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4. - Les phobies du langage

Dans le document LES NÉVROSES (Page 75-80)

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Existe-t-il chez le psychasténique un phénomène qui puisse être comparé au mutisme des hystériques? Pas précisément, car ce malade ne perd jamais complètement le pouvoir de parler. Il sent toujours qu’il pourrait parler, s’il le voulait, et, d’ailleurs, il arrive à parler dans tous les cas. Mais il n’en est pas moins vrai qu’il ne parle pas quand il le faudrait, qu’il est quelquefois dans l’impossibilité de se servir de sa parole, ce qui, pratiquement, revient au même résultat que s’il était muet. C’est ce qui a lieu quand il est atteint de certains troubles que nous pouvons appeler les phobies de la parole. Ce problème est très important, et la comparaison des phobies avec les phénomènes hystériques correspondants est extrêmement instructive. Aussi retrouverons-nous cette étude dans un chapitre suivant, à propos des troubles plus généraux du mouvement et de l’action. Ce n’est ici qu’une introduction à l’étude des phobies à l’occasion d’un cas tout particulier.

Un homme de trente-huit ans, Bq.., est soigné depuis cinq ans pour de prétendues lésions du larynx; il a été dans plusieurs villes d’eaux; il

a subi toutes sortes de traitements. C’est que, depuis plusieurs années, la parole est devenue pour lui de plus en plus difficile : quand il essaye de parler, il ressent une faiblesse générale, ses jambes flageolent, sa respiration s’arrête et son corps se couvre de sueurs.

Aussi n’essaye-t-il jamais de parler, car il sent qu’il tomberait par terre s’il commençait à parler, et il préfère éviter ce danger qu’il juge très grave. Il rattache tous ces troubles à des lésions tuberculeuses qu’il croit avoir dans la gorge : l’examen le plus attentif, répété par des spécialistes, démontre que le larynx est absolument sain. Un peu de pharyngite, survenue il y a des années, et l’inquiétude causée par son métier de mécanicien, « qui l’expose aux poussières de charbon », ont déterminé la localisation de cette phobie. Ce n’est qu’une peur à propos du langage; mais puisqu’il ne la surmonte pas et qu’il ne veut nous répondre qu’en écrivant sur un papier, il se conduit en réalité, comme un muet.

Les phobies du langage n’ont pas toujours la forme précédente : elles se rattachent le plus souvent à d’autres sentiments, à des sentiments de mécontentement, de timidité, de honte, à des sentiments d’infériorité par rapport à tout le monde. Ces sentiment troublent beaucoup d’actions, en particulier celles qui doivent être effectuées devant les autres hommes et principalement le langage qui est le type des phénomènes sociaux. Cette impuissance à agir devant les hommes, cette aboulie sociale constitue l’essentiel de la timidité. Ce trouble joue un rôle considérable chez presque tous les malades psychasténiques; il en est bien peu qui, à un moment de leur existence et quelquefois pendant toute leur vie, n’aient pas été rendus impuissants et surtout muets par la timidité. Ne pas pouvoir jouer du piano devant les témoins, ne pas pouvoir écrire si on vous regarde et surtout ne plus pouvoir parler devant quelqu’un, avoir la voix rauque, aiguë, ou rester aphone, ne plus trouver une seule pensée à exprimer quand on savait si bien auparavant ce qu’il fallait dire, c’est le sort commun de toutes ces personnes, c’est l’histoire banale qu’ils racontent tous. « Quand je veux jouer un morceau de piano devant quelqu’un ou quand je veux dire quelque chose à quelqu’un, il me semble que l’action est difficile, qu’il y a des gênes énormes, et, si je veux les surmonter, c’est un effort extraordinaire; j’ai chaud à la tête, je me sens perdue et je voudrais que la terre s’ouvre pour m’engloutir ». Cat…, un homme de trente ans, se sauve dès qu’il

entend quelqu’un entrer; il doit renoncer à son métier de professeur, car il ne peut plus faire sa classe devant les élèves : « Je ferais si bien ma classe si j’étais tout seul, s’il n’y avait pas d’élèves, si je parlais à des chaises… » Tous répètent comme Si… : « Je serais parfaite, je ferais tout et surtout je parlerais très bien si je pouvais être tout à fait seule, comme une sauvage, dans une île déserte : la société est faite pour empêcher les gens d’agir et de parler; j’ai de la volonté et du pouvoir pour tout cela, mais je n’ai cette volonté que si je suis seule. »

On admet d’ordinaire que ces troubles de la timidité sont des phénomènes émotionnels. Qu’il y ait des troubles émotionnels, des angoisses chez les timides, j’en suis convaincu. Il y a aussi chez eux de l’agitation motrice, des tics et même de la rumination mentale dont on ne parle pas assez; mais il ne faut pas oublier qu’il y a surtout chez eux de l’impuissance volontaire. Amiel, dans son Journal intime, le remarque très bien : « J’ai peur de la vie objective et je recule devant toute surprise, demande ou promesse qui me réalise; j’ai la terreur de l’action et ne me sens à l’aise que dans la vie impersonnelle, désintéressés, subjective de la pensée. Pourquoi cela? par timidité. ».

Pourquoi hésite-t-on à expliquer par cette impuissance d’action l’essentiel de la timidité. On est frappé de ce fait que les timides, incapables de faire une action en public, la font très bien quand ils sont seuls. Nadia joue du piano et parle tout haut quand elle se croit seule. Cat… ferait très bien sa classe s’il n’avait pas d’élèves; on en conclut qu’ils ne sont pas impuissants à faire l’acte et qu’il faut faire appel à un trouble extérieur à l’acte pour expliquer sa disparition dans la société.

Il y a là un malentendu, l’acte de parler quand on est tout seul et l’acte de causer réellement avec quelqu’un, l’acte de faire une classe imaginaire à des chaises et l’acte de faire une classe réelle devant des élèves en chair et en os ne sont pas du tout les mêmes actes. Le second est bien plus complexe que le premier; il renferme, outre d’énoncé des mêmes idées, des perceptions, des attentions complexes à des objets mouvants et variables, des adaptations innombrables à des situations nouvelles et inattendues qui transforment complètement l’action. Pourquoi un individu sans volonté peut-il faire le premier acte et ne peut-il pas faire le second? Tout simplement, à mon avis, parce que le second acte est plus difficile que le premier. Que des

émotions, des agitations motrices, des bégaiements, des crampes des écrivains, des tics de toute espèce viennent s’ajouter ou mieux se substituer à cet acte qui ne s’accomplit pas, c’est un grand phénomène secondaire dont il faudra tenir compte; mais le fait essentiel, c’est l’incapacité d’accomplir l’acte social et, en particulier, l’acte de parler devant quelqu’un.

C’est ce que l’on vérifie par l’examen des différentes formes de cette timidité. La timidité fait le grand malheur de ces personnes : elles ont un sentiment qui les pousse à désirer l’affection, à se faire diriger, à confier leurs tourments, et elles n’arrivent pas à pouvoir se montrer aimables, à pouvoir même parler. Ce sont tous des « ren-fermés » qui sentent beaucoup, mais qui n’arrivent pas à exprimer. Il en résulte encore une contradiction : ces personnes sont poursuivies par le besoin d’être aimées et d’aimer, elles ne songent qu’à se faire des amis; d’autre part, elles méritent l’affection, extrêmement honnêtes, ayant une peur horrible de froisser quelqu’un, n’ayant aucune résistance et disposées à céder sur tous les points, ne devraient-elles pas obtenir très facilement les amitiés qu’elles recherchent? Eh bien? en réalité, ces individus sont sans amis : ce sont des isolés qui ne rencontrent de sympathie nulle part et qui souffrent cruellement de leur isolement. Comment comprendre cette contradiction? C’est que pour se faire des amis, il faut agir, parler surtout et le faire à propos. Pour attirer l’attention des gens et se faire comprendre d’eux, il faut saisir le moment où ils doivent vous écouter, dire et faire à ce moment ce qui peut le mieux nous faire valoir. Or, nos scrupuleux sont incapables de saisir une telle occasion; comme J.J Rousseau, ils trouvent dans l’escalier le mot qu’il aurait fallu dire au salon. Ont-ils l’idée, ils ne se décident pas à l’exprimer ou ne l’expriment que s’il sont seuls, quand tout le monde est parti. Pour que quelqu’un s’intéresse à eux, il faut qu’il les devine, qu’il fasse tous les efforts pour les mettre à l’aise, pour leur faciliter l’expression. Alors, ils s’accrocheront à lui avec passion et prendront des affections folles et dangereuses. Beaucoup de troubles de leurs sentiments, de leur caractère dépendent au fond de cette incapacité de l’action sociale et surtout de cette incapacité de la parole, qui est bien

chez eux un trouble aussi important que le mutisme chez l’hystérique 16.

16 Beaucoup de ces réflexions rapides sur l’impuissance sociale des psychasténiques sont développées et discutées dans mon travail précédent, Obsessions et psychasténie, p. 355, 375 et pass.

5. - Les caractères psychologiques

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