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Les troubles de la perception

Dans le document LES NÉVROSES (Page 147-151)

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À côté des fonctions de l’action volontaire se placent les fonctions de la perception qui nous permettent de prendre connaissance du milieu dans lequel nous sommes actuellement plongés, ainsi que de l’état actuel de notre organisme, afin que nous puissions réagir correctement aux diverses excitations. Un très grand nombre de troubles et de souffrance sont en rapport avec des troubles névropathiques de ces fonctions de perception.

1- les dysesthésies hystériques.

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On pourrait ranger, sous ce titre, un très grand nombre d’illusions et d’hallucinations qui peuvent affecter tous les sens; mais nous avons déjà suffisamment étudié ces phénomènes à propos des troubles des idées avec lesquels ils sont le plus souvent associés. Nous insisterons surtout ici sur cette transformation intéressante des perceptions qui leur donne trop souvent un caractère pénible, qui les rend douloureuses. La douleur est très fréquente dans toutes les maladies : elle joue un rôle considérable dans les névroses, car les malades

faibles de volonté et émotifs savent, moins que tout autre, la supporter et lui donnent vite une importance démesurée.

Il y a d’abord, dans l’hystérie, des douleurs que l’on peut appeler des douleurs vraies, car elles ont pour point de départ une altération réelle de l’organisme qui, chez tout homme, provoquerait une sensation pénible. Ces malades semblent concentrer toute leur attention, toute leur conscience sur cette douleur et lui donnent des proportions qui nous paraissent très exagérées. Il est difficile de savoir si réellement la conscience de la douleur elle-même est, chez eux, beaucoup plus grande qu’elle ne serait chez nous, dans les mêmes circonstances. Il y a surtout exagération des manifestations extérieures de la douleur, des cris, des contorsions, et, en même temps, des sentiments de peur, de désespoir qui se développent à propos de cette douleur. Une de ces malades hurlait désespérément à propos d’une légère piqûre à un doigt : je lui demandai de chercher avec calme si réellement elle souffrait beaucoup. Elle parut interloquée : « C’est vrai, dit-elle après réflexion, je ne sens pas grand’chose; mais mon sang coule, donc, je dois souffrir beaucoup », et elle se remit à hurler. L’émotion se développe à propos d’un léger trouble et donne souvent au sujet l’illusion de la douleur plutôt que la douleur même.

Or, il y a, dans l‘hystérie même, des conditions qui, en outre des accidents ordinaires, peuvent servir de point de départ à ces impressions douloureuses si exagérées, ce sont les contractures, les spasmes dont nous venons de parler. Les contractures sont très souvent douloureuses et nous pouvons le comprendre en songeant à la douleur d’une contraction musculaire prolongée jusqu’à la fatigue excessive. Ces douleurs sont surtout manifestes quand la contracture commence et quand elle se défait; nous connaissons, par expérience, la douleur d’une crampe du mollet au moment où il faut la faire cesser par la compression. Ces douleurs siègent surtout aux points les plus sensibles du muscle, c’est-à-dire aux extrémités du muscle, à ses tendons d’insertion. C’est là que nous allons trouver une foule de points douloureux dont on n’apprécie pas toujours la cause. Les grandes contractures très permanentes et bien visibles sont souvent peu ou point sensibles, tandis que les petites contractures, constamment en voie de changement, déterminent à leurs points

d’insertion de grandes douleurs. On observe des douleurs déterminées par ce mécanisme, au pourtour des articulations, sur le tronc, au ventre ou à la poitrine, à diverses régions de la face, aux tempes, à la nuque, au dessous de l’angle des mâchoires, au-dessous de la langue et on les prend bien souvent pour de tout autres phénomènes.

Dans le groupe précédent, il y avait encore quelque chose de réel qui provoquait une douleur simplement exagérée : il n’en est plus ainsi dans le groupe suivant. Quoique la douleur semble très vive au moment de l’excitation d’une certaine région, on ne trouve rien dans cette région qui puisse la justifier. C’est qu’il faut chercher ailleurs, dans d’autres régions, des organes qui se transforment d’une manière pénible, par association avec l’impression provoquée, ou bien simplement dans l’état mental du sujet des idées, des souvenirs, des sentiments pénibles qui surgissent à propos de cette impression originelle. A… a été victime d’un accident dans un ascenseur et il a eu une blessure assez sérieuse à l’épaule gauche. Cette blessure est entièrement guérie. Si on touche un point quelconque du côté gauche, il pousse des hurlements de douleur. Au point touché, il n’y a absolument rien de douloureux, mais à propos de ce contact, il a de nouveau des spasmes de l’épaule gauche, des sensations de suffocation et une terreur horrible. Comme il ne se rend pas bien compte de l’évocation de ces phénomènes par association d’idées, il dit qu’il souffre dans tout le côté gauche. Une jeune fille, X…

présente des impressions bizarres sur tout le côté droit : dès qu’elle est touchée de ce côté, elle a des horripilations et des frissons de dégoût, elle prétend ne pas comprendre ce qui se passe et attribue cela à une sensibilité particulière de la peau du côté droit. Nous n’avons qu’à assister à une de ses crises de délire à forme somnambulique pour comprendre ce qui se passe. Dans cet état, elle est convaincue à tort ou à raison que pendant son sommeil un individu s’est couché près d’elle, à droite, et qu’il a abusé d’elle. C’est cette idée fixe, ce rêve si l’on veut, qui se réveille à propos de tous les contacts du côté droit.

On peut noter, à ce propos, que cette dysesthésies est surtout notable au bas-ventre et aux seins. En général, toute hystérique qui présente des troubles de sensibilité à ces régions a quelque idée fixe se rattachant à des aventures amoureuses. On observe de ces dysesthésies par association d’idées à propos de toutes les sensations : Gu… a horreur de la couleur rouge « qui, dit-elle, lui fait mal aux

yeux » : dans ses crises elle est furieuse contre des individus qui, à propos d’opinions politiques, ont mis des fleurs rouges sur le cercueil de son père. Un individu qui, pendant la guerre, a couché une nuit sur le sol glacé, conserve, pendant des années, des impressions de froid sur tous les points proéminents de son côté gauche.

La notion de ces dysesthésies par association entre une certaine sensation fournie par le contact d’un point du corps et certaines idées fixes plus ou moins conscientes nous amènent à comprendre un fait qui a donné lieu, autrefois à bien des discussions étranges, le fait des points hystérogènes. Depuis le XVIe siècle (Mercado 1513, Ménardes 1620, Boerhave, etc.), on avait remarqué que la pression sur certains points du corps modifiait les phénomènes hystériques, provoquait les attaques ou les arrêtait par exemple. Des possédées, comme sœur Jeanne des Anges en 1634, plaçaient leurs démons en divers points de leur corps; Léviathan avait sa demeure au milieu du front, Béhérit sa résidence à l’estomac, Balaam sur la deuxième côte à gauche et Isackaarum sur la deuxième côte du côté droit. Si on touchait ces points, on déterminait le trouble nerveux, spasme, aboiement ou délire qui constituait la spécialité de tel ou tel de ces diables.

À l’époque de Charcot, on insistait beaucoup sur ces faits, on expliquait une foule de choses par les points hystérogènes, hypnogènes, algogènes, érotogènes, etc. Beaucoup d’études psychologiques ont lutté contre cette interprétation et ont montré que dans la plupart des cas il s’agissait simplement d’associations d’idées développées à la suite d’émotions, de suggestions ou d’habitudes.

Enfin, il faut dire un mot d’un troisième groupe de dysesthésies plus curieuses que les précédentes qui dépendent d’un trouble de la perception elle-même. Nous venons de voir un homme qui conserve une impression de froid sur une jambe à la suite du souvenir d’un événement où le froid a réellement joué un rôle. Mais nombre d’autres sujets ont, sur diverses régions du corps, des impressions de froid ou sentent des gouttes d’eau froide qui coulent sur la peau sans qu’il y ait, dans leur souvenir, aucun événement semblable. D’autres ont des sensations d’engourdissement, de démangeaison, de fourmillement ou des sentiments bizarres qui les portent à croire que leurs membres sont devenus trop gros ou trop petits. En les

examinant, on observe qu’à ce moment la sensibilité de cette région a plus ou moins diminué et que cette diminution est toujours parallèle à ces impressions bizarres. La dysesthésie semble, ici, en rapport avec l’anesthésie; elle n’est qu’une expression de l’engourdissement lui-même exagéré, bien entendu, par l’émotion du sujet. C’est pourquoi l’étude des dysesthésies hystériques doit toujours se compléter par celle de leurs anesthésies.

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