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5. - Les caractères psychologiques des troubles névropathiques du langage

Dans le document LES NÉVROSES (Page 80-83)

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Quel que soit l’intérêt des remarques précédentes, on éprouve quelque peine à rapprocher ces phobies, ces gênes du langage du véritable mutisme qui semble être quelque chose de plus, puisqu’il est la suppression du langage lui-même. Il faut répéter ici ce que nous avons déjà montré à propos de plusieurs phénomènes hystériques.

Peut-on dire que dans le mutisme précédent la fonction de la parole soit détruite? Cela est bien invraisemblable, si on considère les circonstances dans lesquelles ces accidents se produisent. Le sujet perd la parole subitement après une émotion, quelquefois très légère, quand il a entendu le bruit d’un objet qui tombe sur une véranda, quand il a eu peur d’un ivrogne qui passe à côté de lui. Comment ces petites émotions ont-elles pu tout d’un coup produire un si gros dommage dans l’organisme? Cela est d’autant plus surprenant que nous ne voyons aucune trace laissée par ce grand désordre. Il n’y a aucune paralysie, au moins dans les cas typiques; mais ce qui est plus étrange encore, il n’y a à peu près aucun trouble intellectuel. On sait que l’aphasie proprement dite s’accompagne d’une sorte d’état démentiel et cela se comprend très bien, si on songe au rôle considérable du langage dans la pensée. Aussi il est bien étrange qu’un individu ait subitement perdu toute espèce de parole et qu’il continue à penser aussi clairement qu’auparavant! Enfin cet accident disparaît comme il est venu; depuis le fils de Crésus qui guérit de son mutisme en criant : « Soldat, ne tue pas Crésus! » on voit une foule de ces malades qui guérissent tout d’un coup par une colère, par un éclat de rire, par une surprise. Il faut que la fonction du langage ne soit guère compromise pour qu’elle réapparaisse aussi facilement.

D’autres faits sont plus curieux encore : pendant la période même du mutisme la parole réapparaît de temps en temps dans certaines conditions anormales. Depuis longtemps, on a observé que ces sujets muets toute la journée parlent tout haut dans leurs rêves. S’ils ont des crises délirantes, des idées fixes à forme somnambulique, ils se mettent à parler très librement pendant ces somnambulismes, et même, ce qui est remarquable, dans quelques-unes de ces crises ils parlent énormément. En effet, et c’est une observation clinique très instructive, les deux phénomènes hystériques que nous venons de décrire, l’agitation verbale et le mutisme, sont loin d’être opposés l’un à l’autre; ils sont au contraire étroitement associés. Dans un grand nombre d’observations j’ai pu montrer que ces sujets qui ont des crises d’agitation verbale, qui bavardent pendant des heures entières, sont souvent muets au réveil de leurs crises. On ne peut expliquer ce mutisme par la fatigue, car après une interruption momentanée, ils retombent en crise et recommencent leurs bavardages. Les deux troubles évoluent parallèlement l’un dans la veille, l’autre dans l’état anormal.

Enfin, on peut chez quelques malades reproduire des expériences intéressantes; on peut faire naître des états anormaux qui ne laissent pas de souvenirs conscients et dans lesquels on retrouvera la parole intacte; on peut distraire le sujet, diriger son attention sur autre chose et à ce moment exciter sa parole, sans qu’il la surveille, sans qu’il la sente. Cet individu est muet s’il cherche à parler consciemment, en sachant ce qu’il dit; il n’est pas muet, quand il parle par distraction sans savoir qu’il le fait.

Ces observations soulèvent bien des problèmes, mais comme ce sont toujours les mêmes questions à propos de tous les symptômes hystériques, il faudra réunir leur discussion. Pour le moment nous nous bornons à les résumer en disant que la fonction du langage se comporte exactement de la même manière que les idées fixes à forme somnambulique ou médianimique. Le système d’image, qui composait l’idée fixe se développait avec exagération en dehors de la conscience, mais n’existait plus dans la conscience personnelle du sujet qui présentait une lacune, une amnésie à ce propos. Il en est exactement de même pour la fonction du langage. D’ailleurs, y a-t-il une grande différence entre une fonction et une idée? La fonction est

comme l’idée un système d’images associées étroitement les unes avec les autres, de manière à pouvoir s’évoquer l’une l’autre. La seule différence, c’est qu’une fonction comme celle du langage est un système beaucoup plus considérable que celui d’une idée, elle contient des milliers de termes au lieu du petit nombre des images que nous avions réunies dans le polygone constitutif d’une idée. La seconde différence capitale c’est qu’une idée est un système récent que nous avons formé dans le cours de notre vie, tandis que la fonction est un vaste système établi autrefois par nos ancêtres. Une idée est une fonction qui commence, une fonction est une idée de nos ancêtres qui a vieilli. Il en résulte sans doute qu’il est plus difficile de perdre une fonction que de perdre une idée et c’est pourquoi les accidents hystériques les plus fréquents et les plus élémentaires sont des troubles des idées. Mais cette difficulté n’a rien d’absolu et les mêmes troubles qui s’appliquaient aux idées peuvent s’appliquer aux fonctions. Aussi l’agitation verbale et le mutisme nous semblent présenter les mêmes caractères que l’idée fixe et l’amnésie : les chose se passent comme si la fonction du langage cessait d’être à la disposition de la conscience personnelle qui ne sait plus ni l’arrêter ni la provoquer. La fonction du langage subsiste, mais elle est simplement diminuée en ce sens qu’elle n’est plus consciente ni personnelle.

Dans ce cas, ces troubles hystériques du langage ne sont plus aussi différents qu’ils semblaient l’être des troubles psychasténiques.

Ceux-ci ne consistaient pas non plus en une suppression complète de la fonction du langage; mais chez ces malades la fonction du langage était réduite, diminuée, elle ne pouvait plus s’exercer dans les conditions difficiles, elle cessait d’être possible quand elle devait être sociale, elle ne pouvait plus être utilisée à propos, elle n’était plus à la disposition de la volonté et de la liberté su sujet. C’est une diminution d’une autre nature, mais analogue dans ses grands traits à l’altération hystérique.

Première partie. Les symptôme névropathiques

Chapitre IV

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