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5. - Les caractères des obsessions psychasténiques

Dans le document LES NÉVROSES (Page 36-41)

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Le second groupe de phénomènes, les obsessions, sont des phénomènes évidemment comparables aux idées fixes des hystériques, mais leurs caractères sont cependant bien différents.

Sans doute ce sont également des idées d’une importance exagérée qui tiennent une trop grande place dans l’esprit du sujet, si on tient compte de leur utilité et de l’intelligence du malade, il est absurde pour un homme d’intelligence moyenne de consacrer une dizaine d’heures par jour à méditer sur le sacrilège ou sur la mort. Mais ce

développement des idées ne se fait pas du tout de la même manière, nous ne retrouvons plus ce développement complet et régulier qui faisait apparaître successivement tous les éléments, images ou mouvements constituant l’idée de la mort ou l’idée de la crucifixion.

Depuis longtemps l’observation clinique avait constaté cette restriction de l’idée et baptisé ce phénomène en associant deux termes contradictoires : c’est, dit-on, une folie lucide, un délire avec conscience, une obsession consciente. On veut dire par là que l’idée commence bien à se développer d’une manière délirante, mais que le sujet la connaît, la constate et la juge, et qu’il l’arrête dans son évolution.

Aussi voyons-nous des caractères positifs et des caractères négatifs. La durée de l’obsession est extrêmement longue; elle peut remplir des années. L’idée réapparaît très fréquemment, quelquefois à chaque moment de la journée. Si elle revient si souvent dans l’esprit, c’est qu’elle semble être évoquée par d’innombrables phénomènes en apparence sans grands rapports avec elle, l’association des idées semble être très facile. L’une de ces malades est terrifiée parce que sa bonne s’appelle Antoinette ou parce que son fils a une cravate rouge, car cela la fait penser à l’échafaud et au crime. Un autre qui a l’obsession des chiens enragés ne peut plus entrer dans son cabinet de travail, parce que sa femme y a pénétré en portant une robe avec laquelle elle venait de traverser la place de la Concorde, rendez-vous habituel, paraît-il, des chiens enragés. C’est à cause de ces associations que l’obsédé retombe malade en rentrant chez lui : « Je retrouve toutes mes idées en rentrant chez moi, comme un paquet posé; chaque meuble en est un vrai nid ». Ces caractères semblent être du même genre que ceux que nous venons d’observer.

Je crois cependant qu’il y a déjà quelques nuances à remarquer : la véritable crise d’idées fixes hystériques dure, se reproduit, s’éveille tout à fait automatiquement; le sujet, qui la connaît peu ou mal, ne s’occupe pas d’elle, et elle se réveille quand un de ses éléments a été évoqué d’une manière matérielle. Par exemple, le sujet qui a dans ses crise l’hallucination d’un incendie recommence la crise quand il voit devant lui une flamme ou quand il entend la trompe des pompiers, parce ce que la vue de la flamme et le son de la trompe sont réellement depuis longtemps les éléments consécutifs de l’idée

d’incendie, des points de notre polygone tel qu’il était constitué antérieurement à la maladie. Chez l’obsédé, les idées durent non pas uniquement par elles-mêmes, mais grâce à la bonne volonté du sujet lui-même. Il souffre de son obsession, mais il y tient; il croit que s’il ne pense plus au crime, il deviendra malhonnête; que, s’il ne pense plus à la mort, il fera des imprudences et se portera mal. Il y là une continuation active et non une duré automatique. Le fait est encore plus net si l’on considère l’évocation des idées par association. Un jeune homme vient nous dire qu’il est malade parce qu’il a mangé d’un pain qui vient d’un boulanger qui a été indiqué à sa mère par un individu dont la femme est morte le même jour, où il a lui-même rencontré une femme de chambre dont le souvenir l’obsède et lui donne des obsessions génitales. Je dis que cette cascade d’associations d’idées n’est pas naturelle comme celle de la flamme et de l’incendie, que l’idée du pain à elle toute seule ne contient pas dans ses éléments l’idée de la femme de chambre. Le polygone antérieurement constitué ne contenait pas de tels éléments, c’est le malade lui-même qui les y ajoute aujourd’hui pour les besoins de la cause et pour justifier l’apparition de sa propre obsession. Il y a là une collaboration de toute la personnalité que nous ne trouvions pas dans le cas précédent.

Les obsessions, comme on l’a vu s’accompagnent presque toujours d’impulsion. Cela est vrai, et on peut rapprocher ce fait de l’exécution si remarquable des idées fixes hystériques. Cependant l’analogie n’est que superficielle : l’hystérique n’a pas seulement des impulsions, il a des actions. Nous avons vu qu’il joue son rêve; il va quelquefois jusqu’au crime, et s’il ne réussit pas plus souvent, c’est à cause de sa maladresse et de son défaut de perception de la réalité. Est-ce que le malade impulsif cède de la même manière à ses impulsions? Il le prétend, il a une peur affreuse d’être entraîné à commettre un homicide, il demande en suppliant qu’on le protège contre lui-même, il vous montre même de petits mouvements qu’il appelle des commencements d’exécution. Mais c’est tout : en fait il n’exécute jamais rien, au moins dans la grande majorité des cas. Je faisait remarquer autrefois que, sur trois cents malades de ce genre observés pendant une douzaine d’années, je n’avais constaté aucun accident réel. Je crois aujourd’hui qu’il y a dans cette affirmation quelques difficultés et que dans un certain nombre de cas il faut diagnostiquer

avec soin l’état du malade. Certaines exécutions de l’idée obsédante peuvent survenir quand il s’agit de malades dont l’état mental est transformé par des intoxications, comme les alcooliques et les morphinomanes. Certains malades, d’autre part, se trompent; ils considèrent l’acte comme peu important, peu dangereux; ils se figurent ne faire qu’un geste, qu’un début de l’action, et, sans s’en douter, ils font des choses beaucoup plus graves qu’ils ne le supposaient. Je songe en particulier aux jeunes filles qui refusent de manger, qui s’imposent des régimes absurdes, de peur leur poitrine ne se développe ou que leur nez ne rougisse. D’autres enfin sont plus avancés dans la maladie : ils ont dépassé l’obsession et arrivent à un véritable délire. L’évolution de l’obsession vers les délires plus ou moins systématiques est plus fréquente qu’on ne le croyait. Ces derniers malades deviennent dangereux et peuvent exécuter des idées qui, pendant des années, étaient restées de simples impulsions sans conséquence. En général, si on considère l’obsession proprement dite, il n’y a pas de réalisation et nous sommes loin de la comédie que jouait la somnambule.

Retrouverons-nous davantage le développement représentatif et les hallucinations si caractéristiques des idées fixes hystériques? En apparence on les retrouve également : ces malades sentent des vers qui remuent dans leur ventre, des fluides qui les chatouillent, ils prétendent voir une foule de choses, et nous avons cité des hallucinations obscènes, des hallucinations criminelles, la vue du couteau à travers la face, l’hallucination d’un précipice auprès de soi, que l’on attribuait déjà à Pascal. Presque toujours il suffit d’insister un peu pour que le sujet reconnaisse l’exagération de ces paroles : « il sait bien qu’il n’a pas vu d’hostie par terre; c’était quelque chose de blanc, comme s’il en voyait une ». Il ne peut pas décrire son hallucination, il reste dans des termes vogues et finit par avouer qu’il cherche à la voir plus qu’il ne la voit. D’autre part, on peut remarquer que ces hallucinations sont d’un genre bien spécial : ce ne sont pas des objets qui sont vus en eux-mêmes et pour eux-mêmes, ce sont des images qui ont une signification par rapport à l’idée du patient, ce sont des symboles. Les quatre arbres du lycée entourés de chaînes sont le symbole de l’esclavage, comme le membre viril et l’hostie sont les symboles du sacrilège. Ce ne sont donc pas des images qui se développent automatiquement, parce qu’elles font partie intégrante de

l’idée, ce sont des représentations que le sujet essaye d’y ajouter pour préciser son idée. D’un côté, ces hallucinations sont fort imparfaites, et le malade est bien loin de les prendre pour des objets réel; de l’autre, leur développement même, si faible qu’il soit, est la conséquence d’un effort d’attention du sujet et ne surgit pas spontanément, comme l’hallucination de l’hystérique.

Un dernier problème résume tous les précédents : le sujet croit-il à son obsession? Se croit-il réellement sacrilège, criminel, phtisique ou syphilitique? Quand il s’agit de l’hystérique qui délire, nous n’avons pas de doute; la malade qui se couche par terre en attendant que le train passe et qui se croit écrasée par la locomotive, pousse de tels cris d’horreur, a de telles expressions de physionomie, s’évanouit si réellement, que nous ne doutons pas qu’à ce moment même elle n’ait la conviction. Il n’en est plus du tout de même avec le psychasténique : on ne sait jamais ce qu’il pense; il pleure pendant des heures en disant qu’il a volé au moment de rendre la monnaie, et il ne consent pas à ce qu’on aille reporter l’argent; il se dit syphilitique et s’en désespère, et il refuse le traitement. En réalité, il doute énormément de son idée, et c’est ce doute qui vient remplacer les caractères négatifs de l’inconscience et de l’amnésie.

Comme ce caractère est très remarquable, nous lui consacrerons une étude spéciale. Pour le moment, nous pouvons dire en résumé que l’obsession des psychasténiques ne se développe pas complètement, comme celle de l’hystérique, et qu’elle n’est pas non plus, comme celle-ci, en dehors de la conscience et de la mémoire.

Elle a un certain développement imparfait; elle ne donne pas au malade l’impression nette d’une idée qui lui appartient; elle semble s’imposer à lui; elle manque de précision, de certitude, de liberté.

C’est un trouble à la fois plus général et moins complet. J’ai insisté sur ces deux premiers phénomènes : l’idée fixe et l’obsession, et sur leur comparaison, parce que ce sont des phénomènes névropathiques très importants qui caractérisent deux états d’esprit différents. Nous retrouverons plus aisément les mêmes caractères et les mêmes oppositions dans les autres troubles névropathiques qui seront maintenant plus aisés à comprendre.

Première partie. Les symptôme névropathiques

Chapitre II

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