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1. - Les chorées hystériques

Dans le document LES NÉVROSES (Page 84-89)

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Pour bien comprendre ces agitations motrices, il est important de mettre au premier rang un phénomène tout à fait typique beaucoup étudié autrefois, un peu trop laissé de côté aujourd’hui : la chorée rythmée, ou la chorée systématique des hystériques. Dès le XIVe siècle on avait remarqué et décrit des épidémies singulières qui sévissaient souvent sur les communautés ou sur les couvents; on les appelait le fléau de la danse (Tanzplage) ou bien l’epilepsia saltatoria.

Plus tard on désigna ce phénomène sous le nom de choréomanie épidémique. Un grand nombre de personnes se laissaient aller à des danses, à des sauts, à des contorsions bizarres qui se répétaient indéfiniment. Ces épidémies ont diminué aujourd’hui dans nos contrées et, chose singulière, elles ne sévissent plus guère que sur des enfants ou des adolescents, dans des pensionnats ou des ateliers.

C’est qu’avec les progrès de la pensée humaine, le temps n’est plus favorable aux démonopathies des adultes.

Cependant des épidémies de ce genre existent encore dans des régions moins civilisées. Je voudrais rappeler à ce propos une description curieuse d’un médecin de Madagascar, G. Ramisirez Ramenengena, qui raconte avoir observé chez les Malgaches des crises singulières déterminées par certaines émotions religieuse. Les individus se mettent à danser avec un balancement monotone qui devient de plus en plus rapide, jusqu’à ce qu’ils tombent par terre absolument épuisés. Les grandes épidémies du moyen âge pourraient donc se retrouver aujourd’hui chez d’autres populations qui ont conservé un état mental analogue à celui qui existait partout autrefois.

Aujourd’hui, dans les régions civilisées de l’Europe, on ne constate plus guère les attaques de spasme rythmique que chez des individus isolés. Il n’est pas difficile de démontrer l’identité de ces accidents hystériques isolés et des phénomènes qui se développaient dans les anciennes épidémies de danses et de sauts. Cette démonstration était déjà faite autrefois par Germain Sée, en 1850, et par Briquet, en 1859.

Ces auteurs ont vulgarisé le mot de chorée rythmée ou rythmique, par lequel on désigne aujourd’hui ces phénomènes : « On désigne sous le nom de spasme rythmique des mouvements généralement brusques qui se répètent à des intervalles sensiblement égaux, qui se reproduisent régulièrement pendant un temps souvent fort long, avec une cadence uniforme ».

Des mouvements de ce genre sont extrêmement nombreux et il me paraît impossible d’en fixer le nombre. M. Bechterew, en 1901, décrivait dix-sept formes de ces mouvements : flexion du tronc de divers côtés, moulinet des bras et des jambes, mouvement pendulaire du bras, mouvement alternatif d’élévation de l’une ou de l’autre épaule, mouvement de balancier des omoplates, etc. Mais cette liste est forcément incomplète, car la chorée rythmée peut imiter toutes les actions, tous les mouvements professionnels, ou même tous les mouvements des clowns. Certains sujets, montrent une telle habileté dans ces culbutes et ces grimpades qu’on pourrait les montrer dans les cirques. Il n’y a donc pas de raison pour limiter cette liste à tel ou tel

mouvement; elle pourrait être interminable, et il suffit d’indiquer quelques exemples de ces chorées rythmées.

Dans un groupe de cas, les mouvements sont expressifs; ils rappellent nettement une action que le sujet semble vouloir faire ou bien ils manifestent un état émotif. Ma…, qui, dans ses crises délirantes, raconte un attentat de son beau-père, présente, soit au même moment, soit pendant la veille en apparence la plus normale, un trouble du mouvement bien caractéristique; elle se soulève à demi, tourne la tête du côté droit, ouvre les yeux avec un air de fureur et lance deux coups de poing de ce côté, puis elle retombe sur son lit.

Un instant après elle recommence, et j’ai compté ces gestes quatre-vingt fois de suite. X…, jeune homme de quatre-vingt-deux ans, a été accusé pendant son service militaire et a dû passer devant le conseil de guerre. Il a essayé de se défendre de son mieux en niant l’accusation, mais il a été fortement bouleversé par cette émotion. Depuis il conserve un mouvement de balancement ou de secousse de la tête, qui se porte brusquement du côté droit au côté gauche; il semble faire le geste de dire « non » en secouant la tête, mais il répète ce geste d’une manière incessante jusqu’à étourdir véritablement ceux qui le regardent. Dans bien des cas des malades ont été effrayés par un événement qui s’est passé près d’eux : une femme a entendu un coup de tonnerre à sa gauche; une autre a vu un ivrogne à sa droite : elles conservent un mouvement singulier en rapport avec cette émotion.

Tantôt elles tournent la tête du côté où l’événement s’est passé; tantôt, au contraire, elles ont une secousse pour fuir du côté opposé. De tels mouvements sont très nombreux et très variés.

Dans un deuxième groupe, on pourrait placer les chorées professionnelles. Le sujet conserve un mouvement malléatoire de son bras comme s’il frappait à coups de marteau, ou remue régulièrement son bras comme s’il essuyait, comme s’il frottait indéfiniment quelque chose, comme s’il battait du tambour. M… a ainsi le mouvement de va-et-vient, tantôt du bras gauche, tantôt du bras droit, comme si elle repassait du linge, comme si elle le pliait; d’autres conservent le mouvement de jouer du violon. Je répète souvent une observation singulière qui m’a beaucoup frappé autrefois. Une jeune fille de seize ans avait un singulier métier, qui consistait à faire des yeux de poupées, et, à la suite d’une émotion sur laquelle nous reviendrons,

elle eut une chorée bizarre du côté droit : son poignet tournait indéfiniment, comme s’il actionnait une manivelle et son pied faisait sans cesse un mouvement de pédale 17.

D’autres mouvements sont des mouvements d’imitation qui reproduisent une scène ou une attitude plus ou moins émotionnante.

P…, un enfant de douze ans, a été si impressionné par un clown qu’il a vu à la foire que pendant quatre ans il a eu des accès pendant lesquels il s’efforçait de reproduire les mouvements et grimaces de ce personnage. Le…, femme de vingt-sept ans, a été à la salle des morts d’un hôpital pour reconnaître le cadavre d’un de ses parents, mort du tétanos. On lui a décrit la maladie, et en particulier les spasmes de la nuque en arrière. Elle présenta, à la suite de cette visite, des secousses rythmées de la nuque en arrière, qui n’ont cédé qu’à un traitement suggestif. C’est d’ailleurs ainsi que se forment les épidémies de chorée rythmée dans les écoles. On peut rechercher l’origine du mouvement chez le premier malade; mais il n’y a plus chez les autres qu’une imitation avec plus ou moins de déformation, ce qui rend souvent difficile l’interprétation du mouvement. Enfin bien souvent il y a des cas complexes où se mélangent les secousses émotives, les mouvements professionnels, les mouvements imités, ou même des mouvements bizarres que le sujet se sent obligé de faire, simplement parce qu’ils sont grotesques.

C’est là ce qui produit ces agitations confuses qui existent quelquefois pendant la veille, plus souvent pendant la crise. Ce qu’on appelle communément la crise d’hystérie est un ensemble de contorsions, de mouvements désordonnés qui rappellent toutes sortes d’émotions et toutes sorte d’actions, qui se produisent quelquefois avec un certain rythme pendant une période déterminée, et quelquefois d’une manière constamment irrégulière. Certaines attitudes sont considérées comme caractéristiques : les malades se raidissent dans une extension forcée qu’elles cherchent à exagérer encore en renversant la tête en arrière, en creusant le dos, en soulevant le ventre; elles ne portent plus sur le lit que la tête et les pieds; elles font le pont, suivant l’expression consacrée. Autrefois on attachait une grande importance à ce geste de l’hystérique qui fait le pont; on y

17 État mental des hystériques, 1894, II, p. 99.

voyait un symptôme caractéristique au point de vue du diagnostic et on le considérait souvent comme une manifestation érotique. Tout cela me paraît un peu exagéré : d’abord ce geste est moins fréquent qu’on ne le croit dans l’hystérie, quand il n’y a pas de circonstances qui favorisent l’imitation mutuelle; il peut exister dans d’autres névroses et on le retrouve quelquefois dans les contorsions des psychasténique. Il n’est pas nécessairement une manifestation érotique : dans bien des cas il résulte tout simplement une expression de cette agitation motrice dont nous aurons à rechercher l’origine.

D’ailleurs, mêlées avec ce mouvement, se présentent bien d’autres contorsions : la tête s’agite de côté et d’autre, les yeux s’ouvrent et se ferment, la bouche grimace; tantôt les malades serrent les dents, mais le plus souvent sans se mordre la langue, comme l’épileptique; tantôt elles ouvrent la bouche et poussent des cris aigus de toute tonalité.

Les bras s’agitent en tous sens, répètent quelques-unes des chorées précédentes ou bien frappent au hasard sur les objets environnants ou sur la poitrine de la malade. Les poings se ferment et s’ouvrent alternativement. Les jambes s’étendent et se fléchissent, en un mot toutes sortes de mouvements se font sans grande signification.

On voit par la description de la crise précédente que les agitations hystériques ne sont pas toujours rythmées, comme dans les cas tout à fait simples signalés au début. Cette agitation arythmique peut se prolonger en dehors des crises, même pendant que le sujet semble avoir toute sa conscience. Il y eut autrefois de grandes discussions sur cette chorée arythmique que l’on ne voulait pas rattacher à l’hystérie, mais qui semblait être un accident de la chorée banale, de la chorée de Sydenham. On a dû constater que dans bien des cas la chorée arythmique se développait après la puberté, ce qui est bien rare pour la chorée de Sydenham, et qu’elle avait tous les caractères et toute l’évolution d’un phénomène hystérique. Une jeune fille de dix-huit ans se mit en colère pendant qu’elle jouait au croquet avec ses camarades : il en résulta d’abord une crise hystérique de la forme précédente, puis, quand elle revint à elle, elle conserva pendant la veille une partie des mouvements de la crise, des grimaces et des secousses irrégulières qui se sont prolongées pendant plus de deux ans, en même temps que bien d’autres phénomènes plus caractéristiques de la névrose. Ces agitations irrégulières ne doivent être ajoutées à la chorée rythmée proprement dite.

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