• Aucun résultat trouvé

La crise ivoirienne et ses répercussions sur les prix des produits sur les marchés frontaliers

DEUXIEME PARTIE

N. B : (7) correspond aux sept jours de la semaine grégorienne J (1) date de la tenue du marché dans le cycle

II.4 La crise ivoirienne et ses répercussions sur les prix des produits sur les marchés frontaliers

La crise ivoirienne a pesé et pèsera sur les prix des produits des pays de la sous-région et particulièrement sur les marchés frontaliers. Pour illustrer cette réflexion, il faut signaler que l’essentiel des échanges se faisait autrefois directement par la route pour le Mali, la Guinée et par le chemin de fer pour le Burkina jusqu’à Abidjan via le nord de la Côte d’Ivoire. Aujourd’hui, on note un rallongement des circuits, qui entraîne une hausse des prix vu le coût d’acheminement dans les pays enclavés et dans le Sud de la Côte d’Ivoire sous contrôle gouvernemental.

La hausse des prix sur les produits en zone gouvernementale porte sur les produits d’élevage importés des pays sahéliens et dont le Sud dépend pour une bonne part. Pour l’approvisionnement du nord de la Côte d’Ivoire, les commerçants transitent par le Ghana, le Burkina Faso, le Mali et, dans une moindre mesure, la Guinée ce qui allonge le trajet. Les prix subissent des hausses liées au rallongement des distances dû à un renchérissement du coût de transport qui est répercuté sur les prix des produits dans le cadre des échanges. Des engorgements se produisent dans les couloirs de transport (togolais, béninois et ghanéens) et

137 dans les ports de substitution qui ne sont pas préparés à traiter un trafic important que l’axe ivoirien traitait à hauteur de 95%.

Le port et le couloir de transport Ouagadougou-Lomé long de 1670 km en sont un bon exemple. En quelques mois, ce couloir de crise s’est considérablement dégradé à cause des surcharges. Au port de Lomé, l’insuffisance d’infrastructures de stockage ne permet pas de faire face aux importants volumes de marchandises à traiter, ce qui augmente les délais de rotation des véhicules et ralentit le rythme des évacuations des marchandises en direction des états enclavés. Un camion de 40 tonnes en provenance de Bamako reste 21 jours pour décharger son contenu, car le port de Lomé ne dispose pas d’infrastructures appropriées pour entreposer les marchandises en transit pour le Mali, le Burkina et le Niger.

Cette situation a engendré une hausse des prix de certains produits comme le ciment (2,1%) dans le sens Sud-Nord, et le bétail (4,5%) dans le sens Nord-Sud. Le kilogramme de viande sans os est passé de 850 à 1650 francs Cfa en Côte d’Ivoire; la tonne de ciment de 55 000 à 90 000 francs Cfa au Mali et au Burkina Faso. Pour pallier ce fait, des produits et de nouveaux axes de transports ont fait leur apparition dans le paysage commercial. Pendant cette crise, nous avons constaté l’entrée des produits en provenance du Maghreb, du Togo et du Nigeria à Ouangolodougou, Sikasso. Par le passé, ces marchés étaient le domaine de prédilection des produits « made in Côte d’Ivoire », comme les boissons gazeuses, les liqueurs, le ciment du Togo, les produits pétroliers, la farine et le sucre importé du Brésil et réexporté par le Nigeria à travers sa diaspora importante et très en vue dans les échanges non formalisés en l’Afrique de l’Ouest.

Le bétail, expédié par le passé par route ou par chemin de fer en direction de la Côte d’Ivoire, avait un prix raisonnable. De nos jours, à cause des circuits plus longs, des coûts d’acheminement et de la baisse des prix aux producteurs, son prix est en très forte hausse dans le Sud en zone gouvernementale. Pour lutter contre ce problème et la trop grande dépendance des pays sahéliens, l’importation de viande congelée et subventionnée d’Argentine, du Brésil et de la Hollande a fait son apparition.

Cette crise montre combien les marchés frontaliers sont liés à l’axe ivoirien pour leur approvisionnement en produits de diverses natures. En effet, les chocs enregistrés par cette crise sur les produits venant de la Côte d’Ivoire se répercutent sur les prix des articles des marchés.

Nous allons voir comment l’augmentation des distances peut entraîner des surcoûts sur le transport vers les pays sahéliens (Tableau 14, p.138). A titre d’exemple, le Mali subit les effets de cette situation à cause de sa trop grande dépendance de l’axe ivoirien, axe qui

138 présente des infrastructures importantes pour le traitement rapide et de stockage des produits tels que les produits pétroliers et le trafic conteneurisé. Avec une infrastructure riche de 34 postes à quai répartis sur 6 400 mètres linéaires et un trafic proche de 14,7 millions tonnes, le port d’Abidjan accueille 43 % des importations du Mali et du Burkina en 2000 (AFD 2003).

Tableau 14: Tarif de transport à destination des pays sahéliens : l’exemple du Mali

Distance (des ports côtiers aux pays

enclavés) Coût en FCFA pour un camion

Distance Totale

Route

accidentée Pistes 40 tonnes ou 2 conteneurs 20' Port

d’origine Km Km Km

Avant la

crise Au cours de la crise

Abidjan 1100 404 - 1 425 000 3 000 000

Lomé 1917 670 - 1 600 000 2 400 000

Téma 1800 250 156 1 800 000 2 050 000

Source : Notre enquête, février 2003

Pour la période avant la crise, on constate que pour un camion de 40 tonnes ou chargé de 2 conteneurs de 20 pieds en partance pour le Mali, le coût de transfert était de 1 425 000 francs Cfa sur une voie directe, non accidentée longue de 1100 km. Pendant la crise, pour le même mode de transfert, le coût est passé à 3 000 000 francs CFA. Cette situation est due au rallongement de la distance, avec la traversée du Ghana qui non seulement ne fait pas partie de la zone franc mais aussi de l’UEMOA. Ce pays n’est donc pas tenu de respecter la politique de transport inter Etat (TEC) mise en œuvre par les états membres de l’UEMOA pour permettre la libre circulation des biens et des personnes. En effet, l’allongement des distances et le recours à des modes de transport moins performants (passage du rail à la route pour le Burkina Faso, utilisation d’itinéraires plus accidentés et vallonnés pour le Mali) ont considérablement altéré le rythme d’approvisionnement de ces deux pays (A. F. D, 2003). La surexploitation des couloirs de transport amplifie le phénomène d’usure des voies. Leur détérioration joue considérablement sur le temps d’évacuation des marchandises vers les marchés de l’hinterland, entraînant des tensions au vu des prix du transport évoqués plus haut. Ce surcoût est répercuté sur les prix des produits sur les marchés.

La crise ivoirienne modifie les circuits habituels des échanges entre les pays enclavés et l’ensemble des pays de l’Afrique de l’Ouest. L’allongement des distances provoque une hausse des prix des transports qui, en retour, créent une inflation sur les marchés en relation. Les conséquences sont directes, avec de véritables dérapages inflationnistes préjudiciables

139 aux populations et la naissance d’échanges non formalisés avec l’apparition sur les marchés des produits prohibés et de contrebande.

Conclusion

Nous retenons que les flux commerciaux transfrontaliers sont tridimensionnels : les flux de proximité avec les échanges entre localités villageoises proches, de courte distance organisés autour de villes proches des frontières et de longue distance avec les grandes villes comme point de départ (généralement les capitales d’Etats ou les ports côtiers) vers les pays limitrophes mais transitant par les villes régionales. Ces flux sont nés à partir de l’usage de plusieurs monnaies dont le cours est déterminé dans toute la zone par un marché parallèle de change, de la solidarité entre les peuples vivant sur les marges territoriales et surtout de la différence en matière de réglementation douanière et fiscale entre les espaces.

Notre espace d’étude montre des flux commerciaux modifiés à cause de la crise ivoirienne. En effet, la partition de fait du pays crée une frontière intérieure qui donne naissance à deux espaces : un espace sous occupation rebelle et un autre gouvernemental. Cette partition ne permet plus d’échanges directs par route et par chemin de fer jusqu’à Abidjan. Aujourd’hui, une réorganisation de l’ensemble des échanges a vu le jour non seulement dans notre espace d’étude mais dans la sous-région ouest-africaine. Elle entraîne un allongement des temps de transports qui se répercute sur les prix des produits.

Pour contenir les effets de cette crise, les populations ont trouvé des produits de substitution qui inondent les marchés de la zone, qui sont des produits de contrebande des marchés et des entreprises des pays de la sous-région. Ces sociétés évoluent dans l’agro- alimentaire et sont implantées au Nigeria, Togo et Bénin. Longtemps considérés comme de moindre qualité, les produits nigérians ont été relancés par la crise sur les marchés de notre espace d’étude.

140 LES PRODUITS ECHANGES

La zone frontalière nord de la Côte d’Ivoire est le théâtre de nombreux échanges formalisés ou non. Les marchés, les postes de douane et les différents axes routiers qui parsèment l’espace sont des lieux très actifs où circulent de nombreux produits provenant d’horizons divers.

Les flux commerciaux empruntent plusieurs axes : d’une part ceux liés au commerce dit officiel qui transitent par les postes de douane et d’autre part les axes de contrebande où circulent plusieurs produits manufacturés issus du marché mondial. Il est important de souligner que le commerce non formalisé peut également s’effectuer sur les axes officiels.

Dans ce chapitre, nous mettons en évidence les types et les volumes de produits échangés selon les flux. L’intérêt de cette étude réside dans le fait que les analyses effectuées prennent en compte les échanges qui se sont déroulés en période normale et en période de crise intervenue en Côte d’Ivoire.

La crise qui secoue la Côte d’ivoire depuis le 19 septembre 2002 et qui a engendré la partition du pays bouleverse le déroulement des échanges avec les pays de l’hinterland. Cette situation crée de nouveaux axes commerciaux, avec pour corollaire le développement d’espaces d’économie souterraine. liés à des réseaux de commerçants très structurés et dynamiques pour approvisionner les localités sous contrôle rebelle en produits de première nécessité. Les cultures d’exportation dans les zones occupées sont détournées des circuits habituels et sont évacuées à partir des ports de Lomé, d’Accra et de Téma via les pays voisins ou pour leur semi-transformation dans les usines des pays frontaliers. En zone gouvernementale, l’essentiel des échanges avec les pays sahéliens et les autres pays limitrophes s’effectue non seulement par le Ghana mais également par voie maritime.

En tenant compte de tous ces aspects dans le déroulement du commerce sous-régional, nous analysons les aspects des échanges portant sur les types et les volumes des produits aux différents postes de douanes suivant quatre directions. Ces axes concernent les échanges entre la Côte d’ivoire et le Mali aux postes frontières de Pogo, de Nigouni et de Tiéfinzo, mais également entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso aux postes frontières de Ouangolodougou

141 (terrestre et ferroviaire), entre la Côte d’Ivoire et le Ghana au poste de Soko et enfin entre la Côte d’Ivoire et la Guinée au poste de Minignan. Les statistiques proviennent des pesées effectuées sur des marchandises de la période d’avant crise et des sources douanières de chaque poste frontière. A partir de ces statistiques nous analysons les flux officiels. Quant aux flux non formalisés, les analyses proviennent des enquêtes faites auprès des commerçants, des petits trafiquants de diverses marchandises et de passeurs.