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2. - Les tics des psychasténiques

Dans le document LES NÉVROSES (Page 89-95)

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Les obsessions, les manies du langage s’accompagnaient déjà de quelques mouvements, mais ceux-ci étaient en réalité peu de chose et la principale dépense de force se faisait dans les phénomènes de la pensée. Au contraire, chez les mêmes malades, on observe des troubles surtout moteurs où une sorte d’agitation semble se dépenser en mouvements accompagnés d’une somme de pensée assez minime.

Les plus nombreux de ces mouvements sont systématiques et ce sont ceux que l’on désigne sous le nom de tics.

L’étude de ce phénomène est relativement récente; il était autrefois confondu vaguement avec les convulsions et les spasmes; mais en raison de l’intérêt qui s’attache aujourd’hui aux études de psychologie pathologique, le tic a été l’objet de beaucoup de recherches récentes qui ont au moins précisé le problème. Autrefois Trousseau caractérisait le tic « par des contactions rapides généralement limitées à un petit nombre de muscles, habituellement aux muscles de la face, mais pouvant affecter d’autres muscles du cou, du tronc ou des membres ». En somme il ne parlait que la petitesse et de la rapidité du mouvement : quelques secousses d’épilepsie partielle pouvaient être ainsi confondues avec des tics. L’auteur qui a le plus contribué à distinguer cliniquement le tic des phénomènes convulsifs voisins est M. Brissaud. À la brusquerie, à la petitesse il a ajouté ce caractère déjà indiqué par Charcot, mais qu’il mit beaucoup plus en évidence, la systématisation. Le spasme, qui résulte de l’irritation d’un point de l’arc réflexe, siège soit dans un seul muscle, soit dans le groupe de muscles innervé par un même nerf. Ainsi on voit des spasmes du facial déterminés par un petit foyer hémorragique sur le pied de la deuxième frontale, centre du facial, par un anévrisme de l’artère cérébrale au-devant du tronc du facial, ou par des fibrolipomes

intéressant ce nerf. Au contraire, dans les tics on observe des mouvements complexes dans plusieurs muscles dépendant de plusieurs nerfs : il y a non seulement le spasme palpébral, les mouvements de la langue, les grimaces de la bouche, mais encore, en même temps, des troubles respiratoires, des bruits laryngés, etc. Ce mouvement complexe dépend du facial, de l’hypoglosse, du phrénique; il y a là une coordination qui ne peut se comprendre que par l’intervention de l’écorce cérébrale. « Les tics, disait Charcot, reproduisent en les exagérant certains mouvements complexes d’ordre physiologique appliqués à un but. Ce sont, en quelque sorte, des caricatures d’actes, de gestes naturels ».

Ce caractère du tic se retrouve dans tous les cas : les tics des paupières, par exemple, les battements, les clignotements sont analogues aux actes déterminés par un corps étranger dans l’œil, par une trop vive lumière. Les tics du nez, reniflements, battements, froncements des narines, souffles divers correspondent aux actes suivants : aspiration ou souffles justifié par un encombrement passager des voies nasales, dilatation des narines pour éviter la gêne ou la cuisson d’une petite plaie. Les tics de la bouche, des lèvres, de la langue, les moues, les succions, les mordillages, les pincements, les rictus, les mâchonnements, les déglutitions, etc., correspondent aux mouvements pour enlever une pellicule dans la gerçure des lèvres, pour remuer une dent qui branle, pour tâter un endroit de la bouche, etc. Dans les tics de la tête, secousses, hochements, on retrouve comme actes correspondants les déplacements, les redressements du chapeau, les mouvements pour se débarrasser de la gêne produite par les faux cols, par un vêtement, etc. Dans les tics du cou, dans le torticolis mental, les mouvement correspondant est un effort pour éviter la douleur d’une fluxion dentaire, pour diminuer une douleur musculaire, pour éviter un courant d’air et protéger le cou en relevant les vêtements, pour dissimuler une tristesse, pour regarder dans la rue, etc. Dans les tic de l’épaule, on retrouvera le geste du colporteur, décrit par M. Grasset, geste de charger un ballot sur son épaule et beaucoup de gestes professionnels du même genre. Dans les tics du pied, tels que ceux que j’ai décrit, on retrouvera des marches ou des sauts bizarres, des claudications déterminées par la douleur d’un corps, les rétractions des orteils dans une chaussure trop courte etc.

le second caractère du tic, c’est que le tic est un acte inopportun, intempestif : « Le tic, disait Charcot, n’est que la caricature d’un acte…, le mouvement n’est pas absurde en soi, il est absurde, illogique, parce qu’il s’opère hors de propos, sans motif apparent ».

J’ajouterai dans le même sens que, si le tic est un acte, il ne faut cependant pas oublier que c’est un acte stérile, qui ne produit rien. Il est évident qu’il ne produit rien d’utile, mais je crois que l’on peut aussi dire, dans le plus grand nombre des cas, qu’il n’est même pas capable de faire du mal. Ce qui nuit au sujet, c’est le fait d’être un tiqueur, c’est l’ensemble des phénomènes, des troubles qui accompagnent le tic. Mais l’acte lui-même qui est le tic, les mouvement de la tête, le clignement des yeux ne font pas grand mal.

Cette inefficacité du tic est intéressante, elle est à rapprocher de l’inutilité complète des manies mentales et se rattache au trouble général de la volonté chez ces malades.

Ce qui est, en effet, essentiel dans le tic, c’est l’état mental qui détermine la production intempestive de cette caricature d’action. Le malade que nous considérons est parfaitement conscient de ce qu’il fait, il sait qu’il ferme les yeux, qu’il tourne la tête, et, quoiqu’il prétende souvent le contraire, ce sont des réflexions, des opérations psychologiques plus ou moins rapides qui déterminent cette conduite absurde. En réalité, ce sont ces opérations mentales qui ont amené l’habitude du tic et qui en constituent la partie essentielle. Dans bien des cas, elles se rapprochent étroitement des manies mentales que nous avons déjà eu l’occasion de signifier à propos des doutes. Un premier groupe de tics se rattache à des manies de perfectionnement, comparables aux manies de l’au delà, que nous avons vues à propos du doute. Le sujet à le sentiment que son action est insuffisante, incomplète, qu’il faut y ajouter quelque chose et ce sont des manies de précision, de vérification qui déterminent bien des tics : l’un secoue sa tête pour vérifier si son chapeau est bien en place ou tout simplement pour savoir si sa tête même n’est pas trop vide ou trop légère, ou trop lourde, ou n’importe quoi. Bien des femmes ont commencé à détourner les yeux de côté pour se voir rapidement dans les glaces, d’autres se tâtent rapidement la poitrine, le corps, pour vérifier si elles n’ont pas engraissé; une jeune fille de seize ans se touche à chaque instant l’oreille et frappe trois petits coups sur sa tête « pour être sûre que la boucle d’oreilles est bien attachée et qu’elle ne tombe pas ».

Peu à peu elle a réduit son mouvement, et, quoique maintenant elle lève rapidement l’index, ce geste a la même signification. La manie de la symétrie amène des tics de la marche, comme chez la malade d’Azam qui saute d’une pierre sur l’autre pour procurer à se deux pieds des sensations analogues. Bien des tics sont déterminés par la manie du symbole, par le manie qu’ont ces malades de donner une signification à une foule de petites choses, en particulier à des petits mouvements. Pour l’une, fermer le poing, c’est comme si elle disait :

« Je ne crois pas en Dieu »; pour l’autre, se retourner à demi dans la rue représente l’idée de la religion : « C’est comme si, en traversant une église, on se retournait devant le tabernacle. Aussi, à chaque instant, celle-là ferme et ouvre le poing ou bien celle-ci pivote sur les talons.

Ceux qui ont le sentiment de se croire poussés à des crimes ont en grand nombre des manies de la tentation ou de l’impulsion. Leur bras commence à chaque instant des petits mouvements pour frapper, pour piquer, pour toucher une partie du corps; on prend souvent ces actes pour des commencements d’exécution involontaire et le sujet lui-même les montre comme des preuves de la gravité de son impulsion.

Rien de tout cela n’est exact : ce ne sont pas des actes involontaires, mais des petites actions que le sujet fait volontairement, pour obéir à sa manie de rechercher son impulsion et de la vérifier. Il en est à peu près de même dans ce qu’on peut appeler les tics de contraste : beaucoup de ces malades, au moment de faire un acte avec attention, pensent aux opérations tout à fait opposées qu’ils redoutent et cette pensée leur donne l’idée de faire ou de commencer ces actes absolument opposés. Do…, toutes les fois qu’il s’agit de faire un mouvement délicat, se sent gêné par l’idée de faire une maladresse; il croit qu’il va jeter le verre par terre, commettre une incongruité. Son pouce, au lieu de saisir l’objet, se plie fortement dans la paume de la main : il en résulte qu’il ne peut plus accomplir aucune action délicate. Des faits de ce genre jouent un grand rôle, presque toujours méconnu, dans la crampe des écrivains, dans la crampe des violonistes, dans tous ces mouvements spasmodiques qui viennent gêner les actions que l’on veut faire avec attention. C’est ce que l’on retrouve également dans une foule d’action absurdes que l’on observe fréquemment chez les malades : quand ils veulent avoir un aspect grave et sérieux, ils commencent des éclats de rire ou ébauchent des

mouvements de danse; quand ils veulent se montrer très aimables envers quelqu’un, ils lui font une grimace et l’appellent à mi-voix

« vieux cochon »; quand ils ont très peur d’une maladie, ils en prennent l’attitude et en jouent les symptômes. Ce besoin maladif de précision et de contraste se retrouve, comme on le voit, dans un très grand nombre de tics.

Un autre groupe de tics se rattache à un état d’esprit analogue et dépend de la manie des précautions. On sait que la manie de la propreté est l’origine d’une foule d’actions absurdes et de tics plus ou moins complets. Combien de sujets se lavent les mains toutes les cinq minutes ou bien les frottent indéfiniment l’une contre l’autre, pour enlever des taches, ou les tiennent droites en l’air, pour qu’elles ne soient pas souillées. Combien d’autres serrent les dents, toussent, crachent continuellement, pour éviter d’avaler des épingles, des petites mouches ou des microbes.

Le sentiment du mécontentement, qui existe au fond de toutes les manies mentales, détermine la célèbre manie de la répétition. Cette malade se lève de sa chaise, puis se rasseoit, puis se relève, se rasseoit encore et ainsi indéfiniment. Cette autre rouvre et ferme la porte dix fois de suite pour s’assurer qu’elle est bien fermée, ou va cent fois de suite fermer et ouvrir le bec de gaz. Ce besoin du recommencement, du retour en arrière peut s’appliquer aux choses les plus invraisemblables et j’ai eu à soigner une femme qui, avant de s’endormir, se relevait de son lit soixante fois de suite pour aller aux cabinets et vérifier si elle avait bien complètement uriné. Elle était épuisée de froid et de fatigue avant de pouvoir arrêter ce manège.

Souvent les malades ne se bornent pas à répéter l’acte, ils cherchent à le perfectionner, à le rendre plus complet. Ils inventent des trucs, des procédés pour mieux faire l’action. On en connaît qui inventent ainsi des systèmes pour tenir la plume d’une façon bizarre, pour bien parler, pour bien fumer, pour bien respirer : « En tout j’aspire à l’idéal, je creuse le sujet et je le dissèque à fond ». Aussi ce pauvre homme en vient-il à vouloir avaler une goutte d’eau entre chaque respiration : perpétuellement, il crache, il rote, il fait des grimaces de la façon la plus dégoûtante. Beaucoup de bégaiement, de

contorsions de la face, de démarches bizarres chez les enfants sont des perfectionnements de ce genre.

Dans un autre groupe, le phénomène mental qui accompagne le tic est un peu différent, le malade se sent poussé à accomplir le mouvement, non pour faire mieux quelque chose, mais pour compenser quelque chose de fâcheux, pour se défendre contre une influence nuisible. Quand les nécessités de la politesse ont contraint Jean, bien malgré lui, à toucher la main d’une femme, il lui faut pour compenser toucher bien vite la main d’un homme. Quand il est entré à l’église de la Madeleine (qui porte un nom de femme), il faut qu’il entre au moins un instant dans une autre église pour effacer cette impression. Dans les manies de l’expiation, la deuxième action qui doit compenser la première a un caractère désagréable, pénible, elle prend l’apparence d’une punition. « Il faut esquisser le geste de s’agenouiller au milieu du salon, donner un coup de coude dans les meubles en passant pour se punir de mauvaises pensées ». Une jeune fille, qui trouve obscène d’aller aux cabinets, s’oblige à faire des révérences avant d’y entrer. À un degré plus compliqué, ce trouble mental donne naissance à la manie des pactes et des conjurations qui est extrêmement importante et qui trouble la vie de beaucoup de personnes. Elles songent à l’action future et s’engagent d’avance à la réparer; elles se promettent de subir un châtiment où elles s’imposent même le châtiment tout de suite. « Je jure de recommencer ma prière du matin dix fois, vingt fois, mille fois sinon, je penserai du mal de Dieu devant les églises ». Une autre croit indispensable de répéter dix fois cette formule : « Non, je ne le ferai pas, arrière Satan », sinon elle croit que dans la journée elle vouera ses enfants au diable. Un autre doit faire huit et seize fois une secousse du ventre, sinon il aura une tête de femme dans l’estomac. Ces malades en arrivent à faire toute la journée des grimaces, des secousses, des mouvements bizarres, à murmurer constamment des mots absurdes pour s’encourager à une action ou pour s’empêcher d’en faire une autre et pratiquement ils ne parviennent plus à rien faire.

Il est important de savoir que chez les psychasténique, comme chez l’hystérique, ces mouvements forcés, ces agitations peuvent grandir et déterminer des phénomènes analogues à la crise d’hystérie d’un diagnostic souvent difficile. Au premier degré, ce seront des

mouvements de marche : le malade ne peut tenir en place, il va et vient dans la chambre indéfiniment ou bien il sort et marche devant lui sans pouvoir s’arrêter. Puis ce seront des manies des efforts : le malade éprouve le besoin de se contorsionner, de contracter ses membres, de faire de grandes inspirations, comme s’il faisait d’énormes efforts pour s’exciter à faire mieux. Au dernier degré, il ne pourra plus résister au besoin de se rouler par terre, de se contorsionner de mille manières, exactement comme l’hystérique en crise; mais il y a toujours, à mon avis, une grande différence; c’est qu’il conserve la conscience de sa personnalité beaucoup plus que l’hystérique. Ces malades éprouvent le besoin de tout renverser, de briser des objets, mais en réalité ils ne brisent rien qui ait quelque valeur, ils ne se font aucun mal, ils s’arrêtent toujours au point qu’il leur semble nécessaire, ils cessent brusquement quand ils voient entrer une personne à qui ils ne veulent pas se montrer dans cet état. Quand la crise est finie, ils en conservent un souvenir complet. En un mot, il n’y a pas chez eux un automatisme véritable se développant à leur insu. L’agitation motrice laisse toujours subsister la conscience personnelle et elle est toujours rattachée à leur conscience, sinon à leur volonté.

3. - Les caractères des agitations motrices

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