conventionnel de Mandingue pour désigner l'ensemble malinké- bambara-dioula qui constitue le noyau du monde mandé. Il n'y a pas ici trois langues, ni trois peuples, mais une seule ethnie dont l'unité est remarquable, en dépit de différences régionales qui sont naturelles si l'on considère l'immense espace occupé de la Casamance à l'ouest voltaïque, et du Sahel aux rives du Bandama. Le développement de ce grand peuple est lié à l'empire médiéval du Mali, si bien que son berceau ne se trouve pas sur le seul territoire ivoirien, où certains de ses éléments se sont cependant installés très tôt.

La différence entre Malinké et Bambara est presque uniquement d'ordre dialectal et ceux-ci n'apparaissent en Côte d'Ivoire que dans quelques villages entre Odienné et Tengréla.

58 Les Dioula posent des problèmes bien plus complexes. Dans le monde mandingue proprement dit, c'est-à-dire à l'ouest de la frontière linguistique des Sénoufo, le terme désigne simplement, depuis des siècles, le groupe professionnel des commerçants. Plus à l'est, c'est-à- dire dans le monde voltaïque, il désigne la minorité commerçante, musulmane et parfois guerrière, que la langue et la culture mandingue isolent de la masse paysanne animiste. C'est aussi chez eux que l'on rencontre quelques îlots attestant l'existence d'une vague mandingue plus ancienne comme les Hwela, Ligbi et Noumou.

II.3.5. Les Malinké

Les Malinké et Bambara occupent l'extrémité nord-ouest de la Côte-d'Ivoire et aussi, plus au sud, une large bande s'étendant jusqu'au Bandama. Il faut leur rattacher les Foula. Ceux ci sont des éléments d'origine peule, comme l'attestent leurs noms de clan et leur amour du bétail, mais ils se sont fondus depuis des siècles parmi les paysans bambara, dont ils parlent la langue et partagent la culture. Cette région a été initialement peuplée par des Sénoufo dans le Nord, des Kweni (Gouro) et des Dan dans le Sud. Elle a été traversée très tôt par des routes méridiennes allant des pays producteurs de kola, dans le Sud, vers le Niger où les noix sont consommées. Au 16ème siècle des Dyomandé, ou Kamara, clan dominant du Konyan (Beyla, Guinée) occupent le Maou, actuel pays de Touba, où les Dan sont assimilés ou réduits à l'état d'îlots.

Le Toron, proche de Kankan, étend ses frontières jusqu'à la région d'Odienné, d'où les Sénoufo seront définitivement expulsés au 17ème siècle par le royaume bambara du Nafana. Établissant un contrôle sur les marchés de kola frontaliers des Kweni, les Malinké traversent le Sassandra vers 1600, colonisant le Ouorodougou (pays de kola) de Séguéla et le Koyara de Mankono. Ils fondent alors le vieux centre de Boron et des lignages Dioula venus de l'Est absorbent des Sénoufo autochtones pour donner naissance au Koro.

Les nyamana (kafu) ou royaumes ainsi créés sont partout animistes, bien que l'élément dioula et musulman y joue un grand rôle. Cette situation change vers 1845 quand le Nafana cède la place au royaume musulman des Touré d'Odienné, le Kabadougou ou Kabasarana. Celui-ci annonce déjà la révolution dioula de Samory à laquelle il se ralliera en 1881.

Les Malinké se sont construits autour de la masse résistante des Sénoufo, tout en s'étendant au maximum le long de la frange forestière, dans la zone des marchés courtiers de kola. Malinké est la francisation du nom Maninka, qui a été réservé sur la carte aux habitants de la région d'Odienné. Dans cette région, la langue est presque identique à celle du Konyan,

59 et très proche de celle de Kankan (Guinée), diffusée depuis des siècles par les voyages des Dioula. Plus au sud, les Malinké du Maou, du Ouorodougou et du Koyara, parlent des dialectes très particuliers et moins faciles à comprendre. Le Koro emploie le parler des Dioula historiques, ceux de Kong. Tous ces Malinké occupent une zone de hauts plateaux parsemés d'inselbergs et même, d'Odienné à Touba, de vraies chaînes de montagnes.

Le peuplement est généralement faible (5 à 10 habitants/km²), un peu plus dense vers la frange de la forêt. Les Malinké vivent généralement concentrés en gros villages, jadis entourés d'une fortification de terre, le dying.

Leurs maisons sont des cases classiques rondes, les constructions à terrasse de type bambara. En revanche, les mosquées sont presque toujours des constructions en banco de type soudanais.

Photo 4 : Village malinké sur l’axe Odiénné-Kankan, Juin 2002

Les Malinké, comme tous les Manding, sont organisés en gros lignages (lu) patrilinéaires, unis par des mariages patrilocaux et polygamiques. Ces lignages se regroupent en clans (dyamou) dispersés dans l'espace. Plusieurs lignages forment un village (dougou) et

60 plusieurs villages, un nyamana ou kafou, nom que les Français ont traduit par canton. C'est l'unité politique traditionnelle.

Les nyamana sont souvent regroupés en royaumes stables, ou en hégémonies éphémères, sous le commandement d'un "faama", tandis que le chef traditionnel d'un nyamana est un "mansa", titre que l'empereur du Mali portait au Moyen-Age. La société malinké n'est donc pas une société égalitaire et sans État. Une certaine démocratie règne au niveau du village et même du nyamana, mais nous avons affaire à une société de tradition monarchique, divisée en groupes sociaux hiérarchisés et en castes. Celles-ci définissent avant tout certains artisans comme les forgerons, les teinturiers et les griots, mais d'autres, comme les tisserands, ne sont pas castés. Les esclaves étaient très nombreux, formant souvent du tiers à la moitié de la population. Ajoutons à cela une organisation militaire forte, fondée sur la garde du faama.

La religion des Manding reposait sur le culte des ancêtres et surtout sur des grandes sociétés secrètes, régissant notamment l'initiation, et évoquant les esprits de la nature, qui prennent généralement le nom de lo. L'islam était réservé aux commerçants et aux marabouts, parfaitement intégrés à la société globale animiste.

Les Dioula participaient d'ailleurs souvent au lo, sans être gênés par cette dualité religieuse. Jusqu'au 19ème siècle, les animistes détenaient le monopole de la vie politique et militaire. Le passage à l'islam de la majorité des Malinké est un phénomène récent, amorcé du temps de Samory, et généralisé seulement du fait des bouleversements que la colonisation a provoqués après la seconde guerre mondiale.

Les Malinké sont des agriculteurs de savane, cultivant avant tout le mil et le riz, et en second lieu le manioc, qui l'emporte nettement sur l'igname. Le coton nécessaire aux tisserands était très répandu. L'élevage était important, surtout chez les Foula. La pêche était secondaire, mais la chasse jouait un rôle majeur : elle était le fait des donzo, organisés en associations (ton), et dont l'importance militaire était capitale.

L'artisanat, en partie casté, était prospère et actif. Le fer était extrait partout où cela était possible et exporté vers les pays de la forêt. Tous ces produits ont servi d’échange entre les peuples.

Les pays malinké étaient le théâtre d'une activité commerciale intense, due aux Dioula, toujours en mouvement, particulièrement sur la frange forestière où se pressaient les marchés de kola, marchés hebdomadaires fréquentés et animés par les Dioula. L’activité de commerce marquait toute la vie sociale de ce peuple.

61 II.3.6 Les Dioula et leurs précurseurs

Considérons à présent le nom dioula dans le sens qu'il prend en terre voltaïque, celui d'une minorité culturelle de langue manding, opposée à la masse du paysannat animiste, et spécialisée dans le commerce et le maraboutage. Les vrais Dioula sont alors ceux de Kong, qui ont conquis au début du 18ème siècle un vaste empire allant du Moyen-Niger à l'Ano, par Bobo-Dioulasso et Kong. Le parler du Kong a été longtemps considéré comme la seule vraie langue des Dioula. Ce nom prit un troisième sens à l'époque coloniale. Il sert alors à désigner les personnes, manding ou non, originaires du Nord, qui ont occupé en masse les villes et les plantations de la forêt. Ainsi est apparu un nouveau parler manding, plus proche de l'Odienné que de Kong, mais qu'on désigne sous le nom de Dioula.

Dans tout le domaine voltaïque où l'on trouve les Dioula, on rencontre quelques îlots de populations parlant des langues proches du manding, dont elles paraissent être une forme archaïque. Tels sont les Ligbi et Hwela, surtout vers Bondoukou, ou les Noumou (forgerons) et Dyeli à travers tout le domaine Sénoufo.

Photo 5 : Un forgeron transforme le fer de la façon la plus artisanale, Juillet 2002

Ces groupes résiduels témoignent de la première migration des commerçants du Niger en quête de mines d'or de l'Akan. Leur venue doit remonter au moins au 14ème siècle, et leur

62 vieille métropole, Begho, actuellement au Ghana, n'a été remplacée par Bondoukou qu'au début du 18ème siècle.

Les Dioula eux-mêmes se rencontrent partout en quartiers ou en villages isolés. Ils occupent en masse quelques villes comme Bondoukou, Bouna, ou Satama dans le Diammala. Il est difficile de dénombrer les Dioula de la zone voltaïque de la Côte d'Ivoire.

L'organisation sociale et culturelle des Dioula est presque identique à celle de Malinké musulmans, car ils sont tous ralliés à l'islam plus ou moins, quand bien même ils pratiquent simultanément les cultures animistes de leurs voisins. Médiocres agriculteurs, ce sont de grands commerçants et d'excellents artisans, maîtres du tissage.

Ils ont réussi à exclure les autochtones du commerce à moyenne et longue distance, qu’ils dirigent de main de maître à travers des réseaux bien constitués.

Ce rappel historique de l’implantation des peuples vivant sur les marges territoriales de notre espace multinational, nous aide à comprendre comment ces peuples ont tissé des relations entre eux. La frontière, même existante entre les nouveaux territoires, ne signifie pas pour eux confinement dans un espace donné, mais une ouverture pour des relations leur permettant aujourd’hui de vivre et de commercer en harmonie à travers les limites des Etats.