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PREMIERE PARTIE

DANS LES ECHANGES REGIONAU

I. FONDEMENTS HISTORIQUES DES ECHANGES

L’espace ouest-africain était au 16ème siècle, une sorte no man’s land ou s’entremêlaient flux de longue distance et flux locaux (Harre, 1996). Cet espace favorisait les relations économiques avec les zones sahariennes et le grand Maghreb. Les caravanes marchandes acheminaient l’or du Soudan jusqu’aux villes arabes et, en retour, approvisionnaient les nombreuses métropoles en sel, en étoffes, en perles et en manuscrits. Ces différents échanges constituaient bien avant l’époque coloniale, des facteurs de structuration de l’espace. C’était également une forme de solidarité et complémentarité économique qui se créait entre les peuples du Sahel et ceux de la zone forestière (Igué, 1995).

Notre zone d’étude s’inscrit dans cette approche. C’est un espace vaste qui se situe à la confluence de deux zones économiques fortement complémentaires : au nord, la zone soudanienne et sahélienne correspondait à l’espace de commercialisation de l’or et de la cola, et la zone forestière au sud correspondait à celle de production de ces matières précieuses.

Cette situation a permis les échanges entre les espaces à travers la « frontière économique » créée par la nature et les hommes qui se définit comme une limite convenue

75 des transports et des chapelets de lieux d’échange. Cette frontière économique imprime une ligne de partage qui correspond au nord, en zone sahélienne et saharienne à un espace à haut pouvoir d’achat et au sud de cette en zone un espace de production. Cette frontière économique confère donc aux produits de part et d’autre des statuts différents.

Le territoire où s’exercent le pouvoir et l’activité des commerçants est un espace très diversifié, il va du nord-ouest (Odienné) au nord-est (Bouna et Bondoukou) en passant par l’importante cité marchande de Kong, véritable plaque tournante du commerce de la boucle du Niger précolonial qui concerne Sikasso, Ségou voire Bamako et Bobo-Dioulasso, et Bégho dans l’actuel Ghana. Pour étayer notre réflexion sur les politiques monétaires et douanières du commerce inter zonal, nous orienterons notre réflexion sur les fondements des espaces d’échanges et monétaires et leur organisation nouvelle dans cet ensemble ouest africain.

I.1. Espaces d’échanges

Tout au long du 19ème siècle, les pays d’Afrique de l’Ouest ont connu une forte activité marchande. Il y est fait mention d’échanges, de la circulation de caravanes marchandes et de commerce avec les Etats du Maghreb et du Sahara. Ces flux témoignent d’une différence de potentiel économique entre régions. On notait des îlots à haut pouvoir d’achat, comme les régions soudanaises, et des régions grandes productrices de produits convoités, comme celles des zones forestières. Ces relations d’échanges induisaient des migrations de populations en quête de produits comme la cola et l’or et en retour les populations forestières recevaient des produits de première nécessité comme le sel, le textile. Les grands centres commerciaux de l’époque, comme Bondoukou, Odienné, Sikasso, Bobo-Dioulasso, Djémé et Kankan ont tissé leurs relations commerciales grâce à ce commerce de longue distance (Gonin et Zunon, 1992). Ces villes furent les plaques tournantes du commerce ouest-africain. Le commerce dioula et haoussa y était prospère grâce à leur situation de cités carrefours, postées à l’intersection de diverses pistes caravanières.

Ainsi ces espaces d’échanges, plus étendus que les zones de production, correspondaient à des aires de marchés fréquentées par les producteurs ou par des peuples courtiers ou par des commerçants professionnels haoussa ou dioula. Ce commerce suivait un schéma classique. Au nord, les caravanes soudanaises en provenance de la boucle du Niger, du Sahel, du Ghana acheminaient essentiellement du sel, des étoffes d’importation, du bétail des tissus et des poissons fumés, du fer et des cauris qu’elles désiraient échanger contre la noix de cola et de l’or (Ouattara, 1987). Entre les acheteurs du nord et les producteurs de cola

76 et d’or au sud s’imposent alors deux intermédiaires : les courtiers malinké de la zone préforestière et au sud de ces derniers, les partenaires Gouro, Agny et Baoulé du contact forêt- savane. Les premiers se procuraient de petits lingots de fer appelés Sompè en Malinké et bro en gouro, en cauris et en manilles qui servaient de monnaie d’échange et qui permettaient d’obtenir la cola et l’or auprès des Gouro, des Agny et des Baoulé du centre (Figure 6). Il s’agissait d’un véritable commerce continental.

Ces derniers s’approvisionnaient auparavant auprès des populations forestières, auxquelles ils remettaient soit le sel gemme, soit le textile.

Ce fonctionnement du commerce de la cola entre différents partenaires trouvait son expression dans un réseau de marchés articulé le long du contact forêt-savane. Les marchés se tenaient tous à un jour différent afin d’assurer la possibilité de rotation et avaient souvent pour nom, le nom du jour où ils se tenaient. C’est ainsi que grâce au commerce de la cola et d’or, de nombreuses transactions ont été rendues possible dans les grandes cités de Kong, Bondoukou, Odienné, Sikasso et Bobo-Dioulasso.

77 Les populations qui avaient une autre vision des échanges, basée sur une économie d’autosubsistance avant l’ouverture au grand commerce soudanais, vont voir apparaître dans leur quotidien un autre type d’échange basé cette fois sur une économie d’accumulation. Ces différents échanges se déroulaient dans un véritable espace économique, organisé autour de plusieurs zones monétaires.

I.2. Espace monétaire

La circulation de monnaies, telles les bandes de coton, le djara, les barres de sel, les cauris, la poudre d’or, la monnaie métallique comme les manilles, les sompé et les gwinzés correspondait à l’existence de véritables zones monétaires. Les écrits arabes ont mentionné l’usage ancien de plusieurs modes de paiement comme les cauris dès le 9ème siècle, les barres de sel et les pagnes dans la boucle du Niger au 15ème siècle, les bandes de coton, à l’intérieur du continent, dans le Karta au Soudan et dans le Kanem au 15ème siècle, les pagnes en bandes de coton tissé et teint à l’indigo plutôt dans les régions côtières comme en Sénégambie (Lambert, 1998). Les manilles ont été longtemps la monnaie des populations côtières. C’était une monnaie de bronze, en forme de « U», d’environ 145 grammes et d’une valeur de 0,20 franc. L’usage des cauris comme monnaie était plus répandu. Ce moyen de paiement a été introduit en Afrique de l’ouest et particulièrement dans notre espace d’étude par les commerçants arabes, à travers le commerce transsaharien dès le 9ème siècle. Bien que largement utilisés sur le continent, les cauris ont coexisté avec d’autres monnaies et parfois même ont été exclus de certaines zones de commerce (Figure 7, p.78).

En parcourant l’espace ouest-africain et en tenant compte des différents modes de paiement, il est possible d’apprécier l’importance de la circulation des cauris et la répartition géographique des autres formes de paiement. En Sénégambie, les cauris étaient utilisés dès le 16e siècle et avaient connu un développement au 18e siècle. En Guinée, en Sierra Leone, au Libéria, en Côte d’Ivoire, les cauris étaient pratiquement absents au profit des gwinzés, manille, Sompé (Tiacoh, 1992).

C’est surtout le Nord-Ghana, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Mali qui constituaient la véritable zone des cauris. L’occupation coloniale a interdit ces différents moyens de paiement et introduire d’autres monnaies. Ainsi dans les colonies françaises, on remplace ces monnaies par la monnaie française. Pour ce qui est de notre espace d’étude, c’est par l’arrêté local du 1er janvier 1915 que les monnaies ont été remplacées par celle du colonisateur français.

78 Quant aux colonies britanniques, l’or restait encore le moyen de paiement. Ce fut le cas au Ghana ou les autorités Ashanti se sont opposées à l’introduction de la monnaie britannique. Ils préféraient l’or dont ils contrôlaient la production. L’intervention coloniale apporta une nouvelle organisation des territoires, par le tracé des frontières linéaires et l’émergence de nouveaux axes de communications, qui fonctionnent désormais au détriment des anciens. L’administration coloniale mit en place des lois qui réglementèrent les échanges dans les différents espaces en relation.

C’est sur cette base que s’est développé de nouveaux modes de paiement, des nouvelles réglementations commerciales non seulement à l’intérieur de nouveaux Etats, mais également dans le sous continent ouest-africain. Les barrières fiscales, autrefois intérieures et entraves à

79 l’organisation d’un marché plus unifié, ont été déplacées sur l’enveloppe frontalière, permettant aux populations voisines séparées de continuer de développer des échanges.