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Le peuplement des marges transfrontalières ivoiriennes

PREMIERE PARTIE

II. LES MARQUES DE L’HISTOIRE

II. 2 Le peuplement des marges transfrontalières ivoiriennes

II.2.1. Peuplement de la région de Bondoukou

Bien que les origines de la cité de Bondoukou fassent toujours l’objet d’importantes controverses, sa fondation remonte au 16ème siècle par des conquérants Abron. Au début du 14ème siècle, le nord de la région était néanmoins peuplé de Koulango qui ont dû migrer progressivement vers le sud sous la pression des Lobi, peuple de cultivateurs et de guerriers venus de l’actuel Burkina Faso.

Ultérieurement, quelques Nafana originaires de la région de Korhogo s’installèrent dans la zone et furent les fondateurs du village de Gontougou, aujourd’hui Bondoukou. Ils en furent délogés dès l’arrivée massive des Abron sur un territoire qui devint le siège d’un puissant royaume militaire et marchand. Aujourd’hui les Nafana sont présents uniquement dans quelques villages proches de la frontière du Ghana.

La région de Bondoukou, premier carrefour commercial, a acquis ses fonctions marchandes à partir du 17ème siècle, à la faveur de l’implantation de Dioula venant de Begho, important lieu de l’Islam et du négoce régional situé à 50 kilomètres environ de l’actuel Ghana. Cette communauté marchande Dioula, qui avait joué un rôle décisif dans la fondation et l’essor de Begho, quitte cette ville suite à des conflits internes qui paralysaient son activité commerciale et de transit. Les compétitions entre clans Dioula pour le contrôle des routes de l’or, ainsi que les profonds bouleversements politiques qui s’opèrent après 1650 dans le

48 monde Akan situé au sud de Begho, expliquent l’implantation progressive dioula dans la région. A Bondoukou, le mouvement s’accélère nettement vers la fin du 17ème siècle.

Le déclin de Begho, au début du 18ème siècle, consacra l’essor économique de Bondoukou qui, sous l’influence des Dioula, se transforma en un centre religieux et commercial influent, en une cité reliant les Etats Akan du Sud-Est aux villes mandé de la vallée du Niger. Cette liaison va permettre l’arrivée d’un important groupe de Zerma originaire de la vallée du Niger.

Le dernier sous-groupe Akan arrivé est constitué par les Abron. Leur venue est un moment décisif de la structuration régionale. Conduits par Tan-Daté, ils furent les derniers des grands sous-groupes Akan à s’installer dans la zone. Ce groupe ethnique se compose de deux sous-groupes; l’un, de langue guan, était depuis longtemps établi auprès de la communauté dioula de la zone de Begho. L’autre vint de la région d’Accra dans la deuxième partie du 17èm siècle, lorsque les peuples de la zone forestière furent soumis aux effets de l’expansionnisme des royaumes Akwamu et Denkyra. Défaits par les Ashanti, les Abron durent demander asile aux Nafana de Gontougou. Ils fondent d’abord le village de Zanzan puis celui de Yakassé. Mais la capacité militaire de ces nouveaux arrivants mena vite vers la fin de 1690 à la création du royaume du Gyaman qui enserra Bondoukou puis, au cours de sa progression vers le Nord, vassalisa les royaumes koulango de Nassian et de Barabo, et rasa à plusieurs reprises celui de Bouna. Les Abron, attirés par l’or et la cola qui venaient du Sud, essaimèrent également dans cette direction. Le renforcement du pouvoir militaire abron sur toute la région, au moins jusqu’en 1740, créa pour la cité de Bondoukou une stabilité politique et une sécurité profitable aux activités commerciales de ses habitants.

II.2.2 L’implantation malinké dans la région d’Odienné

Comme dans toute la zone de savane ivoirienne, l'actuel peuplement de la partie ouest de notre espace d’étude est le produit de mouvements migratoires multiples, enchevêtrés et s'étalant sur près de cinq siècles : Sénoufo venus de Sikasso et de San, Mandé venus de Bougouni, Malinké venus de Djénné, "Dioula" venus de Kong. La région fut préalablement peuplée par des Senoufo qui en perdirent le contrôle, à partir du 18ème siècle, au profit des migrants malinké venus de l'actuel Mali par vagues successives. L'implantation malinké fut l'aboutissement d'une densification progressive des mouvements d'échange de biens et de personnes, amorcés à partir du 16ème siècle. Le Denguélé fut alors traversé par un axe marchand reliant les actuelles régions soudanaises maliennes à la forêt ivoirienne, par lequel transitaient la noix de cola, le sel gemme, l'or, le bétail. Les mouvements caravaniers

49 engendrés par ces échanges suscitèrent peu à peu la création d'unités de peuplement malinké et bambara (Dioula) dans la zone. Les Malinké venaient de l'actuel Mali et de Guinée et les Bambara, quant à eux, venaient du royaume militaire et marchand de Kong via le pays Baoulé et le Worodougou (Séguela) (Harre, 1996).

Le royaume Nafana, premier Etat malinké, fut fondé à la fin du 18ème siècle par des guerriers bambara originaires de Ségou, et fut détruit en 1848 par les troupes de Vakaba Touré dont les descendants contrôlèrent la région jusqu' à la fin de la colonisation. Ce sont ces derniers qui donnent à la région un certain nombre de traits caractéristiques contemporains : une armature commerciale forte, une centralisation politique, l’expansion de l'islam et de centres religieux, l’essor de la cité d'Odienné. L'implantation malinké s'est faite d'ouest en est. A la veille de la colonisation, trois bourgs dominent l'activité marchande dans la région : Odienné, Samatiguila et Tiémé, qui assurent une fonction d'étape de repos et d'accueil du négoce. A l'occasion, un petit nombre de grands commerçants locaux financent des caravanes reliant la zone forestière aux villes de la boucle du Niger.

II.1.3 Le peuplement des marges territoriales de Korhogo

La fondation de la ville de Korhogo est étroitement liée à celle de la région des savanes. Korhogo est la capitale du Kiembera. Ce sous-groupe Sénoufo installé sur la rive gauche du haut Bandama est attribué au périple de Nanguin et à d’anciens captifs venus au 17ème siècle du royaume Mandé de Kong. Cette région est peuplée par les migrants de petites chefferies Dioula dispersées sur l’un des axes marchands reliant la zone préforestière ou s’achète la cola, aux grandes cités consommatrices de la boucle du Niger.

Les enclaves islamisées assurent alors l’approvisionnement du commerce caravanier et celui des guerriers chargés de le protéger. Des conflits armés ont certes opposé les migrants aux autorités dioula, mais n’ont pas dégénéré en affrontements durables. L’implantation des migrants prend la forme d’un essaim de villages et de campements de cultures alimentés par la venue de divers sous-groupes sénoufo du Mali et du Burkina Faso.

La densification de la boucle du Bandama est propice à une reconversion générale des activités marchandes dioula.

En lieu et place du commerce de longue distance, ils réorientent leurs activités vers le commerce local car les débouchés trans-régionaux se sont considérablement réduits à cause des frontières. L’organisation marchande s’est alors décentralisée par la création de quartiers dioula dans les villages senoufo, en créant des marchés.

50 II.2.4 Peuplement de Sikasso, de Bobodioulasso et de leurs hinterlands

Sikasso a été le lieu d’accueil de populations fuyant les Sofa de l’Almamy Samory Touré et l’avancée des troupes coloniales, surtout après la prise de Ségou en 1890. Sikasso est demeuré longtemps un lieu d’accueil et de passage plus ou moins temporaire, volontaire ou forcé, de populations venues d’horizons divers.

C’est un groupe de population mandingue, parti de Kangaba sur le fleuve Niger, qui est à l’origine de la fondation du royaume du Kénédougou. Après être passé par les régions de Banfora (actuel Burkina Faso), de Kong (Côte d’Ivoire), le groupe s’établit à Finkolo, un village situé à 18 km de Sikasso sur la route de Bobodioulasso.

De Finkolo, le groupe alla s’établir à Natié (25 km de Sikasso), puis à Bougoula et enfin à Sikasso au moment du sacre, en 1866, du roi Tiéba Traoré. Cependant, il semble que la population qui s’est fixée à Sikasso est issue des principales communautés réparties sur une zone s’étendant sur un rayon de deux cents kilomètres autour de l’ancienne cité royale. Plus récemment, sont arrivées des populations originaires du nord du Mali.

Désignés comme autochtones, les Sénoufo constituent le groupe ethnique le plus important. Le territoire sur lequel ils se répartissent est assez vaste. Il est limité au nord par les pays minyanka et ganadougou, à l’est par le Burkina Faso, au sud par la Côte d’Ivoire et à l’ouest par les territoires bambara de Bougouni et Kolondiéba. La population de Sikasso et ses environs est également composée de multiples autres groupes dont certains sont implantés de fort longue date : les Samogo, les Dioula, les Bambara, les Malinké, les Minyanka, les Bobo, les Peul, voire les Sonrhaï, Touareg, Dogon ou Kassonké.

Ces groupes ont essaimé dans la région de Sikasso et à l’intérieur de la ville, constituant au départ un chapelet de micro-territoires culturellement homogènes. Néanmoins, si en milieu rural le référent ethnique garde encore une fonction de différenciation entre groupes sociaux, en ville le brassage des populations est manifeste.

Quant à Bobodioulasso et à son hinterland, l’histoire de son peuplement, révèle que les Bobo sont originaires du Mandé. Ils auraient rencontré les Bobo-Dioula (musulmans), les Bobo-Fing (animistes) et les Dioula de Kong en Côte d’Ivoire dans le cadre de leurs activités commerciales. A la faveur de la construction de la mosquée de la ville en 1892, une nouvelle vague de migrants arrive du Mali. Cette vague vient précisément de Sikasso où une importante sécheresse sévissait en cette fin de siècle (Labazée et Faure, 2002).

Les traits et éléments socioculturels qui constituent des caractères de différenciation perdent de leur consistance. Pourtant, c’est sur la base ethnique et religieuse, gage de la

51 confiance, que les puissants commerçants ont établi leur assise économique, dépassant le cadre du territoire malien, burkinabé, guinéen, ghanéen et ivoirien.

II. 3. Aires de peuplement et organisation socioculturelle des peuples