• Aucun résultat trouvé

3. - Les troubles de la vision chez les hystériques

Dans le document LES NÉVROSES (Page 155-161)

Retour à la table des matières

Les mêmes insuffisances de perception peuvent altérer les fonctions des sens spéciaux comme elles troublaient la sensibilité générale. Il existe des surdités hystériques quoiqu’elles soient trop souvent méconnues; quelquefois elles se développent à la suite d’une maladie réelle du nez ou des oreilles et ne font qu’exagérer énormément une diminution de l’ouïe qui était justifiée, mais très souvent aussi la surdité hystérique se développe sans aucun accident du côté des oreilles, à la suite d’émotions ou de fatigues, ou simplement comme conséquence d’une hémianesthésie qui s’étend sur tout un côté du corps et qui gagne même les sens spéciaux. Dans certains cas on a peine à comprendre le mécanisme psychologique qui a déterminé la localisation du trouble sur les oreilles. Une jeune fille de vingt ans, qui a déjà eu toutes sortes d’accidents hystériques, mais qui, habitant la campagne, n’a jamais entendu parler de ces troubles bizarres de la perception, fut un soir effrayée, pendant l’époque de ses règles, par un mauvais plaisant déguisé en fantôme; elle eut à ce moment des tremblements, des secousses, des cris. On put la calmer et la coucher et elle dormit tranquillement; mais le lendemain elle se réveilla absolument sourde des deux côtés. Cette surdité a duré quinze jours et n’a cédé qu’à un traitement hypnotique. Enfin il est facile de concevoir que, dans quelques cas, la surdité peut s’associer avec le mutisme que nous avons déjà étudié et déterminer des formes plus ou moins graves de surdi- mutité hystérique. Tout récemment M.

Ingegnieros, de Buenos-Ayres, ajoutait un chapitre intéressant à l’étude de ces troubles névropathiques de l’audition en décrivant des surdités musicales, des troubles portant uniquement sur la perception de la musique. Ces phénomènes se rapprochent évidemment des amnésies que nous avons examinées au début de cet ouvrage et sont des faits un peu plus complexes.

Il faudrait tout un livre pour décrire les troubles de perception qui peuvent atteindre la fonction visuelle : c’est encore là un champ d’études remarquables pour la psychologie expérimentale. Je rappelle seulement que la vision dans son ensemble et que toutes les parties de la fonction visuelle isolément peuvent être supprimées par l’hystérie.

En commençant par les phénomènes les plus restreints on observe d’abord la simple asthénopie accomodative, beaucoup plus fréquente qu’on ne le croit. Ce qui est perdu dans ce cas, c’est la partie la plus élevée de la fonction visuelle, le pouvoir non pas de voir, mais de regarder avec précision un objet déterminé et d’en suivre les différentes lignes. Ensuite nous rencontrons l’amblyopie : le trouble s’étend déjà à une vision même moins précise, c’est une diminution de l’acuité visuelle ou la perte de la vision des objets petits et délicats.

Il faut signaler rapidement la dyschromatopsie ou perte de la vision des couleurs. Il arrive fréquemment, en effet, que des hystériques, ayant encore une assez bonne acuité visuelle, cessent de percevoir les couleurs ou du moins certaines couleurs. Le violet, le bleu, le vert semblent disparaître les premiers; le rouge est la couleur qui paraît persister le plus longtemps. On sait autrefois à ce propos que cette persistance de la perception du rouge explique l’affection que les hystériques manifestent souvent pour cette couleur et pour les autres couleurs très voyantes. Il y a là à mon avis quelque exagération et il est plus probable que des raisons morales, comme le besoin très curieux qu’elles ont de se faire remarquer, jouent un rôle plus considérable dans ces préférences pour certaines toilettes.

Si nous continuons l’examen des troubles hystériques de la vision, nous voyons que la destruction ou plutôt la dissociation peut encore pénétrer davantage et atteindre des fonctions plus importantes. Un des symptômes hystériques les plus remarquables est le fameux rétrécissement du champ visuel dont l’étude devrait être plus approfondie et que nous ne pouvons faire ici. On sait que la vue, grâce aux dimensions de la rétine, s’étend sur une certaine surface qu’un œil peut voir simultanément sans bouger. Sans doute tous les points de cette définition seraient à discuter : il n’est pas bien certain, en particulier, que tous les points du champ visuel soient perçus simultanément dans un seul et même acte d’attention, mais cette

définition suffit pratiquement. Il résulte de cette étendue du champ visuel que la vision se subdivise en deux fonctions, celle de la vision directe qu s’applique à l’objet placé exactement au point de fixation et la vision latérale ou indirecte qui nous permet de voir moins distinctement des objets situés latéralement et en dehors du point de fixation. Chez les hystériques, ces deux fonctions visuelles semblent se dissocier : la première subsiste seule et la seconde disparaît en partie ou complètement. Le sujet ne voit plus que les objets situés au point de fixation et ne perçoit plus consciemment les objets situés latéralement. C’est ce que l’on exprime en disant que le champ visuel de l’hystérique est rétréci concentriquement. Ce symptôme de l’hystérie a été récemment mis en doute; sans discuter ici ni son origine, ni son mécanisme, j’insiste seulement sur sa réalité. J’ai recueilli 78 belles observations de rétrécissement du champ visuel dans les conditions les plus diverses et je considère que cet accident, sans être aussi fréquent peut-être qu’on le croyait autrefois, conserve une grande importance.

Je ne puis que signaler ici un curieux problème à l’étude duquel j’ai pris un intérêt particulier. Le champ visuel des hystériques ne peut-il être modifié que de la manière précédente? Le rétrécissement est-il toujours concentrique, ne peut-il pas être déformé par des scotomes irréguliers et, en particulier, peut-on rencontrer, dans l’hystérie, le champ visuel hémiopique ou le phénomène de l’

hémianopsie? La question est plus grave qu’elle ne semble être : l’hémianopsie, c’est-à-dire la vision dans une seule moitié du champ visuel, est un phénomène fréquent à la suite des lésions cérébrales;

son existence dans l’hystérie aurait des conséquences graves au point de vue du diagnostic et de l’interprétation de la maladie. Après des oscillations, les neurologistes étaient arrivés, surtout après l’ouvrage de Gilles de la Tourette, à nier complètement l’existence de l’hémianopsie hystérique et à soutenir que ce symptôme ne pouvait être produit que par une lésion organique destructive d’un centre déterminé. Cette décision ne peut pas se soutenir a priori, je ne vois aucune raison pour que le trouble fonctionnel de l’hystérie ne réalise pas les mêmes symptômes que la destruction organique du centre d’une fonction. Toute fonction, nous l’avons dit à propos des paralysies, finit, lorsqu’elle est ancienne, par avoir son centre organique bien déterminé et, dans ces cas, la destruction du centre ou

la suppression momentanée de la fonction peuvent se manifester par des phénomènes analogues souvent difficiles à discerner. D’ailleurs, n’avons-nous pas observé ce fait d’une manière incontestable à propos de l’hémiplégie qui se rencontre dans d’hystérie aussi bien que dans les lésions cérébrales?

Après la période de négation précédente, M. Déjerine en 1894, puis moi-même en 1895, avons présenté des observations authentiques d’hémianopsie fonctionnelle. Je crois avoir donné la démonstration du caractère hystérique de ce syndrome en montrant l’existence de sensations subconscientes dans la partie en apparence supprimée du champ visuel. Depuis, j’ai eu l’occasion de présenter d’autres cas aussi net 35. Dans un article paru dans le Brain, en 1897, M. Harris a présenté des faits analogues; il a noté, en particulier, comme je l’avais fait moi-même, des cas où l’hémianopsie hystérique se présente à la suite d’une amaurose, comme une période transitoire dans la restauration de la vision. Il me semble probable qu’il y a eu autrefois, chez les animaux, et qu’il existe encore chez l’homme, une fonction spéciale pour la vision à droite et une fonction pour la vision à gauche. Ces fonctions peuvent se dissocier dans l’hystérie comme toutes les autres, mais comme ce sont des fonctions très anciennes, leur dissociation est rare et ne se présente que temporairement.

Le trouble de la vision peut prendre encore une autre forme et se présenter comme la perte de la fonction binoculaire. Comme M.

Parinaud le remarquait autrefois, la plupart des animaux ayant les yeux des deux côtés de la tête n’ont pas de vision binoculaire, ils ont la vision monoculaire alternante tantôt d’un côté, tantôt de l’autre.

L’homme conserve cette vision élémentaire, mais il peut y ajouter une vision supérieure qui consiste dans la fusion des images fournies simultanément par les deux yeux à propos du même objet. Cette vision supérieure a des avantages particuliers, elle permet l’appréciation plus facile des distances et du relief. Il est curieux de remarquer qu’un grand nombre d’hystériques, sans le savoir en aucune façon, rétrogradent en quelque sorte, perdent la vision humaine pour ne conserver que la vision animale. On constate, par diverse expériences, que la fusion des images fournies par les deux

35 Névroses et idées fixes, I, p. 263. Presse médicale, 25 octobre 1889.

yeux, que la vision au stéréoscope, la vision du relief dans les anaglyphes de Ducos de Hauron est totalement supprimée.

Mais ces mêmes malades peuvent présenter un autre trouble constitué par le phénomène si remarquable de l’amaurose unilalérale.

Un beau jour, une raison quelconque a forcé le sujet à fermer l’œil droit et il est stupéfait de se trouver dans l’obscurité, c’est ainsi qu’il apprend avec étonnement qu’il ne voit plus que par un seul œil et qu’il est devenu incapable de se servir de l’autre.

Ce trouble singulier de la vision a été le point de départ d’un grand nombre d’études psychologiques remarquables; c’est l’un des faits qui a le mieux contribué à donner l’idée de la dissociation des fonctions dans l’hystérie. Les sujets qui présentaient cette amaurose unilatérale ont été l’objet de vérifications intéressantes pour écarter l’hypothèse de la simulation, car le fait se présentait quelquefois chez de jeunes conscrits soumis à l’examen du conseil de révision. Des expériences ingénieuses comme celles de la double image de Brewster, des lettres colorées de Snellen, de la boîte de Flees ont mis en évidence un fait inattendu, c’est que cet œil amaurotique de l’hystérie ne voit rien quand il est seul, mais qu’il voit très bien quand la vision se fait avec les deux yeux ouverts simultanément. En un mot, ce trouble semble être l’inverse du précédent, c’est ici la vision monoculaire d’un seul œil qui est perdue, tandis que subsiste la vision binoculaire. Ces deux visions, monoculaire et binoculaire, dont l’existence est à peine soupçonnée par l’individu normal, peuvent se séparer dans cette névrose et tantôt l’une, tantôt l’autre subsiste isolément.

Enfin, le trouble de la fonction visuelle peut être beaucoup plus considérable et porter sur l’ensemble de la vision; en d’autres termes, il détermine la cécité hystérique. Le phénomène est rare, car il semble que le sujet conserve toujours, autant que possible, les fonctions essentielles et qu’il ne perde qu’une partie de la vision. Cependant, cet accident a été constaté bien souvent : dans les travaux de Lepois, en 1618, cette cécité était déjà signalée, on en retrouve souvent la description dans les œuvres des oculistes français comme Landolt Borel, Parinaud. Le plus souvent, cette cécité totale se produit à la suite d’accidents et elle rentre dans les phénomène de l’hystérie traumatique. Voici les deux derniers cas que j’ai observés. Un

homme de trente-huit ans travaillait à nettoyer une machine quand un chiffon plein de graisse et de pétrole pris dans un engrenage vient le fouetter sur la figure. La face fut simplement salie et le malade fut le premier à rire de l’accident. Il alla se laver mais il eut beaucoup de peine à débarrasser la peau et les paupières de ces substances grasses.

Il faut noter que rien n’était entré dans les yeux et qu’il n’en souffrait pas. Cependant, au bout d’une demi-heure, il lui crut voir un brouillard devant lui, puis il observa que ce brouillard s’épaississait et deux heures après, il cessa complètement de voir. La vision oscilla un peu le lendemain et les jour suivants; de temps en temps il voyait un peu les objets, surtout avec l’œil droit. Ces oscillations durèrent un mois, puis elles ne réapparurent plus et, pendant quatre ans, cet homme resta complètement aveugle. Voici une femme de trente et un ans dont l’histoire est semblable. Dans une usine de blanchissage, elle reçut, à la face, de l’eau mêlée de chaux et de savon, à la suite d’une petite explosion de chaudière. Ici, la peau fut légèrement brûlée et les paupières furent enflées; la malade était à la période des règles pendant l’accident, elle se sentit très troublée et très étourdie. Pendant les premiers jours, elle n’osait guère ouvrir les yeux; quand elle les ouvrit, elle s’aperçut qu’elle ne voyait plus clair, et l’amaurose a été complète pendant deux ans. Quand j’examinai la malade, il y avait déjà une légère restauration de la vision qu’il a été facile de compléter rapidement. Dans d’autres cas, il y a des cécités moins graves qui durent quelques jours et qui disparaissent subitement. Une femme de vingt-sept ans présente souvent le trouble suivant : pendant qu’elle lit, elle voit comme un éclair rouge qui illumine la chambre, elle ferme les yeux et, quand elle les rouvre, elle ne voit plus rien. La cécité a duré une fois douze jours, une fois sept, une autre huit et la vue revient subitement, comme elle était partie.

Inutile de remarquer que, lorsque la cécité est ainsi complète, le diagnostic est très difficile et que l’on ne saurait s’entourer de trop de précautions. C’est alors, plus que jamais, qu’il faut rechercher avec soin les caractères des anesthésies hystériques, caractères qui vont être passés en revue après l’énumération des troubles de la perception chez les psychasténiques.

Dans le document LES NÉVROSES (Page 155-161)