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3. - Les caractères des agitations motrices névropathiques

Dans le document LES NÉVROSES (Page 95-104)

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Il est facile de tirer des brèves observations précédentes les caractères essentiels de toutes ces agitations motrices chez les névropathes. Les plus importants, et qu’il faut mette en évidence tout d’abord, sont des caractères communs qui appartiennent aux deux groupes de malades que nous avons distingués. Nous indiquerons ensuite plus brièvement les caractères propre à chacun de ces groupes et qui doivent au moins pour le moment les distinguer l’un de l’autre.

Un fait domine tous ces troubles névropathiques, et nous l’avons déjà fait remarquer plusieurs fois chemin faisant. C’est qu’il s’agit de troubles systématiques portant toujours sur l’ensemble d’une fonction et qu’il ne s’agit jamais de troubles élémentaire portant uniquement sur des éléments anatomiques de la fonction. Cette distinction est facile à faire quand il s’agit de muscles et de mouvements : une fonction qui se manifeste par des mouvements est toujours un système d’opérations qui met en jeu harmoniquement un ensemble d’organes;

la fonction, même la plus simple, demande toujours la coordination de plusieurs muscles, de plusieurs nerfs. Jamais elle ne se borne à déterminer la contraction totale et isolée d’un seul muscle. Elle exige toujours que des muscles différents et quelquefois éloignés se contractent ensemble, l’un fortement, l’autre faiblement : c’est ce qu’on appelle l’harmonie, la systématisation de la fonction. Il en est de même pour les nerfs : il est bien rare, sinon impossible, qu’une fonction physiologiquement utile à l’individu s’exerce au moyen d’un seul nerf, faisant contracter au maximum tous les muscles qu’il innerve. Il y a toujours collaboration inégale de plusieurs nerfs, quelquefois d’origine très différente.

Les mouvements pathologiques se rangeront donc dans deux classes, suivant qu’ils consistent en une excitation élémentaire portant sur tel ou tel organe de la fonction, ou bien qu’ils sont constitués par une agitation systématique de la fonction elle-même dans son ensemble. Un courant électrique appliqué au point d’élection sur le biceps brachial fera contracter tout ou partie de ce muscle, mais rien de plus. Une irritation portant sur le nerf facial, comme celle que décrivait M. Brissaud, fera contracter au maximum, sans harmonie, tous les muscles innervés par le facial, et rien de plus. Ce sont là des troubles du mouvement d’ordre élémentaire que l’on peut au moins, par convention, appeler des troubles anatomiques, parce qu’ils ne sont déterminés que par la forme anatomique du muscle et du nerf et par la place de la lésion. À côté il y aura de tout autres troubles du mouvement qui portent sur la fonction dans son ensemble, telle qu’elle est donnée, avec sa complexité d’organe. Ce seront des troubles fonctionnels physiologiques et très souvent psychologiques.

Or, les agitations motrices des névropathes rentrent toujours sans exception dans la seconde catégorie et jamais dans la première. Une

secousse isolée d’un muscle ou d’un fragment de muscle ne sera jamais une agitation motrice névropathique; il faudra lui chercher une autre interprétation. Un spasme limité au domaine d’un seul nerf ne sera presque jamais un phénomène névropathique. Je laisse ici de côté les difficultés cliniques qui peuvent surgir à la suite de la réduction, de la simplification de tics autrefois complexes. C’est là un point auquel il faut toujours songer quand on étudie les spasmes de la faces, en particulier le tic douloureux si souvent en rapport avec des lésions de l’oreille ou des lésions encéphaliques. Pour qu’il y ait névropathie, il faut qu’il y ait mouvement systématisé ayant une signification, rappelant une fonction. C’est là un caractère sur lequel j’ai insisté de mille manières depuis vingt ans.

Récemment, M. Babinski a repris la même pensée, mais il l’a exprimée un peu différemment, d’une manière qui n’est pas sans intérêt. Pour qu’un mouvement pathologique soit névropathique, il faut, disait-il, qu’il ne soit ni paradoxal, ni déformant. C’est là une expression ingénieuse : les mouvements auxquels nous sommes habitués, qui dépendent des fonctions systématiques, déterminent sans doute des changements de la forme extérieure du visage ou des membres; mais ces changements sont à nos yeux harmonieux, car ils se composent de modifications diverses toujours associées entre elles.

Par exemple, l’élévation des yeux et des paupières est accompagnée régulièrement par un plissement du front; c’est là un ensemble harmonieux. Un mouvement sera paradoxal et déformant quand il détruira cette harmonie à laquelle nous sommes habitués. Par exemple, une élévation du front et du sourcil, avec fermeture de l’œil, est un paradoxe et une déformation. Les agitations motrices des névropathes ne réalisent jamais une déformation de ce genre. C’est une autre manière de dire ce que nous répétions si souvent, que ces agitations sont systématiques et fonctionnelles.

M. Babinski ajoute une autre remarque qui est intéressante, mais à laquelle nous adhérons moins complètement. Les secousses isolées et paradoxales de tel ou tel muscle dépendent d’une irritation anormale d’un point de l’arc réflexe et ne se produisent pas chez l’homme qui se porte bien et qui n’a aucune lésion sur cet arc. La volonté ne peut agir que sur les fonctions systématiques et ne peut pas descendre jusque dans leurs éléments. La volonté d’un homme normal ne pourra

pas déterminer ces déformations paradoxales. Par exemple, nous pouvons plier le bras en faisant agir un système de muscles, comme le biceps et le long supinateur; mais jamais nous ne pourrons faire contracter le biceps tout seul. Il en résulte que des contractions névropathiques pourront être copiées par la volonté, et que de vrais spasmes organiques ne le pourront pas.

Il y aurait là un caractère distinctif des agitations névropathiques.

Cette remarque est en partie exacte : il n’est pas facile de reproduire sur soi-même par la volonté un spasme déterminé pour une lésion localisée et il semble plus facile de simuler une agitation névropathique au moins pendant un moment. Cela peut, dans certains cas, diriger l’interprétation d’un symptôme douteux. Mais je ne crois pas que l’on puisse aller plus loin. D’abord les limites du pouvoir de la volonté sont difficiles à déterminer; on peut, par l’exercice, arriver à des résultats surprenants, dissocier des fonctions existantes et en créer d’autres et il n’est pas certain qu’un individu sain pris à l’improviste puisse immédiatement reproduire un tic que le sujet travaille depuis dix ans. J’ai décrit une femme qui dans ses tics

« avalait son ventre », le faisait rentrer complètement sous les côtes puis ressortir, ce que nous ne pouvons pas faire. D’autre part, ce qui constitue le caractère pathologique de ces phénomènes, c’est leur durée et c’est l’état mental qui les accompagne, or ni l’un ni l’autre ne se retrouvent dans les reproductions volontaires. Il ne faudrait pas conclure de cette remarque superficielle que tous ces phénomènes sont caractérisés par la possibilité de la simulation. Cela nous amènerait à une interprétation absolument fausse des troubles névropathiques et des maladies mentales.

En second lieu, ce trouble systématique n’a pas la permanence et l’invariabilité des accidents organiques, il apparaît et disparaît capricieusement, il augmente ou il diminue quand l’état de l’individu est modifié par le sommeil, les attaques nerveuses, les somnambulismes ou simplement par les émotions, les distractions, les efforts d’attention. Le plus souvent, par exemple, les chorées et les tics disparaissent pendant le sommeil. Mais ce n’est pas une loi absolue : beaucoup de névropathes dorment mal et n’ont pas de sommeil normal. Leur sommeil peut se rapprocher de certains états somnambuliques et des chorées ou des tics peuvent être augmentées

ou même se développer uniquement pendant ces états. Il suffit de constater que ces divers états modifient les agitations névropathiques dans l’un ou l’autre sens.

Enfin, un caractère essentiel consiste dans l’association très étroite de ces accidents avec des phénomènes psychologiques : tandis que dans les spasmes organiques on ne peut constater aucune modification mentale, ni au début, ni dans l’évolution de l’accident, on en constate toujours de très importantes dans ces accidents névropathiques.

D’abord il est facile de remarquer qu’il y a toujours au début des phénomènes moraux; un simple choc ne suffit pas, il faut qu’il y ait des émotions et des perturbations morales variées. Tous les malades que nous avons cités ont eu des modifications psychologiques de ce genre au début de toutes leurs agitations. L’un a eu un accident à la face ou à l’œil; l’autre a longtemps éprouvé une souffrance dans les dents qui l’effrayait; l’homme qui soufflait toujours par une narine a eu pendant longtemps une croûte dans le nez, à la suite d’un saignement de nez, et s’en est beaucoup préoccupé. Tous les malades qui ont eu des torticolis mentaux ont eu quelque impression morale relative à un mouvement de la tête. Une de jeunes filles que j’ai citées s’ennuyait fort au logis; elle travaillait tout le jour à côté d’une fenêtre donnant sur la rue. Son désir le plus vif était de quitter son travail monotone et d’aller dans la rue qu’elle regardait constamment. Sans cesse elle levait les yeux de son travail et tournait la tête à gauche pour voir ce qui ce passait dans la rue. Peu à peu elle sentit que sa tête tournait constamment à gauche, et prétendit même avoir un chapeau trop lourd de ce côté. Un diagnostic absurde, l’application d’un appareil plâtré sur le cou, ont singulièrement aggravé les choses, et elle a eu longtemps le tic de tourner fortement le cou du côté gauche.

Ces idées, ces phénomènes mentaux plus ou moins nets qui ont existé au début persistent encore pendant tout le développement du tic ou de la chorée. Revenons sur une histoire singulière que j’ai souvent racontée. Voici comment avait commencé la chorée rythmée de cette jeune fille de seize ans qui tournait sans cesse son poignet droit, soulevait et abaissait régulièrement son pied droit. Un soir, la veille du terme, elle avait entendu ses parents, pauvres ouvriers, gémir sur leur misère et sur la difficulté de payer le propriétaire. Elle fut très émotionnée et eut depuis des sortes de somnambulismes la nuit,

pendant lesquels elle s’agitait dans son lit et répétait tout haut : « Il faut travailler! Il faut travailler! » Or, quel était le travail de cette jeune fille? Elle avait un métier qui consistait à fabriquer des yeux de poupées, et pour cela elle actionnait un tour en faisant manœuvrer une pédale avec son pied et en tournant un volant avec la main droite.

Pendant son somnambulisme nocturne elle faisait ce mouvement de la main et du pied, mais ce mouvement s’accompagnait évidemment d’un état de conscience correspondant, puisqu’elle répétait tout haut :

« Il faut travailler! » C’était là une action somnambulique simple, comme toutes celles que nous avons étudiées. Réveillée, elle n’a plus ni souvenir ni conscience de son rêve, mais le mouvement continue du côté droit exactement de même. N’est-il pas vraisemblable qu’il est encore accompagné par un état de conscience du même genre.

D’ailleurs l’existence de cet état de conscience peut être mis en évidence par plusieurs expériences.

Tous ces caractères permettent de distinguer assez nettement ces agitations névropathiques des troubles organiques avec lesquels on pourrait les confondre. Il serait peut-être bon de réserver pour ces derniers le mot « convulsions » et de se rappeler qu’il n’y a pas de véritables convulsions chez les névropathes, mais uniquement des agitations.

En résulte-t-il que toutes ces agitations névropathiques soient exactement les mêmes et qu’il faille les soumettre toute à la même interprétation et au même traitement? C’est là, à mon avis, une analyse clinique trop grossière. Sans doute, au point de vue extérieur, il n’y a pas grande différence; tout au plus, dans certains cas, peut-on remarquer que le rythme est beaucoup plus régulier dans l’hystérie, mais cela n’est pas facile à vérifier sans inscription du mouvement, et cela ne s’applique qu’à un petit nombre d’accidents. Extérieurement, il n’est pas facile de distinguer une véritable crise d’hystérie de l’agitation d’un psychasténique qui se roule par terre.

Mais nous venons de voir que ces phénomènes fonctionnels sont en même temps des phénomènes mentaux. C’est dans ce trouble mental que se trouvent les traits essentiels, et il ne semble pas du tout certain qu’ils soient les mêmes dans tous les cas. Sans doute ces traits varient d’une manière continue et on trouvera tous les intermédiaires

possibles entre les deux types que je décris, mais il n’en est pas moins vrai que ces malades semblent se dirige vers deux types différents qu’ils réalisent plus ou moins complètement. Si nous considérons les sujets que nous avons décrits comme des hystériques, nous pouvons remarquer tout d’abord que dans bien des cas ils ont peu de connaissance, peu de souvenirs de ces agitations motrices, qui ont été très violentes. Ils se sont contorsionnés de mille manière; ils ont fait des mouvements, des salutations, des secousses des membres pendant des heures, et quand ils se calment, ils ne se doutent guère de tout cela; ils n’en ont qu’une idée fort vague. Quelques-uns dans les cas typique, croient avoir dormi tranquillement. Il n’en est pas du tout de même chez les malades second type, chez les psychasténiques, qui se souviennent de toutes leurs contorsions et peuvent les décrire minutieusement. Cette amnésie, qui existe très souvent dans l’hystérie, correspond à un trouble de la conscience et de l’attention qui existe pendant les accidents eux-mêmes. Quelques-uns de ces malades semblent avoir perdu conscience; ils ont l’air de ne rien entendre et de ne rien comprendre. Nous savons que c’est exagéré et qu’ils ont toujours conservé une certaine conscience, mais il semble bien que ce ne soit pas la même que pendant l’état de veille. Pendant qu’ils font leurs contorsions, ils n’ont plus les mêmes pudeurs, les mêmes précautions, la même conduite que pendant leur état normal.

Une grande crise de contorsions hystériques ne s’arrête pas quand un témoins entre, n’est pas modifiée très facilement par les paroles de l’entourage, sauf dans des cas exceptionnels qui se rattachent à d’autre lois. Au contraire, le psychasténique qui a ses tics, ou même ses agitations, reste le même homme; il continue à parler, à se souvenir, à vous reconnaître. Il s’arrête quand il le faut, il prend des précautions pour ne pas être trop ridicule, il n’a pas du tout cet état d’obnubilation qui caractérise l’agitation hystérique.

La chorée hystérique peut survenir, dira-t-on, même pendant la veille. D’abord il y aurait à remarquer que ce n’est pas pendant une veille très normal : pendant que ces malades ont de la chorée rythmée, ils sont obnubilés, à moitié endormis, en proie à une tristesse vague, et on note facilement un changement d’état mental quand leur chorée s’arrête. Mais, même dans ces cas, leur conscience conservée se porte peu vers le mouvement pathologique : beaucoup de ses sujets sentent à peine le mouvement choréique qu’ils exécutent, au moment même

où il se fait. Si on leur cache le bras avec un écran, ils peuvent parler d’autre chose et oublier ce qu’ils font. Cette inconscience du mouvement pathologique s’objective par un fait très remarquable que nous aurons à discuter longuement plus tard et qu’il faut seulement signaler ici : c’est l’insensibilité des membres particulièrement atteint.

J’ai noté une dizaine de cas de grande chorée hystérique dans lesquels les sujets, sans s’en douter, sans avoir été aucunement éduqués, présentaient une anesthésie remarquable. Dans une vingtaine d’autres cas, la sensation du mouvement, la sensation du contact et de la douleur étaient nettement moindres sur les membres atteints que sur les membres immobiles.

Ce caractère me semble aussi déterminer une modification dans l’influence que l’attention du sujet peut avoir sur le mouvement automatique. Dans les cas typiques d’hystérie, le sujet n’a pas besoin de faire attention à son bras pour que le mouvement de rotation se produise régulièrement. Bien mieux, j’ai cru observer que les mouvements étaient plus complets, plus réguliers, quand le sujet ne s’en préoccupait pas et quand il pensait à autre chose. Tous ces caractères me paraissent être absolument inverse chez le psychasténique. Celui-ci sent très bien son tic, et il exagère quand il prétend qu’il ne s’en rend pas compte. Il ne présente aucune anesthésie sur les parties atteintes; il y sent le contact et la douleur aussi bien que le mouvement. En un mot, il a pleine conscience de son agitation. Il en résulte que l’attention ne joue pas du tout le même rôle; il a besoin de prêter une certaine attention à son tic pour que celui-ci se produise, et quand on le distrait très fortement, quand il oublie de penser à son mouvement, il cesse de le faire. C’est ce que tous les parents ont observé chez les enfants tiqueurs.

Cette différence dans le degré de la conscience est encore plus remarquable si l’on considère, non pas le tic lui-même, mais les idées, les souvenirs des scènes émotionnantes, les manies mentales qui l’accompagnent et le déterminent. C’est dans le groupe des hystériques que l’on trouvera ces sujets naïfs qu ne comprennent rien du tout à leur propre maladie, qui ne se doutent même pas, comme la petite Mel…, qu’elle continue à faire avec son bras et sa jambe droite les mouvements de son métier. C’est là qu’on verra ces malades qui viennent se plaindre de toute autre chose et qui interprètent très mal

leur propre chorée. On se souvient de cette malade qui venait se plaindre d’un vertige quand elle sautait elle-même dans la rue au moment où elle rêvait qu’elle se jetait à la Seine. On retrouve la souvenir de ces idées dans ces délires, des somnambulismes, tandis qu’elles ne paraissaient pas exister pendant la veille. Le psychasténique, au contraire, connaît mieux que personne ses manies mentales de précision, son besoin de vérifier si sa tête est sur ses épaules, son besoin de perfectionner ou sa manie des pactes, et c’est lui qui redressera sur ce point le diagnostic du médecin. En un mot, il y a chez lui une conscience complète du trouble qui n’existe pas chez l’hystérique.

Peut-on dire cependant que la fonction qui est ainsi agitée soit chez lui tout à fait complète et normale au point de vue psychologique? En aucune façon, mais les troubles qu’elle présente ne sont pas les mêmes que dans l’hystérie. Le sujet a à son propos des sentiments pathologiques que nous connaissons déjà; il a un sentiment d’incapacité, de gêne, dans la direction de cette fonction : « Je ne suis plus maître de mon bras, de ma figure; il me semble que je ne puis en

Peut-on dire cependant que la fonction qui est ainsi agitée soit chez lui tout à fait complète et normale au point de vue psychologique? En aucune façon, mais les troubles qu’elle présente ne sont pas les mêmes que dans l’hystérie. Le sujet a à son propos des sentiments pathologiques que nous connaissons déjà; il a un sentiment d’incapacité, de gêne, dans la direction de cette fonction : « Je ne suis plus maître de mon bras, de ma figure; il me semble que je ne puis en

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