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4. - Les caractères des idées fixes hystériques

Dans le document LES NÉVROSES (Page 30-36)

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Pour comparer ces phénomènes reprenons les idées fixes complètes, incomplètes ou partielles, que nous avons observées dans le premier groupe de malades et voyons leur caractères essentiels.

1° Le premier caractère, bien visible et très important de ces rêves, c’est l’intensité et la perfection de leur développement. Tous les phénomènes en rapport avec l’idée qui domine le rêve semblent démesurément grandis. Sans doute, nous avons tous des expressions de physionomie, des attitudes du corps en rapport avec nos sentiments et nos idées, mais nos expressions semblent petites, incomplètes, contradictoires à côté de ces merveilleuses expressions que l’on rencontre chez les somnambules ou chez les extatiques. Quand le sujet agit, il a une précision, une complexité de mouvements qui font de lui un admirable acteur, plus habile quelquefois qu’il ne pourrait être à l’état de veille. Notre malade, qui croyait sauver son enfant, courait sur les toits mieux qu’il n’aurait pu le faire à l’état normal, même s’il n’eut pas été paralysé. Les scènes érotiques se déroulent avec un réalisme qui n’est troublé par aucune pudeur. Aussi n’est-il pas surprenant, comme nous l’avons vu , que de tels délires amènent quelquefois des actes graves. Beaucoup d’auteurs, comme Legrand du Saulle, 1852, Yellowlees, 1878, Féré et Motet, 1881, Pitres, Gilles de la Tourette, Barth, Biaute, 1904, ont signalé des crimes et des suicides commis dans ces conditions.

Cette même perfection qui amène la réalisation des actes existe aussi dans la représentation des images; les choses auxquelles pense le malade comme conséquence de son idée fixe deviennent dans cet état de véritables hallucinations. Il n’existe guère de maladie mentale où les hallucinations soient aussi complètes et aussi indiscutables : il n’y a guère que dans le délire alcoolique que l’on trouve des hallucinations visuelles comparables. L’attitude du sujet, ses expressions de physionomie, ses paroles nous montrent qu’il voit et qu’il entend exactement comme s’il s’agissait d’objets réels. Tous les sens sont intéressés et se complètent l’un par l’autre : dans certains cas d’hallucinations érotiques, le sujet décrit minutieusement les impressions de tous les sens, il sent les poils de la moustache de

l’individu qui l’embrasse aussi bien qu’il voit sa figure et qu’il a senti l’odeur de sa cigarette. Cette transformation de toutes les impressions en images et souvent en images visuelles explique beaucoup de phénomènes qu’on observe chez l’hystérique et en particulier sa prétendue lucidité. Elle voit à distance, et décrit si bien des endroits éloignés que les auditeurs naïfs croient qu’elle s’y est transportée; elle voit si bien le paradis et l’enfer qu’elle y fait croire les assistants; bien mieux, elle voit ses organes internes, c’est-à-dire qu’elle transforme en spectacle visuel ses vagues notions anatomiques et les impressions qu’elle ressent de ses différents organes.

Il est inutile de revenir sur le développement de la parole, qui est poussé à l’extrême et qui donne une sorte d’éloquence à des sujets d’ordinaire incapables de parler de cette façon : ce caractère se rattache étroitement aux deux précédents.

2° Le deuxième caractère essentiel me paraît consister dans la régularité de ce développement : le sujet répète les mêmes mots aux mêmes instants, fait les mêmes gestes à la même place toutes les fois qu’il recommence la comédie. Il semble avoir sur ce point une mémoire merveilleuse : quand il a adapté son somnambulisme à une salle donnée, il se souvient de tout ce qu’il a fait aux différents endroits de cette salle, il sait dans quel tiroir il a pris des photographies pour les manger, dans quelle table il a trouvé un morceau de bois qui simulait pour lui un revolver, il va directement à cet endroit, sans hésitation, se rappelant parfaitement ce qu’il veut y trouver. Quelquefois dans le cours des différents somnambulismes, la scène qui est jouée se continue au lieu de se répéter et le sujet semble se souvenir parfaitement du point de son histoire où il était resté dans la crise précédente. On connaît l’histoire d’un somnambule de Charcot qui dans les crises se croyait journaliste et écrivait un roman.

Il se réveillait après avoir écrit deux ou trois pages qu’on lui enlevait;

dans la prochaine crise, il recommençait son roman exactement au point où il l’avait laissé. Ces observations nous montrent quel rôle considérable jouent dans ces phénomènes l’association des idées et la mémoire.

3° En opposition avec ce développement brillant de certains phénomènes on constate avec étonnement d’étranges lacunes

mentales. Ce sujet qui semble avoir des sensations très précises, puisqu’il sait marcher sur les toits, chercher des objets dans un tiroir et qu’il voit très bien le lit où, dans son imagination agonise sa mère, ce même sujet ne semble pas du tout percevoir les autres objets qui l’environnent. C’est là ce qui avait frappé tout d’abord l’observation populaire : on peut parler à ces malades, ils ne vous répondent pas; on peut essayer par tous les moyens de se mettre en rapport avec eux, ils ne semblent pas vous apercevoir; les objets que l’on met devant leurs yeux ne changent en aucune façon leur rêve. Comme le remarque le médecin de lady Macbeth, les yeux paraissent ouverts, mais sont fermés à tout impression. Disons mieux aujourd’hui : ils sont fermés à toute impression qui ne se rapporte pas à leur rêve. Pour se faire entendre, il faut rêver avec le sujet et ne lui dire que des paroles qui s’accordent avec son délire.

De même que le sujet ne perçoit rien en dehors de son idée dominante, de même il ne se souvient de rien en dehors cette idée, il ne sait plus où il est, il ne sait plus les changements survenus depuis l’époque qu’il récite, souvent il ne sait même plus son nom. Il n’a des souvenirs, comme des sensations, que dans une sphère très restreinte.

4° Le somnambulisme se termine, le sujet revient à la conscience, nous voyons alors de nouveaux caractères s’ajouter aux précédents.

Le malade a repris les sensations, les souvenirs qu’il avait perdus, il sait son nom, il sait où il est, il se souvient de tous les événements de sa vie, il paraît avoir son caractère et sa personnalité ordinaire. Mais, chose surprenante, dans cette personnalité, le somnambulisme a laissé une lacune; le sujet paraît avoir oublié toute cette période précédente, qui nous a tant surpris par son caractère dramatique. Il ne s’en préoccupe pas, ne cherche pas à continuer son rêve ou à le contredire, il ne cherche pas à s’excuser de toutes les absurdités qu’il vient de faire devant nous, il semble ne pas se douter qu’elles aient eu lieu.

Quand on l’interroge sur ce qu’il vient d’éprouver, il répond d’une manière fort vague, il se souvient des malaises du début, des dernières périodes de la crise, quelquefois il sait vaguement qu’il a crié, il sait, d’après ce qu’on lui a dit, qu’il parle, dans ses crises, mais tout cela est très léger et, en réalité, il n’a pas le souvenir de l’idée qui a joué un si grand rôle dans sa crise, ni des détails de son développement.

Certains fait nous montrent quelquefois la profondeur de cet oubli : des malades qui volent ou prennent des objets dans leurs crises et qui les cachent ne peuvent plus les retrouver, d’autres qui se sont blessés ne comprennent pas l’origine de leurs contusions. Beaucoup ont avoué tout haut devant nous toutes sortes de choses qu’ils voulaient nous cacher, ils restent convaincus que nous ne les savons pas; ils n’ont aucunement les sentiments de gêne qu’ils auraient , s’ils soupçonnaient que nous sommes renseignés. Il y a une foule d’indices moraux qui nous montrent l’importance de cette amnésie.

Comme ce phénomène est très important et que nous aurons à y revenir dans le chapitre suivant, il nous suffit de constater ici son existence.

Quand les idées fixes ne sont pas complètes, quand elles prennent la forme que nous avons appelée partielle, le sujet, comme on l’a vu, ne perd pas conscience pendant que s’exécutent les mouvements, pendant que se développent les hallucinations. Il n’y a plus, ici, d’amnésie proprement dite, mais il y a un phénomène analogue, c’est l’inconscience. Pendant que sa main écrit les billevesées en rapport avec l’idée de sa mort, My… ne paraît pas se douter de ce qui se passe, elle ne sent pas ses actes, ou ne les sent qu’incomplètement sans les comprendre. Cette malade qui, toute éveillés, rêvait à se jeter dans la Seine, sentait réellement qu’elle tombait, mais n’avait pas conscience des mouvements qu’elle avait faits pour sauter, ni des idées qui avaient amené ces mouvements, puisqu’elle attribuait sa chute à un vertige et venait consulter pour ce vertige. Sans doute, l’interprétation de cette inconscience présente beaucoup de difficultés : on peut se demander, en particulier, si la seconde série de pensées, qui constitue le rêve est, elle aussi, accompagnée d’une certaine sorte de conscience, si les deux séries de phénomènes psychologiques sont bien simultanées. Peu importe ici, l’essentiel c’est que le système de pensées qui constitue la personne, la conscience personnelle, semble être plus ou moins séparé cet autre système de pensées qui constitue l’idée fixe.

On peut, en effet, résumer tous ces caractères de la manière suivante : une idée, la mémoire d’un événement, la pensée de la mort de sa mère, par exemple constituent des groupes de faits psychologiques étroitement associés les uns avec les autres; ils

forment des espèces de systèmes comprenant toutes sortes d’images et toutes sortes de tendances à des mouvements. Ces systèmes, dans notre esprit, ont une grande tendance au développement, lorsqu’ils ne sont pas arrêtés, contenus par quelque autre pouvoir. On peut représenter ce système de faits psychologiques qui constitue une idée par un système de points réunis par des lignes formant une sorte de polygone. Le point V (figure 1) représente la vue de la figure et de la mère morte. Le point A est le son de sa voix. Le point M est le sentiment du mouvement fait pour soulever son corps et ainsi de suite.

Chaque point est réuni avec les autres, de telle manière qu’on n’en peut pas exciter le premier sans faire apparaître le seconde et que tout le système a une tendance à se développer complètement 7.

Mais en même temps, dans les esprits bien portants, ces systèmes relatifs à chaque idée sont en rapport avec un système infiniment plus vaste dont ils ne sont qu’une partie, le système de notre conscience tout entière, de toute notre individualité. Le souvenir de la mort de sa mère, l’affection qu’Irène sent pour elle, avec tous les souvenirs qui s’y rapportent ne forment qu’une partie de l’ensemble de la conscience de cette jeune fille. Admettons que ce grand cercle P auprès du petit polygone représente toute la personnalité de la jeune fille, le souvenir de tout ce qui lui arriva dans sa vie antérieure.

Normalement, dans l’état de santé, le petit système est réuni au grand

7 Automatisme psychologique, 1889, p. 55, 199.

et il en dépend, il n’est éveillé que lorsque l’ensemble de la conscience y consent et seulement dans les limites où cette conscience le permet. Pour nous représenter ce qui se passe dans l’esprit de toutes ces hystériques, on peut adopter ce simple résumé provisoire. Les choses se passent comme si une idée, un système partiel de pensée s’émancipait, devenait indépendant et se développait lui-même pour son propre compte. Le résultat est que, d’un côté, il se développe beaucoup trop et que de l’autre la conscience totale présente une lacune, amnésie ou inconscience relatives à cette même idée.

Cet ensemble de caractères nous semble assez net pour constituer un groupe de symptôme bien distincts. C’est là une forme de délire très spéciale que l’on ne rencontre pas dans tous les troubles de l’esprit. Il est accompagné, comme nous le verrons, de plus en plus par d’autres symptômes qui obéissent aux mêmes lois; c’est pourquoi nous conviendrons de donner à ce groupe un nom particulier et nous dirons, dorénavant, que les délires ayant ces caractères d’une manière nette ou s’en approchant suffisamment, sont des délires hystériques.

5. - Les caractères des obsessions

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