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3. ⎯ Les caractères psychologiques des amnésies et des doutes

Dans le document LES NÉVROSES (Page 56-62)

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Au premier abord, on peut être surpris du rapprochement de ces deux phénomènes, car des oublis nets semblent quelque chose de bien différent d’un doute. Dans ce dernier fait les opérations psychologiques sont simplement incomplètes, inachevées, tandis que dans l’amnésie le phénomène psychologique semble tout à fait supprimé. Cette remarque serait peut-être juste pour les amnésies définitives de certains déments, elle n’est pas juste, à mon avis, pour les amnésies hystériques que nous considérons ici, et il me semble facile de montrer que l’amnésie, dans ce cas, n’est pas plus que le doute une destruction du fait psychologique, mais qu’elle est simplement, comme lui, une imperfection de ce phénomène.

Remarquons d’abord que, dans tous ces cas où nous avons constaté des amnésies, les condition ordinaires pour l’acquisition et la fixation des souvenirs se trouvaient réalisés d’une manière normale. Le sujet a vu ces choses qu’il prétend avoir oubliées; il les a bien perçues et, au moment où elles sont survenues, il paraissait les comprendre comme à l’ordinaire. Il n’était ni imbécile ni dément; il présentait l’intelligence ordinaire qui, autrefois, lui suffisait parfaitement pour conserver les souvenirs. Et cependant, dans le cas présent, il semble n’avoir conservé du fait aucune impression. Est-ce bien vrai? Est-ce que l’amnésie hystérique est une véritable suppression du souvenir qui aurait dû normalement se former? Pour soutenir cela il faudrait pouvoir démontrer que ce souvenir ne réapparaît jamais à aucun moment de la vie. Dans certains cas d’amnésie il en est ainsi; des oublis déterminés par l’hémorragie cérébrale, par les maladies infectieuses, sont définitifs. Ici il en est tout autrement et il y a une foule de circonstances dans lesquelles on peut constater très aisément

la présence réelle de ces souvenirs en apparence disparus. Nous l’avons déjà constaté dans notre première étude sur les idées fixes à forme somnambulique : le sujet, disions-nous, au réveil de sa crise, a tout à fait oublié qu’il vient de se promener sur les toits en arrachant son enfant aux mains de sa belle-mère, ou qu’il a essayé de se tuer en se mettant sous un train. Mais dès que la crise recommence, ce qui ne va pas tarder, il se souvient si bien de ces histoires qu’il les recommence en reproduisant exactement les mêmes gestes et les mêmes mots. Un grand nombre de faits qui paraissent oubliés réapparaissaient ainsi dans les crises délirantes. Un jeune homme qui avait des impulsions au vol cherchait désespérément, après sa crise, où il avait bien pu cacher les objets volés. Il ne pouvait pas les retrouver, mais à la prochaine crise il allait tout droit à la cachette. Cette réapparition du souvenir est quelquefois bien curieuse par sa précision. Quelques malades se réveillent subitement au milieu d’une phrase et dans la crise suivante, huit jours après, ils reprennent au mot interrompu.

On pourrait faire la même remarque à propos des idées fixes de forme médianimique et des écritures automatiques, dans lesquelles se manifeste un grand nombre de souvenir en apparence perdus. Dans d’autres cas ces souvenirs réapparaissent dans des états artificiellement provoqués, comme les états hypnotiques. C’est même au moyen de ces états que l’on peut atteindre les idées fixes de forme somnambulique et les modifier. Quelquefois le rêve du sommeil normal suffit pour provoquer la réapparition de ces souvenirs. Le fait était bien manifeste chez Mme D…, cette femme dont l’amnésie continue était si remarquable. Lorsqu’elle était éveillée, elle n’avait aucun souvenir de la blessure de sa main mordue par un chien et cautérisée, de sa présentation dans les hôpitaux, et se croyait toujours à C…, trois mois auparavant; mais la nuit elle avait un sommeil agité et ses voisines l’entendaient parler du vilain chien jaune et des médecins en tablier blanc. Quelquefois les souvenirs qui se sont manifestés en rêve sont à peu près conservés quand le sujet se réveille, et le rêve sert en quelque sorte d’intermédiaire entre le somnambulisme et la veille. Dans d’autres cas, le souvenir a complètement disparu au réveil et l’amnésie n’a été interrompue qu’un instant pendant le sommeil.

Il n’est pas toujours nécessaire que le sujet retombe dans des états anormaux comme ces crises d’idées fixes ou ces somnambulismes : le souvenir qui semblait perdu peut réapparaître pendant la veille la plus normale. On observe d’abord le fait dans une circonstance très simple, quand la maladie hystérique guérit. Les amnésies rétrogrades, par exemple, ne durent qu’un certain temps; peu à peu on voit réapparaître les souvenirs, en commençant par les plus anciens.

Comme je l’ai souvent répété, l’oubli consécutif aux crises, aux somnambulismes, aux hypnotismes, est un signe de maladie hystérique. Il disparaît quand le sujet est guéri et celui-ci s’étonne alors de n’avoir pu raconter ce qui se passait pendant ses crises. Cette observation clinique, mal connue, explique bien des faits qu’on a considérés comme étranges : des hystériques, en devenant âgées, s’accusent souvent d’avoir simulé dans leur jeunesse les phénomènes du somnambulisme. Il y eut à ce propos une histoire amusante, à l’époque des grandes querelles soulevées par le magnétisme animal.

Une femme nommé Pétronille avait été très souvent présentée comme un type de somnambulisme et on avait démontré sur elle l’amnésie qui suit le somnambulisme. Malheureusement Pétronille, devenue âgée, se mit à raconter tout ce qu’on lui avait fait dans les anciennes séances de somnambulisme. Les adversaires de ces études s’emparèrent du fait et l’on put voir dans les journaux de l’époque des avertissements ironiques adressés aux magnétiseurs et finissant par ces mots : « Cave Pétronille ». Il s’est passé tout récemment un fait du même genre.

Les Misses Fox ont joué, comme on sait, un très grand rôle dans l’histoire du spiritisme, en 1850; elles ont pendant longtemps attribué aux esprits leurs mouvements subconscients et leur écriture automatique. Il y a quelques années, l’une d’entre elles, très âgée, a envoyé à des journaux une pitoyable rétractation, disant qu’elle se souvenait maintenant d’avoir fait elle-même tous ces mouvements.

Eh bien, ces confessions et ces rétractations ne nous émeuvent pas, nous les avons constatées bien plus rapidement, après quelques mois seulement, quand les hystériques guérissaient. Elles signifient simplement que, chez les hystériques âgées, les amnésies de la période héroïque de leur vie ne subsistent pas.

Sans attendre aussi longtemps, nous pouvons même, dans le cours de la maladie, faire réapparaître ces souvenirs; il suffit quelquefois de commander au sujet de se souvenir; mieux encore, il suffit de diriger

ses efforts d’attention sur les souvenirs effacés. J’ai fait subir toute une éducation à la malade dont nous venons de parler, Irène, pour lui faire retrouver consciemment, pendant la veille, le souvenir de la mort de sa mère, et j’y suis parvenu après quelques semaines d’efforts.

Cette restauration des souvenirs a même eu comme conséquence la suppression des crises. Il suffit quelquefois que le malade soit appelé à faire attention, par quelque circonstance accidentelle, pour qu’il puisse lui-même guérir son amnésie. Un malade fort curieux. P.., avait oublié toute une semaine pendant laquelle, en proie à une idée fixe, il s’était sauvé loin de chez lui. Il ne savait aucunement ce qui s’était passé et il resta plus d’un mois sans pouvoir se souvenir de rien. Un jour, il trouva dans la poche d’un vêtement un petit papier contenant quelques mots de recommandation pour une maison charitable, papier qu’il avait reçu pendant sa crise délirante. Il en fut très intrigué et il passa toute une nuit à rechercher ce que ce papier pouvait bien signifier, comment il l’avait eu entre les mains. Le lendemain il était épuisé de fatigue, mais il vint nous raconter tout ce qui s’était passé pendant les dix jours oubliés. Ces observations et ces expériences pourraient être indéfiniment multipliées; c’est un des points qui a été le plus étudié par la psychologie expérimentale. Ce que nous venons de dire suffit pour montrer que ces souvenirs ne sont pas du tout supprimés, qu’ils existent parfaitement dans la conscience et dans le cerveau du sujet.

D’autres expérience du même genre pourraient nous prouver que ces souvenirs existent même au moment où le sujet déclare qu’il ne les connaît pas. On peut constater des actes accomplis par distraction, des mouvements involontaires qui prouvent parfaitement leur existence. Mme D… semblait oublier tous les événements au fur et à mesure de leur production, par conséquent elle ne connaissait personne dans l’hôpital et semblait toujours être mise en présence d’un étranger quand on la présentait à une personne qu’elle avait vue vingt fois. Cependant, si on la laissait seule au milieu de la cour, elle allait toujours s’asseoir sur le même banc, auprès des deux mêmes malades, ses voisines. Quand un sujet présente de l’écriture automatique, sa main écrit les événements qu’on lui demande, tandis que sa bouche déclare les ignorer absolument.

De ces études, bien des auteurs tireront une conclusion radicale : c’est que c’est là une amnésie absurde et qu’elle n’existe pas. Il est ridicule de supprimer les phénomènes simplement parce qu’on ne les comprend pas. Sans doute c’est là une amnésie bizarre, c’est pour cela que nous la déclarons différente des autres. Sans doute elle se modifie étonnamment dans une foule de circonstances; c’est pour cela que nous devons étudier ces circonstances, et comprendre leur rôle.

Mais cela ne supprime pas le symptôme pathologique lui-même, qui n’en est pas moins très grave, très pénible, et qui peut troubler des malades pendant des années.

Je ne crois pas non plus que ces amnésies puissent s’expliquer rapidement par l’imitation ou la suggestion. Sans aucun doute il y a des idées fixes en même temps que l’amnésie; j’ai même soutenu que ces deux phénomènes étaient presque toujours inséparables, mais ces idées fixes ne portent aucunement sur l’amnésie elle-même et sur ses caractères. Les idées fixes de ces malades portent sur des événements de leur vie, sur des désirs ou des rêves, et point du tout sur le fait d’oublier telle ou telle chose. Bien au contraire, le sujet préoccupé par son chagrin serait plutôt disposé à croire qu’il ne doit jamais l’oublier, et cependant on observe de tels oublis dans tous les temps et dans tous les pays.

Cette amnésie est un véritable trouble dans l’évolution des idées : elles ne sont pas détruites, elles sont correctement formées, mais il leur manque quelque chose; elles restent isolées; elles ne peuvent être évoquées que par elles-mêmes; elles ne sont pas suffisamment rattachées à l’ensemble des autres phénomènes conscients. Il y a là un manque d’unité et de synthèse qui semble être un défaut d’achève-ment dans la formation d’idées suffisantes à d’autres points de vues.

Nous parvenons à une conclusion semblable lorsque nous considérons les doutes du psychasthénique. Ici encore les idées et les souvenirs sur lesquels portent ces doutent sont loin d’avoir disparu.

En réalité, le souvenir existe très bien, et quand nous vérifions l’état de la mémoire proprement dite, nous la trouvons très suffisante. Ici encore, la conviction qui semblait disparue peut réapparaître; il y a des moments où le psychasténique retrouve la certitude de ses souvenirs, comme il y a des moments où l’hystérique retrouve la conscience des

siens. Le malade est le premier à nous dire de temps en temps : « Je sais parfaitement bien que je n’ai pas commis de crime et je constate que je me souviens très nettement de la figure de mon père ». Dans les périodes où le doute revient, l’idée subit simplement une diminution, elle perd quelques-uns des attributs qui caractérisent les idées parfaitement développées. Le souvenir de ces idées, qui existe en fait dans l’esprit, n’entraîne pas avec lui les actions, les paroles, les sentiments; il n’est pas actif, il semble rester dans un état vague, en dehors de la réalité présente; il lui manque en un mot cette perfection particulière qui fait que les pensées sont réelles et présentes. C’est là un problème très difficile, le problème de ce que j’ai appelé la fonction du réel. Nous le retrouverons à propos de chacun des autres troubles de nos malades; il nous suffit de constater ici que leur doute est tout simplement la disparition d’un certain degré de perfectionnement des idées et que, sur ce point, il se rapproche beaucoup de l’amnésie hystérique, qui n’était pas autre chose.

Première partie. Les symptôme névropathiques

Chapitre III

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