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1. - Les paralysies hystériques

Dans le document LES NÉVROSES (Page 105-112)

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Ces paralysies surviennent à peu près dans les mêmes circonstances que les autres symptômes de la névrose : il s’agit toujours d’un accident en lui-même minime qui est accompagné d’une violente émotion et de troubles de l’imagination. Un cas déjà ancien et fort intéressant au point de vue historique est tout à fait typique : je fait allusion à l’observation d’Estelle qui donna lieu au beau livre d’un ancien magnétiseur, Despine (d’Aix), en 1840. Il s’agit d’une jeune fille de douze ans, qui, malgré la défense de sa mère, s’est mise en colère, s’est disputée et battue avec une de ses petites amies; dans l’ardeur du combat, elle a été renversée et s’est assise brusquement par terre. Cette chute sur le derrière a été compliquée par une circonstance aggravante, c’est que la robe a été fortement salie à un endroit significatif. Petite douleur insignifiante qui n’empêche pas la fillette de se relever et de rentrer, mais, émotion pénible, sentiment de honte et de crainte, effort de dissimulation : voilà le résume de l’accident. Le lendemain, cette jeune fille a commencé une paralysie complète de deux jambes, une paraplégie grave qui a duré huit ans.

Le fait mérite d’être relevé : huit ans de paralysie des membres inférieurs pour être légèrement tombée sur le derrière. Ces phénomènes n’étaient guère connus à cette époque que de ces singuliers magnétiseurs.

Plus tard différents auteurs comme Brodie, Todd, Duchenne (de Boulogne), Russell, Reynolds, Charcot, Oppenheim et beaucoup d’écrivains contemporains se sont mis à étudier ce qu’on appelait d’abord la névrose traumatique. En effet, les accident traumatiques sont parmi les causes les plus fréquentes de ces paralysie; ainsi on les observe souvent à la suite des catastrophes de chemins de fer et certains médecins anglais avaient même adopté pour les désigner

l’expression « railway’s spine ». Les chutes de voitures, les chutes de cheval, les chocs dans les bagarres en sont aussi l’origine la plus commune : un charretier ivrogne tombe de son siège sur le bras droit et présente ensuite une paralysie de ce bras; un jeune homme de dix-huit ans tombe dans un escalier sur le dos, il a une paralysie des jambes et des contractures des muscles lombaires, etc. Souvent le choc n’est qu’imaginaire : le célèbre malade des premières leçons de Charcot croit avoir été écrasé par une voiture qui n’a pas du tout passé sur lui et il a cependant les deux jambes paralysées. Une des dernières observations que j’ai recueillies est très singulière à ce point de vue : un individu a commis une imprudence en chemin de fer; pendant que le train est en marche, il est descendu sur le marche-pied pour passer d’une portière à l’autre. Il s’est aperçu à ce moment que le train allait entrer sous un tunnel et il s’est imaginé que le côté gauche de son corps qui dépassait allait être pris en écharpe et écrasé contre la paroi du tunnel. En pensant à ce danger terrible, il s’est évanoui; mais heureusement pour lui il n’est pas tombé sur la voie, il a été tiré par des amis dans l’intérieur du wagon et son côté gauche n’a pas même été frôlé. Cela n’empêche pas que cet individu a réalisé les jours suivants une hémiplégie gauche tout à fait complète.

D’autres circonstances peuvent agir de la même manière, les fatigues par exemple, lorsqu’elles sont localisées à un membre, peuvent amener de telles paralysies. Un peintre a senti sa main droite très fatiguée pendant qu’il peignait un plafond, il a présenté à la suite d’une grave monoplégie de la main droite, et il ne s’agissait pas de paralysie saturnine, comme on pourrait le croire. J’ai constaté le même fait chez une jeune fille qui apprenait le violon, chez plusieurs autres personnes qui fatiguaient leurs mains sur le piano. Mais ici encore il faut qu’à la fatigue se joigne l’état émotionnel, comme dans la célèbre observation de Féré. Une jeune fille qui travaillait à apprendre un morceau de piano a présenté subitement une paralysie de la main droite au moment où elle devait jouer son morceau dans une cérémonie. La part de l’émotion est si grande qu’elle peut agir seule et s’ajouter à une fatigue purement imaginaire, comme dans cette autre observation de Féré. Une jeune fille rêve la nuit qu’elle est poursuivie par un individu et qu’elle court très fort dans les rues de Paris pour lui échapper, elle rêve qu’elle est épuisée de fatigue quoiqu’elle n’ait point bougé : le lendemain elle n’en est pas moins

paraplégique. Enfin, il y a des paralysies qui s’installent à la suite de somnambulismes et de crises d’agitation motrice; mais, comme nous le verrons plus tard, elles portent sur des membres qui ont été autrefois paralysés, qui présentaient déjà d’autres troubles hystériques du mouvement, ou qui avaient en eux des causes d’affaiblissement, déformations rachitiques, anciennes cicatrices, varices, etc., ce qui produit la localisation de la névrose.

Ces paralysies ainsi déterminées peuvent être très diverses : une des formes les plus curieuses et les plus intéressantes au point de vue psychologique est celle que l’on connaît sous le nom de paralysie systématique, parce qu’elle porte sur une fonction, sur un acte, plutôt que sur un membre tout entier. Plusieurs auteurs dont les premiers furent Jaccoud, Charcot, Blecq, Séglas, avaient signalé une forme de paralysie hystérique très singulière et au premier abord peu intelligible. Il s’agissait de sujets, le plus souvent de jeunes gens, qui semblaient ne pas avoir la moindre paralysie des jambes, quand on les examinait dans leur lit : non seulement les réflexes étaient intacts, mais les mouvements eux-mêmes paraissaient parfaitement conservés.

Si on leur demandait de lever la jambe, de la plier, de la tourner à droite ou à gauche, ils accomplissaient exactement tout ce qu’on leur disait de faire; bien plus ils semblaient avoir conservé une très grande force, tout à fait suffisante et comparable à la force normale. Alors, dira-t-on, ils n’avaient aucun trouble du mouvement des jambes : ils étaient cependant tout à fait incapables de marcher. Dès qu’on essayait de les mettre debout sur le sol, ils fléchissaient, ils contorsionnaient leurs jambes, ils les lançaient de tous les côtés à tort et à travers et ils finissaient par tomber sans avoir fait un pas; cette impuissance singulière se prolongeait pendant des semaines et des mois. Ces malades semblaient réaliser ce paradoxe de n’avoir aucune paralysie des jambes et de ne pas pouvoir marcher. Chez quelques-uns de ceux qu’a décrits Charcot, la comédie était plus complète encore; ils étaient capable d’accomplir avec leurs jambes certains actes particuliers qui semblaient très compliqués, ils pouvaient sauter, danser, marcher à cloche-pied, courir, mais ils tombaient par terre dès qu’ils essayaient de marcher; la marche simple et correcte était la seule chose qu’ils ne pouvaient plus faire. Pendant quelque temps ce symptôme bizarre qu’on appelait l’astasie-abasie hystérique resta à peu près isolé; mais bientôt il fallut reconnaître qu’il y avait beaucoup

de paralysies analogues à celles-là et que les paralysies systématiques étaient même assez fréquentes. Certains sujets peuvent encore marcher et ne peuvent pas se tenir debout, d’autres perdent certaines fonctions des mains. Par exemple ils oublient souvent leur métier;

une couturière ne sait plus coudre, quoiqu’elle n’ait aucune paralysie de la main, une blanchisseuse ne sait plus tenir le fer à repasser, ou, ce qui est très fréquent, les jeunes filles ne savent plus du tout écrire ou jouer du piano. On a montré autrefois des faits du même genre à propos des fonctions de la bouche : le malade ne sait plus siffler ou souffler tandis qu’il peut faire tous les autres mouvements des lèvres.

Ces exemples suffisent pour montrer qu’il y a très souvent chez les hystériques des paralysies systématiques dans lesquelles le sujet ne perd pas tous les mouvements d’un membre, mais seulement un certain système de mouvements groupés par l’éducation en vue d’un même but, pour exécuter un certain acte.

Dans un second groupe se rangent les paralysies localisées dont les limites semblent déterminées par la forme anatomique d’un membre plutôt que par une fonction systématique; elles semblent enlever toutes les fonctions d’un bras, d’une jambe, d’une main. Elles peuvent porter aussi sur la face et sur le tronc, quoique ces faits soient moins fréquents et moins bien connus. J’ai publié à ce propos l’observation d’une jeune fille de quinze ans qui, après une chute dans un puit, a présentée pendant plusieurs mois une paralysie totale des muscles du tronc. Si on la mettait assise, le corps tombait indéfiniment d’un côté ou de l’autre, sans qu’elle pût aucunement se soutenir. On voit par cet exemple que ces paralysies localisées ont la même origine que les précédentes, qu’elle se développent après des chocs, des émotions, ou des fatigues. Nous retrouvons ici ces jeunes filles dont la main droite se paralyse complètement parce qu’elles se fatiguent à préparer un morceau de piano et qu’elles doivent le jouer dans une cérémonie impressionnante. Il faut seulement ajouter que des paralysies localisées peuvent se développer à la suite des paralysies systématiques précédentes dont elles semblent ainsi n’être qu’un degré plus élevé; pendant un certain temps il n’y a qu’une forme d’astasie-abasie, puis peu à peu une jambe ou les deux jambes se paralysent complètement. On vient de voir l’observation de cette ouvrière qui, à la suite d’émotions dans son travail, a eu une paralysie systématique de la couture. Avant de parvenir à la guérison, elle a

traversé des périodes variées pendant lesquelles, tantôt la paralysie était nettement limitée à la couture, tantôt elle s’étendait plus loin sur un plus grand nombre de fonctions de la main et l’empêchait par exemple aussi de bien tenir un crayon, tantôt elle était tout à fait complète et supprimait tous les mouvements de la main que la malade ne pouvait plus bouger volontairement.

La paralysie peut s’étendre encore davantage et atteindre plusieurs membres à la fois : par exemple, elle peut prendre la forme paraplégique dans laquelle les deux jambes sont paralysées complètement. Cet accident survient souvent quand une émotion surprend l’individu pendant la marche et qu’elle produit l’affaiblissement, le dérobement des jambes. Une jeune infirmière de vingt-cinq ans, qui avait sans doute peu de préparation pour son métier, vit la nuit une malade en crise de somnambulisme qui se levait et qui circulait enveloppée dans un drap. Elle la prit pour un fantôme et eut une peur terrible; elle sentit ses jambes flageoler et tomba sans pouvoir se relever. À la suite de cette émotion elle resta paraplégique pendant plusieurs mois. Cet accident survient aussi après les accouchements et après les maladies un peu longues dans lesquelles les malades sont restés au lit. Enfin c’est là un accident qui se rattache très souvent à toutes les émotions génitales; la paraplégie s’observe fréquemment non seulement après les accouchements, mais après les viols, après les excès de masturbation ou simplement dans le cour d’une émotion amoureuse; c’est une remarque dont il faut se méfier dans le traitement de ces affections. Bien entendu la paraplégie peut se développer après toutes les paralysies systématiques des jambes, en particulier après l’abasie, et souvent elle peut alterner avec elle.

Une autre forme de ces paralysies étendues à plusieurs membres qui a été plus étudiée aujourd’hui c’est l’hémiplégie. Une moitié du corps est entièrement paralysée, d’ordinaire il est vrai, la paralysie hystérique touche les membres plutôt que la face, mais ce n’est pas une règle absolue. Quand la paralysie siège du côté droit, il arrive souvent que la parole soit troublée comme dans les hémiplégies organiques et qu’un certain degré de mutisme accompagne la paralysie du bras et de la jambe. Voici l’observation d’une jeune fille de dix-neuf ans, fille d’une mère épileptique et ayant déjà présenté des

accidents névropathiques, qui est tombée gravement malade à la suite de la mort de son père. La pauvre enfant le soutenait de son bras droit pendant toute l’agonie; le soir même après la mort, elle se sentit épuisée de fatigue surtout du côté droit, et sa jambe droite tremblait quand elle essayait de s’appuyer sur elle; elle n’a pas pu dormir, croyant à chaque instant voir et entendre son père. le lendemain matin, elle eut des souffrances dans le ventre et constata la réapparition des règles en dehors de leur époque; elle se plaignait en outre d’une faiblesse plus grande du côté droit. Le surlendemain, le bras et la jambe droite remuaient encore un peu, mais tremblaient continuellement; le troisième jour, l’hémiplégie droite était complète et la parole était entièrement perdue. Grâce à un traitement purement suggestif, les mouvements sont revenus graduellement au bout de quinze jours et se sont rétablis d’une façon complète ainsi que la parole.

C’est ici le moment de faire observer que cette hémiplégie peut survenir d’une façon plus dramatique à la suite d’une attaque convulsive ou d’un sommeil profond qui simule alors complètement l’attaque d’apoplexie. Le diagnostic est dans certains cas très délicat et, quoique l’hypothèse d’une hémiplégie fonctionnelle et d’un sommeil hystérique associé avec elle semble singulière, il faut cependant y penser. Il n’y a pas longtemps, j’ai constaté un accident de ce genre chez un homme de cinquante ans qui au premier abord semblait tout à fait avoir eu une apoplexie véritable suivie d’hémiplégie. Mais il ne présentait absolument trouble des réflexes, il avait des mouvements subconscients dont on verra tout à l’heure l’importance, il avait eu autrefois toutes sortes d’accidents névropathiques et il me parut plus sage de considérer son accident comme hystérique; une guérison complète après un traitement purement moral vint d’ailleurs confirmer cette interprétation.

À ces diverse paralysies bien connues je voudrais ajouter une dernière forme qui est rarement signalée à cette place. M. Paul Richer a signalé des quadriplégies, c’est-à-dire des paralysie qui portent à la fois sur les quatre membres et il remarque qu’elles sont rares. Je crois que l’on peut observer plus fréquemment des paralysies absolument totales portant sur tous les mouvements volontaires aussi bien sur ceux de la face que sur ceux des membres. Les sujets sont absolument

immobilisés, incapables de réagir par aucun mouvement volontaire aux excitations qu’ils sentent cependant fort bien. Aussi les prend-on d’ordinaire pour des sujets endormis et méconnaît-on la véritable nature du phénomène en l’appelant une crise de sommeil. Le fait caractéristique consiste en ce que les sujets sentent tout et se souviennent de tout quand ils sortent de cet état, après plusieurs heures ou même plusieurs jours. Ils racontent tout ce qui s’est passé autour d’eux, ils disent qu’ils ont essayé de bouger, de se défendre, mais qu’ils n’ont pas pu faire le moindre mouvement. Des faits de ce genre ont souvent joué un rôle dans les histoires de léthargie ou de mort apparente.

Ces paralysies que nous venons de distinguer par leurs formes peuvent aussi se distinguer par leurs degrés. Dans les cas typiques, elles sont complètes et portent sur toutes les forme et tous les degrés du mouvement supprimé. Dans beaucoup de cas elles sont incomplètes et semblent ne porter que sur une partie du mouvement.

Ainsi, dans l’amyosthénie, le mouvement atteint s’exécute encore en partie, mais avec lenteur et avec faiblesse. Ce qui est supprimé, c’est la forme vive, énergique du même mouvement ou, si l’on préfère, ce qui est supprimé, c’est le phénomène de l’effort appliqué à ce même mouvement.

Une forme très curieuse de ces paralysies incomplètes est celle à laquelle j’ai proposé autrefois de donner le nom de syndrome de Laségue 18. Quoique Laségue en ait donné l’analyse la plus précise, le fait était déjà signalé autrefois comme une curiosité. L’une des premières descriptions est celle de Charles Bell en 1850 : « Une mère nourrissant son enfant, disait-il est atteinte de paralysie; elle perd la puissance musculaire d’un côté du corps et en même temps la sensibilité de l’autre côté. Circonstance étrange et vraiment alarmante, cette femme ne pouvait tenir son enfant au sein avec le bras qui avait conservé la puissance musculaire qu’à la condition de le regarder sans cesse. Si les objets environnants venaient à distraire son attention de la position de son bras, ses muscles se relâchaient peu à peu et l’enfant était en danger de tomber ». Beaucoup d’auteurs comme Trousseau, Jaccoud, Landry, Briquet et surtout Laségue en

18 État mental des hystériques, stigmates mentaux, 1893, I, p. 174.

1864, ont examiné des cas de cette singulière affection qui semblait être une énigme médico-psychologique. Ces sujets avaient très bien conservé le mouvement tant qu’ils regardaient leurs membres, mais ils devenaient paralysés dès qu’ils ne pouvaient plus les voir. Il en résulte qu’ils étaient paralysés quand on leur fermait les yeux et qu’ils étaient également paralysés dans l’obscurité. Certains auteurs avaient même cru à ce propos qu’ils s’agissait de paralysie périodiques et nocturnes; en réalité, ce trouble bizarre n’est qu’un degré, qu’une forme des paralysies fonctionnelles précédentes.

2. - Les tremblements

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